'''J’étais parfois la seule personne qu’ils ont vue de tout le mois'''

dim 03/05/2020 - 11:04 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:04

« Les deux premières semaines, j’ai eu peur », confesse Lucie Langlet, aujourd’hui avec le sourire. Au tout début du confinement, ne pas savoir quoi faire, le temps de recevoir les consignes de sa hiérarchie de l’association UNA 43 Sainte-Elisabeth, a été stressant. Et puis le manque de masques qui se prolongeait. « Le secteur des services à domicile n’a pas été jugé prioritaire, regrette la Valladière de 39 ans, c’est toujours comme ça, on passe toujours après ; après les hôpitaux, les EHPAD… j’espère juste que mes collègues des zones les plus touchées ont reçu des masques plus tôt. » Mais avec une moyenne de dix clients par jour sur le secteur Le Puy-en-Velay Sud, Lucie Langlet a dû travailler pratiquement sans masque pendant 15 jours. « C’est sûr que j’étais moins sereine qu’aujourd’hui, je voyais beaucoup de monde fin mars », reconnaît cette mère de famille qui s’imaginait potentiellement porteur sain avec le risque de contaminer son entourage et ses clients.

----Depuis le mardi 14 avril, l’association UNA43 a mis en place un nouveau service destiné aux personnes fragilisées pour les soutenir dans leur quotidien durant la période de confinement : UNA43 Assistance Solidarité et Entraide Covid19 au 04 71 09 24 25.-----Du gel hydroalcoolique et des gants, elle n’en a jamais manqué. Parfois, les aides soignantes ou infirmières qui interviennent aux domiciles de ses clients lui laissaient des masques chirurgicaux. Les familles aussi. Quant aux blouses, elle doit en changer entre chaque client. Alors elle alterne entre des surblouses en plastique et ses blouses en tissu (qu’elle remet pour le même client si elle y retourne une deuxième fois dans la journée). Aujourd’hui, elle dispose même de masques FFP2 en cas de suspicion de contamination chez un client.

"Certains voulaient qu’on décape tout"
Quant à la désinfection, c’est une charge de travail supplémentaire qu’elle a dû intégrer à son planning sans avoir pour autant plus de temps alloué à cela. Au détriment du relationnel ? « On se débrouille toujours, sourit-elle, on discute en désinfectant. » Certains clients lui demandent-ils si elle s’est bien lavé les mains ? « Non, ils nous voient toute l’année, la plupart ont confiance... à part quelques maniaques », rit-elle. Quand elle arrive avec des courses, elle enlève les emballages et fait place nette en nettoyant. « Certains voulaient qu’on décape tout, je leur ai dit : pas de javel », se souvient-elle.

Les courses d’ailleurs, elle n’y emmène plus ses clients. « Pendant le premier mois, certains ne sont pas sortis du tout, regrette-t-elle, surtout au début, sans masque, on évitait les sorties ». D’autant qu’il n’y avait plus d’accueil de jour. Au lieu d’emmener les clients à la Maison Nazareth, avenue Foch, il fallait aller les voir plus souvent. Il n’y a guère que les personnes atteintes d’Alzheimer, première phase, qui sortaient encore car elles ne comprennent pas le confinement. « Mais elles ne vont pas bien loin », rassure Lucie Langlet qui a une pensée pour ses collègues qui ont des clients avec des problèmes d’alcool ou de drogues, ou des pathologies psychiatriques.
----L’association UNA43 œuvre depuis plus de 70 ans en Haute-Loire.
Aux derniers chiffres 2019, elle compte :
- Près de 1 500 personnes aidées par an dans 76 communes du département
- Plus de 130 000 interventions réalisées à domicile chaque année (et plus de 170 000 heures d’intervention)
- Près de 170 salariés dont 96% en CDI
- 5 implantations dans le département : Le Puy, Brives-Charensac, Saint-Paulien, Brioude et Langeac
-----Les visites de proches ou de voisins, à distance, derrière un portail ou une fenêtre, elles, sont rares. « Les familles ont peur de contaminer leurs aînés alors, pour certains clients j’étais la seule personne qu’ils ont vue de tout le mois ». Et comme l’autorisation de visites de proches en EHPAD, accordée depuis le 20 avril, ne s’applique pas aux personnes âgées à domicile, certaines familles attendront sûrement le 11 mai pour enfin approcher leurs aînés. Des seniors qui ont bien cru qu’ils devraient encore rester cloîtrer chez eux après le 11 mai quand ils ont entendu le président de la République les exclure du déconfinement le 13 avril dernier, aux côtés des personnes au handicap sévère et maladies chroniques. Mais finalement, ce choix est laissé à la responsabilité de chacun. « Ça me paraît mieux, souffle l’auxiliaire de vie, parce que parfois l’isolement peut être pire que la maladie ». La plupart de ses clients très âgés, au-delà de 90 ans, ne s’inquiètent d’ailleurs pas vraiment d’attraper le virus : « Ils me disent qu’il faut bien mourir de quelque chose ! »

D’autres angoissent plus que de raison. « Certains regardent les info à la télé toute la journée, confie Lucie Langlet, c’est anxiogène, ils suivent le nombre de décès du Covid en EHPAD [Plus de 9 270 à ce jour au plan national, Ndlr], alors on essaie de leur changer les idées, je leur conseille des films gais au programme TV, je les aide à appeler leur famille ; pas facile pour ceux qui sont sourds ! » D’autant que certains ont peur pour leurs proches vivants dans des départements bien plus touchés que la Haute-Loire. Quant à les aider à passer un appel vidéo via Skype ou WhatsApp, « ils n’en sont pas là ! Déjà que le téléphone portable, ils connaissent pas trop ! Même pour la téléassistance parfois c’est difficile de leur faire adopter, mais j’ai des collègues qui ont fait des appels Skype pour leurs clients. »

"A 20h, je ne sais pas si les gens pensent à nous"
Pendant le premier mois de confinement, la direction d’UNA43 a décidé de suspendre les visites des aides ménagères. « Alors nous, les auxiliaires de vie, on essaie de se rendre plus présentes, même si on est moins nombreuses avec les arrêts », explique Lucie Langlet après avoir amené un paquet de farine à une cliente pendant un jour de repos. Sachant qu’il est rare que les auxiliaires de vie aient deux jours de repos d’affilé par semaine. Les samedis sont travaillés au trimestre ; c’est le cas de Lucie Langlet pendant cette crise sanitaire. Plus deux dimanches par mois. « Et on ne récupère pas plus pour autant comme les aides soignantes ou les infirmières, on a juste nos cinq semaines de congés payés par an, rémunérés un peu plus du Smic quand on débute », nous renseigne-t-elle.

> Lire aussi : Aide à domicile : les salariés passent à l'action (08/01/2019)

Alors quand la population applaudit les soignants à 20h chaque soir, que ressent-elle ? « Je ne sais pas si les gens pensent à nous aussi, réfléchit-elle, depuis cette crise, on parle un peu plus de notre profession, au moins ça aura eu cet avantage, ça et le fait de pouvoir se garer facilement ! » lance celle qui doit payer le stationnement de sa poche en temps normal, même si « depuis peu la mairie du Puy nous fait une réduction » (et pendant le confinement le stationnement est gratuit au Puy).

Malgré tous ces inconvénients, l’auxiliaire de vie n’estime pas faire un métier ingrat. « Les clients et leurs familles nous remercient, ils nous offrent des fleurs, des chocolats... ». Et même si la fatigue se lit souvent dans ses yeux, elle conclut : « Après une bonne journée de travail, tu te dis que t’as fait quelque chose de concret ».

Annabel Walker

Cet article s'inscrit dans notre série de portraits de travailleurs mobilisés mais oubliés pendant cette crise sanitaire.

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