Nouvelle PAC : les orientations de la France divisent

Par Annabel Walker , Mise à jour le 02/06/2021 à 06:42

C’est l’une des grandes nouveautés de la nouvelle Politique agricole commune en discussion : chaque État membre pourra désormais l’adapter en fonction des besoins de son territoire. Mais les choix opérés par le Gouvernement français ne satisfont pas tous les agriculteurs, notamment de la Confédération paysanne 43 et de l’association Haute-Loire biologique qui manifestent à Paris. La FNSEA / J.A. et la Coordination rurale, elles, sont plus nuancées.

Ce jeudi 27 mai 2021, une dizaine d'éleveurs de Haute-Loire de la Confédération paysanne ont rejoint leurs quelque 200 homologues pour manifester à Paris. Le lieu choisi ? Le siège de Pôle Emploi « car la réforme de la Politique agricole commune qui se profile continue de soutenir les hectares, au détriment des emplois », soutient le syndicat. 
La Conf’ réagit ici aux annonces du Gouvernement. Le 21 mai, au terme d’un grand débat public, le Ministre de l'agriculture Julien Denormandie a dévoilé les premiers arbitrages français pour son Plan Stratégique National (PSN). Car c’est l’une des grandes nouveautés de la nouvelle PAC en négociations : chaque État membre pourra adapter la PAC aux spécificités de son territoire. En effet, à 27 on ne peut plus appliquer la même recette partout, façon taille unique.

> Voir les premiers arbitrages français proposés pour la future PAC

« - Pour appuyer l’installation des jeunes agriculteurs, le pourcentage de l’enveloppe des paiements directs réservé pour le paiement jeunes agriculteurs sera porté de 1 % à 1,5 %. Ce paiement sera alloué sous forme forfaitaire et non plus à l’hectare, pour accompagner toutes les installations.
- Dans un souci de consolidation, le pourcentage d’enveloppe alloué au paiement redistributif, et ses modalités, seront maintenus (10 % de l’enveloppe, aide payée sur les 52 premiers hectares), celui-ci étant particulièrement significatif dans une logique de prise en compte de l’actif dans l’octroi des paiements directs.

L'impact de ces arbitrages sur les élevages de montagne :
"L’agriculture de montagne continuera d’être fortement soutenue à travers l’indemnité compensatoire pour handicaps naturels (ICHN). À l’intérieur de cette enveloppe, ce sont près de 700 M€ qui seront ainsi versés en zone de montagne chaque année pour compenser la plus faible productivité de ces zones.
Cette indemnité est maintenue aussi bien dans son ciblage que dans son budget de 1,1 milliards d’euros. Ce dernier est conservé, malgré la baisse du taux de financement européen qui passe de 75 % à 65 %, grâce à l’effort de l’État dont la contribution augmentera à due proportion, à hauteur de 108 millions d’euros.
Ce soutien massif permet tout à la fois de maintenir des exploitations viables en zone de montagne et compte tenu des modalités d’octroi, d’encourager en particulier l’élevage extensif, à forte autonomie et peu d’intrants.
S’agissant du premier pilier, les zones de montagne bénéficieront également de la convergence du paiement de base, ainsi que de la convergence induite par l’écorégime. Pour l’accès à l’éco-régime, les exigences sur les prairies permanentes sont bien adaptées aux zones de montagne, reconnaissant ainsi les services qu’elles rendent en matière de stockage carbone et de biodiversité.

Conversion vers l’agriculture biologique :
Afin de contribuer à l’atteinte de l’objectif de développement des surfaces en agriculture biologique au niveau européen, une enveloppe d’aides à la conversion de 340 millions d’euros par an en moyenne sur la période sera attribuée au titre du second pilier de la PAC. Le montant des soutiens spécifiques à l’agriculture biologique est donc augmenté de 36 %, l’enveloppe précédente était de 250 millions d’euros. L’objectif est d’atteindre au moins 18 % de la surface agricole française en bio à l’horizon 2027.

Le ministre a également souhaité créer une aide aux petits maraîchers dotée de 10 M€ pour  aider ces petits producteurs, le plus souvent en circuit court et dans des logiques d’approvisionnement de proximité. Cette aide viendra compléter le soutien accordé à cette filière par des programmes opérationnels pour structurer collectivement une offre de qualité.

Le paiement redistributif, soit un paiement sur les 52 premiers hectares, et l’enveloppe de ce  paiement à 10 % des paiements directs sont  maintenus. La mise en œuvre de plafonnements sur certaines aides couplées ou l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) perdureront également. »

Ce mercredi 2 juin, une nouvelle manifestation contre les premiers arbitrages de la France est organisée à Paris. Cette-fois, c’est l’association Haute-Loire Biologique, peu habituée des manifestations, qui appelle ses adhérents à participer.

> Le coup de gueule de Haute-Loire Biologique :

Pour comprendre la PAC

Le 10 mai dernier, le Centre d’Information Europe Direct (CIED) de la Haute-Loire a organisé un débat en visio conférence sur la PAC avec Emilie Chevalier. La maître de conférences en droit de l’Union européenne à l’Université de Limoges a posé les jalons de cette politique qui représente aujourd’hui 37 % du budget européen. «La France en est le premier bénéficiaire », commence-t-elle, soit environ 20 % de l’enveloppe globale (contre 12 % pour l’Espagne ou encore 10 % pour l’Allemagne). « La PAC est née en 1962 quand il fallait accroître les rendements agricole afin de sécuriser l’alimentation des citoyens européens et atteindre l’autosuffisance », poursuit-elle.
Les aides se basent jusqu’à maintenant sur le nombre d’hectares : plus on a de terres, plus on reçoit d’aides. « La conséquence a été de supprimer les petites exploitations au profit des grandes exploitations », constate Emilie Chevalier. Aujourd’hui, en France, la moitié des fonds européens vont à 20 % des exploitants car ils détiennent 50 % des terres. C’est pourquoi la Confédération paysanne souhaite que les aides à l’hectare soient plafonnées et dégressives pour encourager les structures à taille humaine. « Aujourd’hui en Haute-Loire, il y a trois départs de la profession pour une installation et les terrains partent à l’agrandissement des exploitations existantes, déplore Adria Gomez, le porte-parole de la Conf’ 43, mais il est encore temps de freiner. »

Selon la Confédération paysanne, les premiers arbitrages français auront pour effet « de continuer à perdre 10 000 à 15 000 paysannes et paysans par an », autant de futurs chômeurs toquant à la porte de Pôle emploi. 
Pour Adria Gomez, le porte-parole en Haute-Loire, le Gouvernement fait preuve « d’incohérence et d’immobilisme » : « Les premières propositions françaises ne sont pas à la hauteur des enjeux pour une meilleure répartition des aides publiques qui représentent tout de même 9 milliards d’euros pour le budget français. Pour des paysans nombreux et bien rémunérés sur notre territoire, la Confédération paysanne de Haute-Loire défend des propositions fortes pour chaque actif : un plafonnement pour avoir tous un peu plus sur nos fermes à taille humaine. Une vraie reconnaissance du métier par le biais d’une aide forfaitaire dès le premier hectare pour tout exploitant à titre principal. Une revalorisation des 52 premiers hectares et des 50 premières UGB (Unité de Gros bétail) pour soutenir les éleveurs et les éleveuses qui subissent prix bas et crises à répétition.
Malgré la répression policière d’une action syndicale légitime, nous avons tout de même réussi à obtenir un rendez-vous avec un conseiller d'Emmanuel Macron. La Conf 43 reste déterminée à gagner une PAC juste pour l’ensemble des paysans et paysannes du département. »
La Confédération paysanne revendique :
- La revalorisation du paiement redistributif sur les 52 premiers hectares, avec transparence pour les GAEC (groupement agricole d'exploitation en commun) ; aujourd'hui il est bloqué à 10 % des aides surfaciques du premier pilier alors qu'il aurait dû monter à 20%.
- Le ciblage des premiers animaux et des premiers hectares dans les modalités des aides grâce à des mécanismes de dégressivité et à un plafonnement efficace (la PAC n'est pas là pour subventionner les rentes foncières !)
- L'activation d'une aide forfaitaire aux petites fermes à 5000 € par actif avec transparence GAEC.

Une dizaine d'éleveurs de la Confédération paysanne 43 ont manifesté à Paris le 27 mai 2021.
Une dizaine d'éleveurs de la Confédération paysanne 43 ont manifesté à Paris le 27 mai 202 Photo par Confédération paysanne 43

Parmi les départs, il y a les départs en retraite, les reconversions professionnelles mais aussi les suicides. Plus de 370 agriculteurs mettent fin à leurs jours chaque année en France. Il faut dire qu’un tiers d’entre eux gagnent moins de 350 euros par mois. « Les fonds européens représentent environ la moitié des revenus moyens des agriculteurs, explique Fabien Volle, porte-parole altiligérien de la Coordination rurale, c’est grave d’en arriver là, d’être dépendants. C’est d’ailleurs la première base de notre syndicat : pouvoir vivre de notre métier, malheureusement les prix mondiaux ont la mainmise sur les produits. » Il remarque tout de même que parmi les petits maraîchers possédant moins de quatre hectares, peu réclament les aides européennes pour ne pas avoir à vivre le « parcours du combattant » de la paperasse et les quelque 5 000€ à débourser dans les cinq ans de l’installation puisqu’il faut rendre des comptes.

> Voir la position de la Coordination rurale

Outre la marge de manœuvre laissée aux États membres pour mettre en musique leur part du budget, la nouvelle PAC présente une autre nouveauté : les éco-régimes pour des pratiques encore plus vertueuses par rapport à l’environnement. Il ne s’agit pas seulement d’agriculture biologique. Chaque pays décide quoi y inclure ; l’UE ne contrôlera que les résultats et non plus les moyens. Après les premiers arbitrages français, l’association Haute-Loire Biologique s’insurge : «  En rabaissant l’agriculture biologique au même niveau que la certification Haute-Valeur Environnementale (HVE), Julien Denormandie occulte le rapport officiel de l’Office Français de la Biodiversité qui affirme que la certification actuelle HVE peut s’obtenir sans amélioration environnementale réelle sur les fermes. » 
Ces éco-régimes représenteront 20 à 30 % du budget total de la PAC. La France souhaitait qu’ils soient obligatoires. Ils ne seront que volontaires mais « à l’opposé d’un bonus précédemment, si un agriculteur n’applique pas les éco-régimes, il ne touchera pas la totalité de ses aides », précise Emilie Chevalier.

Des aides à l’actif plutôt qu’à l’hectare

Quant à la FDSEA 43, Thierry Cubizolles remercie les élus de zones de montagne qui ont obtenu le maintien de l’enveloppe de l’indemnité compensatoire pour handicaps naturels (ICHN) puisqu’elle sera maintenue à 1,1 milliards d’euros. Il regrette que la PAC s’oriente vers une baisse des aides animales au profit du végétal puisque l’agriculture altiligérienne est essentiellement composée d’élevage, notamment bovin. L’UE souhaiterait en effet subventionner d’avantage la production de protéines végétales (luzerne, trèfle… pour nourrir les animaux). Selon Thierry Cubizolles, « c’est une utopie de croire que la protéine végétale française va se substituer au soja d’Amérique parce qu’on aura pas autant de rendement à cause des restrictions phytosanitaires » d’autant que « dans le secteur broutards les prix se cassent la figurent ». Le président de la FDSEA43 déplore aussi que le verdissement de la PAC risque d’imposer des règles supplémentaires aux agriculteurs de Haute-Loire, un département occupé en très grande majorité par de l’herbe destinée à nourrir les animaux (et peu de cultures de céréales de vente) or « l’herbe est déjà quelque chose de vertueux ». Enfin, il souhaite, lui aussi, des aides à l’actif plutôt qu’à l’hectare.

> Voir la position de la FNSEA

Chaque État membre doit finaliser son PSN avant la fin de l’année 2021. Le budget a déjà été voté en décembre dernier : 370 Mds € (un budget stable malgré le départ du Royaume-Uni grâce à la rallonge du Plan de relance Covid). Les nouvelles règles de répartition devaient s’appliquer de 2021 à 2027. Leur entrée en vigueur a été reportée au 1er janvier 2023. L’échéance de fin pourrait s’étendre jusqu’en 2030. 

Photo par Ministère de l'Agriculture
  • Portrait de l'agriculture en Haute-Loire

Maryse Descloux du Centre d'Information Europe Direct Haute-Loire dresse le portrait de l'agriculture dans le département : « Les surfaces agricoles représentent 47 % du territoire de la Haute-Loire consacrés principalement à l’élevage bovin (laitier et à viande) et ovin à viande. Le département compte deux labels européens (Appellations d’origine protégée) : la lentille verte du Puy et le Fin Gras du Mézenc. L’agriculture représente 400 M€ de chiffre d’affaires annuel en Haute-Loire, ce qui est non négligeable. Sur les quelque 5 000 exploitations, 58 % sont de taille moyenne ou grande avec 69 hectares de surface agricole utile en moyenne. 12 % de la surface agricole utile du département (soit 498 exploitations) relèvent de l’agriculture biologique. »

 

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