Gilets jaunes : un an après '''rien n'a changé''', sauf le mouvement

jeu 14/11/2019 - 18:02 , Mise à jour le 27/11/2020 à 08:59

La hausse des taxes sur les carburants automobiles, mesure annoncée par le gouvernement à l'automne 2018, avait été la goutte d'eau de trop, celle qui avait fait déborder le vase et provoqué une vague contestataire dans tout le pays. Une mesure qui s'ajoute sur le plan local, à l'annonce faite au mois d'avril, par le préfet de l'époque, Yves Rousset, concernant la candidature de la Haute-Loire pour : "faire partie des premiers départements à être équipés de radars tourelles en grand nombre".


(Sébastien Beraud, Gilet jaune, agriculteur à Saint-Paulien. Photo © Zoomdici - S.Ma)

Le samedi 17 novembre 2018, en Haute-Loire, ils étaient des milliers à investir les routes et les ronds-points du département déversant un flot de revendications arrosé de colère contre la politique du président de la République, Emmanuel Macron. "Il s’est fait élire sur des promesses avec un discours similaire à celui des Gilets jaunes. Il disait : « je ne suis pas de droite, je ne suis pas gauche, je veux une nouvelle politique ». Il a donné beaucoup d’espoir au peuple. Mais au bout de deux ans, on s'est bien rendu compte qu'il a fait le contraire de ce qu'il avait dit", commente Sébastien Beraud, Gilet jaune.
"C'est le gouvernement des riches et il veut diviser pour mieux régner"
L'agriculteur installé à Saint-Paulien décrit "une situation de survie dramatique". "Avant de se présenter, il disait, c'est anormal que les agriculteurs n'aient pas le droit au chômage. Nous ne l'avons toujours pas, il a repoussé la réforme pour la retraite des agriculteurs à la fin de son mandat. Ce n'est pas normal non plus que les agriculteurs ne puissent pas fixer le prix de leurs produits. On voit bien qu'avec la loi Egalim, il n'y a rien du tout. C'est même pire. Avant, un agriculteur se suicidait tous les deux jours, depuis qu'il a été élu, on en est à deux par jour. Mais c'est dans toutes les professions pareil. Il se fout de nous, c'est le gouvernement des riches et il veut diviser pour mieux régner."


(Azelma Sigaux, 30 ans, Gilet jaune du Puy-en-Velay. Photo © Zoomdici - S.Ma)
"Une prise de conscience, une envie de désobéir, de se révolter, de se ré-informer"
Sébastien a rejoint le mouvement des Gilets jaunes le 1er décembre 2018, un jour marqué par l'incendie de la préfecture de Haute-Loire. La Ponote, Azelma Sigaux, auteure et militante, a quant à elle emboîté le pas des Gilets jaunes dès le 17 novembre 2018, jour de l'Acte I. "Quand j’ai vu que les gens se bougeaient, une masse populaire se former, je me suis dit : ouf enfin. Ouf dans le sens où, et c’est particulier à ce mouvement-là, il s'agissait pour la plupart de personnes qui n’étaient jamais sorties de chez elles pour manifester. Et là, il y a eu une prise de conscience, une envie de parler, de désobéir, de se révolter, de se ré-informer. Sans tomber dans le complotisme, ces personnes se sont rendu compte qu’on leur cachait certaines choses." Alors comme Gildas, assistant d'éducation (AED) dans un lycée du Puy à mi-temps, et Sylvain, charpentier, ainsi que Sébastien, elle s'est mise à battre le pavé chaque samedi, au Puy-en-Velay et même à Paris, pour, chasuble jaune sur le dos, faire entendre une colère "légitime" selon elle et qui, hausse des prix du carburant ou non, aurait éclaté tôt ou tard. "Je pense qu'on est arrivé au bout de quelque chose, dans tous les domaines (écologie, économie etc). Ça aurait pété de toute façon."

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"Défendre les intérêts de tout le monde"
Cette réalité sombre qui nous est décrite, Christopher Lecesne, 28 ans, ambulancier libéral, sans la découvrir, en a pris davantage conscience lors de rencontres et de discussions sur le rond-point de Brioude investi par les Gilets jaunes. "Si on est tous impactés par la hausse des taxes, j'ai la chance d'être à mon compte et de vivre convenablement. J'ai pris une grosse claque quand j'ai rencontré certaines personnes qui me parlaient de la misère qu'elles pouvaient rencontrer dès le 10 du mois." Des témoignages qui ont encouragé le jeune homme "à défendre les intérêts de tout le monde". Et c'est bien cette "solidarité" que Christopher retiendra de ce mouvement, lui qui a dû le quitter, en tout cas le temps d'accueillir son premier enfant. "Une solidarité des personnes sur le rond-point mais pas seulement. Celles aussi qui étaient bloquées et qui auraient pu s'agacer, mais qui encourageaient les Gilets jaunes, qui leur donnaient des paquets de gâteaux etc. Il y a eu un grand élan de solidarité."

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Le mouvement est-il encore populaire ?
Les actions se sont multipliées les samedis mais aussi en semaine, avec des opérations ponctuelles comme l'immobilisation par les Gilets jaunes des barrières de plusieurs parkings du centre-ville du Puy. Une action jugée plus populaire que les barrages filtrants ou bloquants sur les routes. "Populaire". Le terme a, un temps, été associé au mouvement des Gilets jaunes. Pour Azelma Sigaux c'est encore une réalité. Mais au niveau local comme national, les débordements observés en marge des manifestations semblent avoir mis à mal cette popularité initiale. Les commerçants ponots s'inquiétaient également de la répétition des rassemblements en centre-ville.
Sébastien Beraud évoque lui d'autres arguments : "Ça s'est politisé, radicalisé. Beaucoup de gens ont lâché parce qu'ils ne se sentaient pas concernés."
Pour Christopher Lecesne également, un an après, le mouvement des Gilets jaunes n'est plus aussi populaire qu'à ses débuts. "Je pense qu'on a un peu décrédibilisé ce mouvement, de plusieurs manières. Le gouvernement, en trichant sur les chiffres lors des manifestations. Il y a également le choix de traitement de certains médias. Et puis, lorsqu'il y a eu les premières allocutions du président de la République qui a parlé de mettre en place certaines réformes, certaines suppressions d'augmentation, malgré cela la mobilisation s'est poursuivie. Là, je pense qu'une certaine partie de la population a dû se dire : ils ne se satisferont jamais de ce qu'ils auront".

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"Le but est de se retrouver sur des points communs et non sur des points de clivage"
Le 17 mai 2019, le président Macron jugeait « avoir fait sa part du travail » pour répondre à cette contestation sociale débutée en octobre 2018 : recul sur la hausse des taxes des carburants, augmentation du revenu d'un travailleur au SMIC de 100 euros par mois dès 2019, retour à la défiscalisation des heures supplémentaires, annulation de la hausse de la CSG pour les retraites de moins de 2 000 euros par mois, défiscalisation de la prime de fin d'année dans les entreprises. "Rien n'a changé,  ma mère touche toujours 400€ de retraite. C'était du blabla comme le Grand débat national, pour les élections européennes", répond Sébastien Beraud. Et Gildas et Sylvain, deux Gilets jaunes du rond-point de Lachamp d'ajouter : "Puis en dehors de ces annonces-là, on a eu beaucoup de répression. Il y a ces annonces, mais à côté de ça, on a la réforme de l'Education nationale, celle des retraites, une véritable attaque des acquis pour lesquels les anciens se sont battus. Et puis l'évasion fiscale...". Autant d'éléments, en plus de l'absence du Référendum d'initiative citoyenne, une de leurs revendications prioritaires inscrites dans les cahiers de doléances, qui poussent les Gilets jaunes à être encore en action, lors de réunions publiques, d'assemblées citoyennes, ou de manifestations pour l'hôpital ou encore prochainement, le 5 décembre, et aux côtés de l'intersyndicale, contre le projet de réforme des retraites. Son avis n'est pas partagé par tous, mais pour Gildas, à la tête d'une entreprise de pose de carrelage et de faïence en plus de son poste d'AED : "La convergence est nécessaire et ancrée. Depuis un an, le mouvement évolue, l'apprentissage de ces "nouveaux" manifestants a été hyper rapide, chacun a pris conscience qu'on ne pourrait pas y arriver tout seul."

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Alors certes, ils le concèdent, leur nombre a diminué suite à "des divisions internes dues à la politique, au traitement médiatique, ça ne nous a pas aidé. Et des petites guerres d’égo ainsi que de la fatigue. On essaie de passer au-dessus, le but est de se retrouver sur des points communs et non sur des points de clivage", explique Azelma Sigaux qui a été un temps porte-parole des Gilets jaunes "sans rond-point". Elle a démissionné au mois de septembre.


(Devant la cabane des Gilets jaunes de Lachamp sur la route de Saint-Hostien. Photo © Zoomdici - S.Ma)  
"Sortir de la démocratie représentative"
Le nombre à diminuer mais la volonté d'obtenir gain de cause reste intacte. Les Gilets jaunes appellent le plus grand nombre à se retrouver, ce samedi 16 novembre, un an après l'Acte I, sur les ronds-points des Fangeas, de Lachamp, Corsac, Brioude, Monistrol-sur-Loire et Saint-Just-Malmont. Leur slogan : "Un an après, c'est encore pire ! Pouvoir d'achat, retraites, indemnisation chômage, prix des carburants et du gaz, privatisations, casse du service public." Tous espèrent, en se rendant de nouveau visibles, qu'un second souffle sera donné à ce mouvement en Haute-Loire. "Le but, c'est de remobiliser, de refaire vivre cette masse qui était dans la rue, souligne Sébastien Beraud. Cette action du 16 novembre ne signifie pas pour autant le retour des manifestations tous les samedis au Puy. On est pris entre deux feux, entre le fait de ne pas embêter les gens et la nécessité de devoir quand même montrer notre désarroi. C'est sûr qu'une grève générale comme celle du 5 décembre, c'est l'idéal, mais à condition que tout le monde le fasse", insiste l'agriculteur.

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"Prendre le pouvoir dans une ville ou un village, ce n'est pas ce que nous voulons
Et ensuite ? Malgré l'échec des deux listes "jaunes" lors des élections européennes au mois de mai dernier, le défi local semble intéresser les Gilets jaunes pour changer le système actuel. Mais "s'il s'agit de prendre le pouvoir dans une ville ou un village, ce n'est pas ce que nous voulons. Il faut que les habitants se concertent, que ça émane d'en bas, précise Gildas. Moi, je suis pour une forme de démocratie directe afin de sortir de la démocratie représentative. C'est ce qui s'applique dans la coordination nationale des Gilets jaunes avec des assemblées générales pour prendre des décisions, faire remonter des textes, les amender s'il le faut." Sébastien Beraud est d'ores et déjà en train de monter une liste citoyenne à Saint-Paulien. 
Stéphanie Marin

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