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La fabuleuse histoire de Madame Retraite

Par nicolas@zoomdici.com , Mise à jour le 19/01/2023 à 06:00

« Au fait, c’est quoi l’histoire de la retraite en France ? » Ça, c’est la question qu’un enfant a demandé à la rédaction de Zoomdici. Et ça : «... », c’est le vide qu’a aussitôt ressenti l’équipe pour y répondre. Pour éclairer Mila, ses camarades de classe et finalement tous ceux qui se posent la question, voici une petite immersion dans la vie de Dame Retraite, de son premier cri en 1945 à son souffle fatigué d’aujourd’hui.

Ce jeudi 19 janvier 2023, une énième bataille se passe dans les rues pavées du Puy et de bien d’autres villes en France. Les raisons de la colère ? La réforme que le gouvernement souhaite appliquer à ce totem aussi âgé que malmené au fil de son histoire : la retraite.

« La retraite des vieux » par Philippe Pétain

Avant que ce gros bébé ne sorte des entrailles de la mère patrie en 1945, saviez-vous que sa conception a d’abord été pensée par...le Maréchal Pétain en 1941. En plein régime de Vichy, le militaire collaborationniste voulait que soit mise en place « la retraite des vieux ». Selon ses propres termes : « Pour ceux qui ne possèdent rien, la modeste pension sera d’un grand soulagement. Pour ceux qui disposent déjà de quelques ressources, elle constituera le supplément qui les mettra à l’abri de la misère ».

Mais sous ces mots sucrés, la belle « solidarité de la nation, des classes et des âges » que promet Philippe Pétain ne sera qu’une illusion destinée à calmer les esprits des concitoyens. Selon l’historien Michel Pinguenet, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste reconnu de l’histoire du travail, « ce régime général de retraite continue de reposer sur la capitalisation et le restera jusqu'en 1945 ».

« Le régime par répartition ? C’est quoi ce truc ? »

À peine l’Hexagone a-t-il eu le temps de sécher ses larmes et de panser et penser ses plaies après l’immonde guerre nazie que la véritable révolution sociale s’impose au pays des Lumières. Les ordonnances du 4 et 19 octobre 1945 mettent bas la Sécurité sociale en France. Loin d’être une naissance unique, ce sont d’innombrables frères et sœurs qui voient le jour dont...le système de retraite. Et comme en 2023, cette assurance vieillesse à laquelle tous les salariés sont obligatoirement assujettis sera fondée sur le régime par répartition.

« Le régime par répartition ? C’est quoi ce truc ? », demande Mila, 7 ans, scolarisée à l’école de la République à Brives-Charensac. Pour faire simple, les pensions de retraite sont payées directement par les cotisations de ceux qui travaillent, qui se constituent eux-mêmes par leurs cotisations des droits futurs à la retraite.

Des pensions, oui, mais lamentables

Mais pour revenir aux aventures trépignantes de Madame retraite, il faut savoir que le rose n’a pas été sa couleur favorite. Et il faudra de nombreuses années pour que ce système couvre l'ensemble de la population et pour que la durée de cotisations soit suffisamment longue.

Les personnes âgées et celles qui prennent leur retraite à partir de 1945 reçoivent alors des montants très faibles. Au début des années 1960, une part importante de la population française vit dans la pauvreté. La situation des femmes qui ont peu ou pas travaillé est qualifiée de dramatique. 

La prise de conscience de ces situations et des évolutions démographiques conduisent les pouvoirs publics à confier à la Commission d'études des problèmes de la vieillesse. Le rapport Laroque publié en 1962 est resté l'acte fondateur visant à intégrer pleinement dans les politiques publiques les personnes âgées et l'allongement de l'espérance de vie.

En ce temps où la retraite était accordée dès 60 ans

Ensuite ? Des mesures sont prises dans les années 1970 afin d’améliorer leur montant. La durée de cotisation est notamment allongée et les dix meilleures années de salaire sont désormais prises en compte au lieu des dix dernières précédemment.

À la suite de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy abaisse l’âge légal de départ à la retraite de 65...à 60 ans. L’ordonnance du 26 mars 1982 fixe la retraite à 60 ans à partir du 1er avril 1983 moyennant 37,5 ans de cotisations.

De moins en moins d’actifs pour de plus en plus de retraités

La réforme des retraites devient dès lors une question centrale qui préoccupe tous les gouvernements. En 1991, le Premier ministre Michel Rocard tire le premier le signal d’alarme. Selon lui, le déficit de l’assurance vieillesse ne cesse de se creuser en raison d’un déséquilibre croissant entre cotisants et retraités. D’une part, le nombre des premiers diminue fortement en raison de la hausse du chômage. D’autre part, celui des retraités augmente considérablement en raison de l’allongement continu de l’espérance de vie.

L’espérance de vie en 1946 était de 66 ans pour les femmes et 61 ans pour les hommes. En 1990, les femmes vivent en moyenne jusqu’à 81 ans pour 73 ans pour les hommes. En 2022, elle est de 85 ans pour les femmes et 79 ans pour les hommes. Près d’un quart de la population française est désormais âgé de plus de 60 ans. Source : Insee

De la boxe à grand coup de réformes

Et bim ! À partir des années 1990, le système des retraites ne cesse alors d’en prendre plein la tête au fil des gouvernements qui se succèdent à la barre. En 1993, la réforme Balladur augmente la durée de cotisation nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein de 37,5 ans à 40 ans. Au feu les dix meilleurs années pour calculer les pensions. Elles seront désormais indexées sur les 25 meilleures années.

A la droite du ring, François Fillon

Et re-bim dix ans plus tard avec François Fillon. Le Ministre des affaires sociales (Sous la présidence de Jacques Chirac et le gouvernement Raffarin) fait passer le nombre d’année de cotisation à 42 ans en 2003 et profite de sa réforme pour aligner la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du secteur privé.

En 2007, les régimes spéciaux de retraite dont bénéficient les agents de grandes entreprises publiques (SNCF, RATP ou EDF) sont eux aussi réformés : la durée de leur cotisation est alignée sur celle des salariés du privé. Malgré tous ces profonds liftings sur le corps de Madame Retraite, les régimes de retraites français demeurent déficitaires.

Place au challenger Eric Woerth

Le prochain uppercut vient du poing d’Eric Woerth en 2010 (gouvernement Fillon). Sa réforme prévoit le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans d’ici à 2018 et reporte le départ en retraite à taux plein de 65 à 67 ans. Comme en 2003 et 2007, cette réforme suscite alors l’opposition des syndicats qui organisent grèves et manifestations.

Entre 1,23 millions de personnes selon la police et 3,5 millions selon les syndicats manifestent le 12 octobre 2010 contre la fin de la retraite à 60 ans, perçue comme un recul social. Cette mobilisation massive n’empêche toutefois pas l’entrée en vigueur de la réforme Woerth.

Nouveau round en 2023

Ce jeudi 19 janvier 2023, actifs et retraités reviennent dans les rues du Puy-en-Velay, de France et de Navarre battre le pavé et engager un nouveau round. L'exécutif a annoncé que l'âge légal de départ à la retraite, aujourd'hui fixé à 62 ans, sera progressivement relevé à 64 ans à compter du 1er septembre 2023. La durée de cotisation est maintenue à 43 annuités.

Dame Retraite a 78 ans cette année. Et il est certain que ce n’est pas aujourd’hui qu’elle cessera de se faire des cheveux blancs…