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Le faux procès des vautours en Haute Loire

Par Laetitia Dubois , Mise à jour le 24/07/2021 à 12:00

La mauvaise réputation des vautours continue d'alimenter le débat entre éleveurs. Deux camps s'affrontent. La LPO souhaite faire une mise au point sur cet animal nécrophage soutenu par certains éleveurs, comme Claude Vérots, éleveur porcin et ovin à Rosières et futur membre du réseau Paysans de Nature. Rencontre.

"Il faut comprendre le vautour pour ne pas en faire un bouc émissaire", indique Marine Schmitt de la LPO (Ligue Protectrice des Oiseaux). Régulièrement observé depuis une quinzaine d'années sur les montagnes d'Auvergne, le vautour fauve y trouve les ressources nécessaires pour s'alimenter ponctuellement sans toutefois bénéficier des conditions requises pour nicher. Mais il bénéficie d'une mauvaise réputation renforcée par le témoignage de certains éleveurs qui l'accusent d'attaquer les troupeaux.

Un animal incompris

Selon la LPO, le comportement des vautours, grégaire qui vit donc en colonie, est mal connu : "Ils sont très grands, peuvent être nombreux, se querellent bruyamment quand ils nettoient une carcasse". De ce fait, il arrive souvent de mal interpréter ce qui se passe et de penser à tort qu'ils ont causé la mort de l'animal.

Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, le vautour possède de grosses pattes qui n'ont aucune force et qui ne lui permettent pas de saisir quoi que ce soit (même les branches pour son nid, il les transporte avec son bec). "S'il arrive que dans de rares cas, il consomme un animal avant que celui-ci ne soit cliniquement mort, c'est qu'il s'agit d'un animal condamné, agonisant ou en situation de détresse extrême", précise Marine Schmitt.

Car le vautour, qui surveille un territoire immense sur près de 500 000 hectares et à très haute altitude, n'accède à sa nourriture au sol que si l'animal ne bouge plus, mort ou agonisant, sans signe de mouvement. En outre, le vautour attend le passage des autres charognards, tels que la pie bavarde, le milan royal ou encore le grand corbeau, afin de ne pas descendre pour rien.

"Ce sont les nettoyeurs de la nature. Ils possèdent donc un rôle sanitaire indispensable dont ils s'acquittent rapidement et très efficacement". Claude Vérots

Un allié pour les agriculteurs et pour l'environnement

Selon Claude Verots de la Gaec l'Esparcette : "Il faut vivre en harmonie avec le vautour". Claude Vérots est un agriculteur engagé et visionnaire : "L'exploitation intensive, c'est fini. Je mise sur la qualité et le respect de l'environnement avant tout". Bénévole depuis des années à la LPO, Claude Vérots revendique les bienfaits d'une cohabitation avec le charognard tant décrié.

Grâce à son régime alimentaire peu commun, il permet un équarrissage naturel. Comme ils agissent en groupe, ils peuvent nettoyer une carcasse de brebis en moins de 10 minutes. Ils empêchent ainsi la contamination par putréfaction prolongée des cadavres et évitent la propagation de maladies dans l'environnement.

"Ce sont les nettoyeurs de la nature, ajoute l'éleveur. Ils possèdent donc un rôle sanitaire indispensable dont ils s'acquittent rapidement et très efficacement". De plus, le vautour a développé un système digestif qui fait de lui un "cul-de-sac épidémiologique", c'est-à-dire que tout élément pathogène est dégradé par le pH de son estomac (autour de 1 donc très acide) et ne se retrouve pas dans les fientes.

"Ce n'est pas dur de vivre avec le vautour. Une solution serait d'installer des placettes d'équarrissage" Claude Vérots

Permettre les placettes d'équarrissage

"Le vautour a le dos large. Il n'attaque que du mort sinon il anticipe une mort prochaine", justifie Claude Vérots. Il a entendu parler d'attaques sur les bêtes faiblardes : "Ces bêtes avec ou sans vautours seraient mortes", appuie Marine Schmitt : "Il n'y a jamais eu la preuve que les vautours aient attaqué un troupeau". L'éleveur considère que le grand corbeau est un fléau bien plus dangereux pour les troupeaux que le vautour : "Ce n'est pas dur de vivre avec le vautour, une solution serait d'installer des placettes d'équarrissage", confie l'agriculteur.

Dans les Causses, les placettes permettent une meilleure cohabitation entre l'animal et l'homme. Actuellement, elles ne sont pas autorisées en Haute Loire. "Pourtant, l'équarrissage traditionnel coûte cher aux contribuables", soulève Claude Vérots.

Dans les Grands Causses, la dernière étude réalisée sur l'évaluation des interactions entre le vautour et le cheptel domestique montre que sur 156 plaintes qui ont fait l'objet d'un constat détaillé, 82 ont été assorties d'une expertise vétérinaire. Celles-ci ont confirmé l'intervention de vautours dans 63 cas. Parmi elles, 42 sont survenues après la mort de l'animal, 6 cas restent incertaines. Et dans 15 cas, les vautours sont intervenus du vivant de l'animal : 10 concerneraient des animaux moribonds, 3 des victimes présentant des blessures superficielles bénignes et 2 cas restent indéterminés.

2 500 couples de vautours dénombrés en France en 2019.
Lieux de reproduction : Grands Causses, Verdon, Baronnies, Vercors et Pyrénées.
Moins d'une centaine observés en Haute Loire en 2020.
Durée de vie : 20 à 30 ans.
Taille : 2,40 à 2,70 mètres ailes déployées.
Poids : 7 à 11 kg.
Rapace diurne et grégaire.
Ration quotidienne : 500g.
Quantité maximum par repas : 1,5kg.
Peut jeûner jusqu'à quinze jours

La prévention est de mise

Selon Claude Vérots, dans le département de Haute Loire, les vautours n'ont pas faim et les troupeaux restent dans une proportion raisonnable : "Ce n'est pas le cas dans les Pyrénées où les vautours ont faim et viennent parfois d'Espagne où les placettes d'équarrissage ont été interdites du jour au lendemain sans raison apparente. Souvent les troupeaux sont trop importants. 2 000 brebis, c'est trop !"

Se prémunir est également une solution, comme renforcer la vigilance lors des mises bas et pour les animaux en situation de faiblesse. "Il faut éviter les éléments attractifs tels que les cadavres ou les restes d'animaux à proximité immédiate des troupeaux, appuie l'éleveur. Il ne faut pas laisser les bêtes seules si elles sont fragiles".

"Ne faisons pas, ni des éleveurs, ni des vautours, des boucs émissaires"

Les agriculteurs, et encore plus les éleveurs, subissent des conditions économiques, climatiques et sanitaires difficiles. Citons le système de rémunération des éleveurs et les prix imposés qui ne sont pas équitables. Ils doivent également faire face à des années de sécheresse ou à des pullulations de campagnols ainsi qu'à la crise sanitaire qui a bouleversé certains débouchés : "Ne nous trompons pas de cibles ! Ne faisons pas, ni des éleveurs, ni des vautours, des boucs émissaires", ajoute la représentante de la LPO.

Depuis de nombreuses années, la Ligue pour la Protection des Oiseaux s'enorgueillit de faire appel à l'Etat, aux collectivités, à l'Europe pour soutenir une agriculture de qualité : "Ce sont nos choix en tant que consommateur qui permettront le développement d'une agriculture respectueuse des producteurs, des citoyens et de la biodiversité !", affirme Marine Schmitt.