'''On ne sait pas si on aura encore du travail à la fin'''

, Mise à jour le 27/11/2020 à 09:04

Elle n’a pas perdu son sourire… bien qu’il se teinte parfois d’une pointe d’incertitude, d’inquiétude même. Anaëlle Brunet a 21 ans. Elle travaille depuis un peu plus de quatre ans comme vendeuse dans deux boulangeries du Puy-en-Velay : « Chez Mathieu & Nathalie », en face de l’église Saint-Laurent (où sont confectionnés les pains et pâtisseries) et au « Salon de thé », rue Pannessac. C’est dans cette dernière boutique que nous lui avons rendu visite à la fin de son service… dès 13h30. Car de nos jours, l’amplitude horaire a été revue à la baisse : 8h – 13h30 rue Pannessac mais 6h30 – 18h30 tout de même à Saint-Laurent. « Heureusement qu’on a Saint-Laurent, souffle la jeune vendeuse, avec la nouvelle place de la Libération, les gens se garent facilement pour acheter leur pain ». Si elle reconnaît que les boulangeries ont « la chance de ne jamais avoir dû fermer » comme bien d’autres commerces, elle sait aussi que le chiffre d’affaires a chuté de moitié. « J’espère que l’équipe restera, s’inquiète-t-elle, on ne sait pas si on aura encore du travail à la fin ».

> Pourquoi une série de portraits de travailleurs oubliés ?

L’équipe, elle, est composée de douze personnes, en comptant le couple de propriétaires. En ce moment, une seule personne travaille en boutique en même temps. Les autres sont au chômage technique, à raison d’une ou deux semaines par mois. Car des "coups de bourre" il n’y en a plus. « Avant on avait des pointes vers 10h puis entre midi et deux, là c’est plutôt vers 11h mais ce n’est pas régulier », témoigne Anaëlle Brunet. Difficile, donc, de prévoir l’afflux de monde, mais aussi les quantités à préparer. « Certains clients achètent leur pain pour la semaine et congèlent, d’autres viennent chaque jour, constate-t-elle, alors ça fait beaucoup de gaspillage ; on donne ce qui nous reste à des associations ».

Les mains desséchées par le gel
Parmi les clients, il y a ceux qui entrent sur la pointe des pieds, avec la crainte d’attraper le virus. « Certains me demandent si je me lave bien les mains régulièrement, ils posent des questions sur la façon de travailler des boulangers, alors je les rassure, je leur dis que les boulangers ne touchent que le pain. » Quant à ses mains, il suffit de les regarder de près pour voir les dégâts que provoquent le gel hydroalcoolique entre chaque client et le lavage au savon et à la brosse à ongles toutes les heures. « Je mets de la crème tous les soirs mais ça tire quand même », sourit la jeune femme. Heureusement, du gel, elle n’en a jamais manqué, grâce aux cartons d’avance habituels.

> Lire aussi dans notre série de portraits : Face au virus, les agents de sécurité modifient leur activité (21/04/2020)

D’autres clients seraient plutôt du genre "éléphant dans un magasin de porcelaine". Ceux-là n’ont que faire du sens de circulation matérialisé par des chaises et des écriteaux. D’autres, sans y penser, toussent puis tendent leur carte bancaire à la vendeuse, pas rassurée, prête à s’appliquer en vitesse sa dose de gel hydroalcoolique. « On privilégie le paiement sans contact, bien sûr, expose-t-elle, les terminaux de carte bancaire sont désinfectés régulièrement, et quand il n’y a pas le choix on prend les pièces mais les clients y pensent d’eux-mêmes généralement ».

----Le paiement sans contact est désormais autorisé pour des sommes jusqu’à 50 euros (au lieu de 30 euros précédemment).-----La désinfection, elle a pris une place considérable dans l’emploi du temps d’Anaëlle Brunet. « Dans l’alimentaire c’était déjà le cas, mais on le faisait midi et soir, maintenant c’est quatre fois par jour, indique-t-elle, et ça nous a rajouté les poignets de portes ; avant on les faisait une fois par semaine avec les vitres, maintenant c’est matin, midi et soir et entre deux clients espacés ». Dans la même idée, les brioches d’ordinaire exposées à hauteur des visages des clients ont été descendues derrière la vitre. Le plexiglass au comptoir, lui, est arrivé récemment grâce à l’aide de la Région. « On l’a attendu un moment après la commande mais je suis contente qu’il soit là », glisse-t-elle derrière son masque en tissu fait main.

"Plus aucun client ne s’arrête en passant juste pour dire bonjour"
Quand on lui demande si elle ne se sent pas oubliée des applaudissements de 20 heures pour les soignants, Anaëlle Brunet reconnaît que ça lui donnerait du baume au cœur d’être inclue, elle qui tape sur ses casseroles à sa terrasse de Saint-Germain Laprade, emboîtant le pas de ses voisins qui chantent la Marseillaise. Pour d’autres voisins, plus âgés, elle ramène une baguette de temps en temps, ainsi qu’à sa grand-mère pour qui elle fait les courses. C’est l’un des points positifs qu’elle retiendra de cette sombre période : « ça m’a rapprochée de ma famille, remarque-t-elle, avant on avait chacun notre vie, notre travail, on ne pensait pas à s’appeler plus d’une fois par mois, maintenant c’est une fois par semaine ». De quoi, peut-être, compenser la perte de lien social à la boulangerie, la raison même pour laquelle Anaëlle Brunet a choisi ce métier. « Plus aucun client ne s’arrête en passant juste pour dire bonjour, faire la bise, prendre le café avec moi le matin... »
Et après l’épidémie ? « Je pense que les gens resteront méfiants, mais c’est dur d’imaginer à quoi va ressembler la société après, personne ne sait ». En tout cas, ce que la jeune vendeuse espère, c’est que la ville retrouvera sa gaieté : « qu’il y ait à nouveau de la musique cet été, de l’animation, Puy de lumières… tout ça ! » lance-t-elle avec un dernier mot, un message de courage à tous.

Annabel Walker

Nous avions déjà rencontré Anaëlle Brunet en novembre 2018, juste avant qu’elle ne décroche la 4ème place à la finale nationale du Trophée des talents du conseil et de la vente.
> Lire : Vendeuse en boulangerie, un métier passion pour une jeune Ponote de talent (22/11/2018)

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