"On a changé l'image que Paris donnait du monde rural et qui se résumait en un mot: des bouseux"

Par Olivier Stevens , Mise à jour le 20/10/2021 à 06:30

L'ancien maire de Laussonne, Pierre Gentes livre, en deux tomes, son "Carnet de route d'un maire rural", un recueil de réflexions, de décisions, de relations humaines et d'écueils aussi. Des combats toujours menés avec engagement et passion.

Son mandat d'adjoint et ses trois mandats de maire représentent un quart de siècle de vie au service de la commune de Laussonne.

La défense des territoires ruraux a été au centre de son engagement.

Rencontre avec un homme de terrain et de fidélité à ses racines.

C'est sur ses terres de Laussonne, au café-restaurant Le Saint-Florent, en face de l'église du village que nous rencontrons Pierre Gentes qui fut trois fois maire du village. 

C'est un métier où l'on donne beaucoup de sa personne

Pierre Gentes, pourquoi avez-vous écrit ce livre?

Ce livre, - ces livres puisque le second tome paraîtra fin de ce ce mois -, constitue d'abord un ensemble de témoignages, des moments de vie de maire au contact de la population. J'y raconte les moments difficiles de la vie d'un élu local, les moments agréables aussi. Ce n'est pas un roman, je raconte des faits réels. Durant 25 ans, j'ai beaucoup écrit, j'ai pris des notes presque au jour le jour. Je les restitue ici dans un ensemble cohérent qui peut être utile à tous les élus ruraux.

Quel regard posez-vous sur votre expérience?

C'est un métier, ou plutôt une charge et une servitude, où l'on donne beaucoup de sa personne. C'est une école d'humilité. L'écoute est indispensable. J'ai eu la chance de m'être aussi beaucoup investi dans le milieu associatif pour me former au contact des gens.

Il y a eu une sorte d'inflation de la demande, le travail de maire est plus compliqué

Avez-vous vu une évolution sur 25 ans?

Bien entendu. Je suis un ancien. Mes parents étaient agriculteurs. J'ai connu l'époque des gardes-champêtres et celle du triumvirat instituteur - maire - curé, qui jadis étaient de véritables personnalités dans les villages. Les trois étaient de vrais patrons chez eux.  Aujourd'hui, ce n'est plus vrai. Les conseils d'école, par exemple, sont arrivés en 2001. Au fil du temps, les lieux de pouvoir ont changé. Dans ce cas-ci, le pouvoir est quasi passé dans les mains des parents d'élèves. Il y a eu une sorte d'inflation de la demande, le travail de maire est plus compliqué, car notre budget est toujours très limité.

Vous dites souvent qu'un maire doit savoir tout faire. Pourquoi?

Si on est exigeant avec soi-même, il faut beaucoup travailler avant de se lancer dans un mandat électif. Le maire -ou son adjoint- ne peut pas débarquer sans des savoirs bien précis. La secrétaire de mairie n'est pas là pour pallier ses manques, c'est lui qui doit se former au droit, à l'économie, à la gestion.

"Faites attention, vous êtes en train de supprimer ce à quoi les gens tiennent."

Durant votre carrière, vous avez connu la régionalisation et l'importance croissance des communauté d'agglomération. Qu'est-ce que ces réformes ont changé?

J'ai connu les deux derniers actes de la régionalisation amorcée en 1982 par Gaston Deferre. A mes yeux, elle est plutôt positive. Les lois Deferre ont donné le pouvoir aux Régions. Avant, c'était les préfets qui étaient le référent de l'Etat. Aujourd'hui, il y a le triptyque Commune-Département-Région mais la structure centralisatrice est toujours restée.

Le vrai changement à notre échelle a été l'intercommunalité. L'apparition des communautés de communes en 1994.  En 2010, sous Sarkozy, l'acte 2 prévoyait la disparition des communes, des maires et des départements mais Hollande n'a heureusement pas poursuivi dans ce sens.  J'avais d'ailleurs dit à l'époque: "Faites attention, vous êtes en train de supprimer ce à quoi les gens tiennent." L'intercommunalité doit rester un outil au service des communes. Hélas!, la politique s'est immiscée dans ces structures.

Les conséquences ont été l'apparition des baronnies régionales et la domination des technocrates, non élus, des communautés d'agglomération...

Cette évolution, ce manque de représentativité élective, a  eu deux conséquences: l'abstention massive et la montée des extrêmes. Les gens ne vont plus voter et expriment leur mécontentement par un vote protestataire radical. On vote cependant toujours plus à la campagne qu'en ville.

Il n'y a plus d'écart de modernité entre les villes et les campagnes

Comment voyez-vous l'avenir de ce que Christophe Guilluy appelle "la France périphérique"?

Cette expression résume beaucoup de choses. Le monde rural s'est senti délaissé, oublié. On a beaucoup travaillé pour changer l'image que Paris donnait du monde rural et qui se résumait en un mot: "des bouseux".  Il n'y a plus d'écart de modernité entre les villes et les campagnes. Internet et les nouvelles technologies ne constituent plus un obstacle. En plus, nous avons des atouts importants et incontournables: la qualité de l'air, de l'eau et la qualité de la vie tout simplement. Pour changer cela on a été aidés par des scientifiques, des géographes. 

Il y a aussi un volet pédagogique dans votre ouvrage...

Oui. Je rends hommage aux élus, à leurs qualités. Il faut être précis, argumenter, expliquer, faire passer un message. Une décision ne se prend pas à pile ou face. Elle se construit. Pour cela il ne faut pas se résigner. Ne pas abandonner. Continuer la bataille, jour après jour.

Le livre de Pierre Gentes est en vente à la FNAC du Puy-en-Velay, dans les commerces de Laussonne, à l'Intermarché du Monastier-sur-Gazeille et au Carrefour Express de Lantriac.

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