« Agnès, elle sera toujours là, à faire partie de nos vies » (2/2)

Par Nicolas Defay , Mise à jour le 16/11/2021 à 06:30

Aujourd’hui, le 16 novembre 2021, le Chambon-sur-Lignon se réveille les yeux collés par le triste anniversaire de la mort d’Agnès Marin. À travers une poignée de témoignages, des habitants confient leurs ressentis sur ce drame survenu il y a 10 ans au collège international Cévenol.

Bras croisés. Mâchoires verrouillées. Les regards fuient l’instant comme pour s’échapper des questions que leur pose le journaliste. Aucun des commerçants visités un peu au hasard dans la grande rue du Chambon ne partagera un mot sur l’histoire. Et malgré le grand panneau qui orne l’entrée du village, où il est fièrement inscrit « Devoir de Mémoire » pour rappeler le rôle héroïque du Chambon sous le joug de l’Allemagne nazie, beaucoup semble vouloir enterrer celle d’Agnès Marin. « Il faut regarder l'avenir. Tourner la page. On ne peut plus touiller ça, c'est une histoire passée », avait dit Éliane Wauquiez-Motte dans un article de Libération le 30 juillet 2017. Malgré nos sollicitations auprès de la municipalité actuelle, personne ne nous recevra non plus.

bâtiment des salles des classes du collège Cévenol au Chambon-sur-Lignon.
Ici est le bâtiment des salles des classes du collège Cévenol. Photo par Nicolas Defay

« Ce n’est pas le silence qui effacera le passé »

C’est une histoire passée, comme a dit l’ancienne maire du Chambon. Et pourtant, c’est une histoire qui fait partie à présent de celle du village et de sa mémoire collective. « C’est comme si le Chambon avait perdu son innocence, confie un promeneur, accompagné de son épouse et d’un grand chien blanc. Avant, le Chambon était vu comme une terre de paix et de fraternité. Depuis le meurtre d’Agnès, cette aura est tombée. Mais ce n’est pas le silence qui effacera le passé car c’est en nous maintenant et pour toujours ».

« Oui, la mort d'Agnès et l'acte odieux de son meurtrier a marqué au fer rouge l'école et la commune. Mais il ne faut pas réduire le collège seulement à ça. Car ici, avant, de grandes valeurs cohabitaient entre les murs tout comme les nombreuses nationalités et croyances religieuses qui se respectaient totalement ». Une ancienne employée du collège

Salle de classe du collège international Cévenol.
Les salles de classes figées dans le temps, les livres encore posés sur les tables. Photo par Nicolas Defay

En la mémoire d'Agnès Marin...

Un rassemblement est prévue ce mardi 16 novembre 2021 dès 17 heures. Le rendez-vous est fixé devant la discrète plaque commémorative d’Agnès Marin qui se trouve entre les bâtiments de l’ancienne administration du collège Cévenol.

« À chaque fois que je m’enfonce dans cette forêt, je ressens l’empreinte d’Agnès »

« Avant, ça grouillait de vie ici, livre sa compagne. Les élèves du collège Cévenol utilisaient la forêt comme un terrain de sport en courant sur les nombreux sentiers. C’était vraiment l’opposé de l’ambiance d’aujourd’hui ».

Sombrement, elle ajoute : « Après la disparition d’Agnès, je n’arrivais plus à venir dans ces bois que je connais très bien. Pendant des mois, je n’y suis plus retournée. Maintenant, à chaque fois que je m’enfonce dans cette forêt, je ressens l’empreinte d’Agnès. C’est comme si elle était toujours là, quelque part. Je sais que c’est une impression irrationnelle mais pourtant elle est là. Et je pense qu’elle est présente dans la mémoire de tous les habitants du Chambon ».

Photo par Nicolas Defay

« C’est vrai qu’on a voulu peut-être occulter cette histoire. Cette tragédie nous a terriblement touchés. Et c’est encore bien ancré dans nos cœurs et notre mémoire à tous. J’ai beaucoup d’émotion en parlant d’Agnès. C’était une fille si pleine de joie de vivre ». Témoignage anonyme d’une habitante du Chambon-sur-Lignon.

« Il y avait une angoisse que je n’oublierai jamais »

Si rares sont les bouches qui acceptent de souffler sur la poussière du passé, leurs témoignages restent imbibés d’une forte émotion, des sentiments encore écorchés par la perte de la jeune fille. « Je me rappelle très bien de cette journée du 16 novembre 2011, partage une habitante quinquagénaire souhaitant restée anonyme. Nos enfants, nous-mêmes et toute la population du Chambon sommes partis aussitôt après avoir eu vent de la disparition d’Agnès. Ensemble, pendant des heures, nous avons fouillé partout en hurlant son nom dans le lotissement et les bois autour du collège. On cheminait un peu à l’aveuglette sans savoir où chercher précisément jusqu’à ce que la gendarmerie arrive ».

Luttant contre le tremblement de sa voix, elle continue : « Nous avons été tous solidaires, tous prêts à donner notre temps pour la retrouver. C’était la nuit, dans la forêt et le froid. L’ambiance était lourde et pesante. Et il y avait une angoisse que je n’oublierai jamais ».

Dortoir du collège cévenol totalement à l'abandon.
L'ancien dortoir, comme les autres bâtiments, est laissé à l'abandon. Photo par Nicolas Defay

« Quoi qu’on fasse, ce drame est un pan de l’histoire du village »

Aujourd’hui, les bâtiments gris du collège s’adossent, tristes et orphelins, contre la forêt cévenole. Plus aucun élève n’est revenu depuis le 11 juillet 2014, date de la fermeture définitive de l’établissement scolaire. En 2015, des promoteurs chinois ont racheté une grande partie du parc. Et pendant près de 5 ans, ils ont œuvré pour que le lieu reprenne un tant soit peu la vie. Le couple asiatique exposait les créations d’artistes en tout genre. Il y avait même un restaurant chinois en contrebas, niché entre les murs d’une belle et imposante bâtisse. Depuis le premier confinement, ils ne sont plus jamais revenus d’après les randonneurs.

« Je suis triste de voir ce qu'il est advenu du collège. Récemment, j'ai vu des photos qui montrent son état actuel. Et je suis atterrée de voir que ce lieu que je n'ai cessé de présenter comme un générateur de fraternité internationale pendant ses 75 ans d'existence soit ainsi délaissé ». Une ancienne employée du collège

L'ensemble des bâtiments sont à présent dans un total abandon. Le vent siffle à travers les vitres cassées et les portes à demi ouvertes. Ils ressemblent à de gigantesques tombes dressées là, figés dans le temps et la rouille de l’Histoire. « Agnès, c’est comme si elle flottait au-dessus du Chambon, murmure encore cette habitante aux yeux bleues chargés de larmes. Il faut garder en mémoire ce qu’il s’est passé, ce 16 novembre 2011. Car, quoi qu’on fasse, ce drame est un pan de l’histoire du village. Agnès, elle sera toujours là, à faire partie de nos vies et de celles des générations à venir ».

La forêt Cévenole au Chambon-sur-Lignon.
La forêt Cévenole au Chambon-sur-Lignon. Photo par Nicolas Defay

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