Je signale une erreur

Précisez éventuellement la nature de l'erreur

Tous

Aiguilhe

"Le virus a fait prendre conscience aux gens qu’on est utile"

dim 10/05/2020 - 18:18 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:05

« Je pense que le virus a fait prendre conscience aux gens qu’on est utile. » Avant cet épisode de Covid-19, les échanges étaient cordiaux entre les clients du Super U d’Aiguilhe et Malaurie Deshors ; que ce soit pour demander où se trouve un produit ou pour s’excuser d’avoir fait tomber une bouteille en verre. Mais aujourd’hui, les gens lui sourient plus qu’à l’accoutumée. Certains la remercient et l’encouragent.

Bon, ce n’est pas le cas de tout le monde. « Certains se sont vraiment mis en colère parce qu’ils disaient que je les gênais avec ma laveuse automatique qui, c’est vrai, a un certain gabarit, relate-t-elle, ils m’ont reproché de ne pas nettoyer le sol plutôt la nuit, mais je le fais : ma collègue et moi, on arrive à 5h30 du matin pour préparer le magasin avant l’ouverture… en même temps, ils ne peuvent pas le savoir. » Qui plus est, le sol a besoin d’être nettoyé à nouveau dans la journée. Ne serait-ce que pour les tickets de caisse et autres listes de courses à terre. C’est d’autant plus vrai en cette période de vente de plants où du terreau et des pétales tombent au sol.

Malaurie Deshors attaque donc ses journées avant l’aube. Jusqu’à 8h30, elle et sa collègue Laurie nettoient les caisses, les rayons, le parking, les claviers, les écrans d’ordinateurs, les poignées de portes des bureaux et le sol. Des tâches démultipliées en ces temps de pandémie puisque toutes ces surfaces ne sont plus nettoyées une fois par jour mais deux, voire trois fois. Pour les seconder en cette période délicate, une troisième personne intervient deux heures le matin pour désinfecter les caddies, les paniers et les transpalettes. Malaurie et Laurie reviennent ensuite, tour à tour, trois heures au cours de la journée. « Elles ont du mérite, souligne Philippe Boutreux, le patron de la grande surface, quand elles ont terminé, le magasin n’a plus la même allure ; elles ont un rôle indispensable ! » Et de regretter le comportement peu citoyen de certains clients qui jettent leurs gants ou masques à usage unique à terre sur le parking.

« Je ne sais pas si c’est de la fainéantise ou qu’ils ne font pas attention mais c’est énervant parce qu’il y a des poubelles dans tout le parking… enfin ça peut aussi être le vent quand les poubelles sont pleines, ce qui arrivent souvent en ce moment avec tous les gants et les masques... et puis c’est notre métier de ramasser », relativise la jeune femme de 31 ans. Toujours est-il que ces objets représentent un risque de contamination pour elle et sa collègue. Visiblement, Malaurie Deshors le prend avec philosophie : « Dès le début, mon employeur Auvergne Propreté et M. Boutreux n’ont pas lésiné pour nous protéger : on avait des gants, du gel hydroalcoolique, assez vite des plexiglass et des visières pour les caissières et au début, comme il y avait pénurie de masques, la maman d’une des caissières nous en a cousus, c’était très gentil de sa part. » Il y a quelques semaines, un gros arrivage de masques à usage unique est venu compléter l’arsenal.
Quand on lui demande si ce sont des masques FFP2, qui la protègent des projections de gouttelettes potentiellement contaminées, elle dit qu’elle n’en sait rien. « Franchement, s’il y a pénurie de FFP2, je préfère qu’ils aillent aux soignants qui, eux, sont vraiment en première ligne ; j’ai de l’appréhension, comme tout le monde, mais ça ne me dérange pas de ne pas en avoir. » Et puis, elle fait remarquer que la grande majorité des clients portent un masque barrière et souvent des gants, ce qui la rassure, pour elle et pour les autres.

Rassurant également la fourniture d’un nouveau détergent, un virucide, fongicide, bactéricide qui, en plus, « sent bon » (Ecodiol). Les clients, eux, se sont rués sur la javel. « Encore aujourd’hui, quand les vendeurs en remettent en rayon, ça se vide très vite », témoigne l’agent d’entretien qui reconnaît à la javel son efficacité mais qui déconseille de passer toutes ses courses à la javel, comme cette amie qui lui a dit essuyer ses paquets de riz avec. « Ça peut s’infiltrer dans le carton d’emballage, alors il vaut mieux pas », glisse cette habitante de Saint-Pierre Eynac qui, toutefois, enlève tous les emballages extérieurs avant de ranger ses courses dans les placards.

Il n’y a pas que la javel qui s’est faite dévalisée. « Le vendredi avant le confinement, les gens se montaient un peu dessus pour attraper des pâtes, du papier toilette… ils se sont pris la tête entre eux ; je peux vous dire qu’on n’a pas rigolé ce jour-là ! Là la distanciation physique, elle était nulle, j’avais beaucoup de mal à circuler. »
Aujourd’hui, les clients s’écartent quand ils la voient arriver, même si certains sont tellement plongés dans leur réflexion d’achat qu’ils n’y prêtent pas attention. « Mais je les comprends, moi aussi je suis pareille quand je fais mes courses », confie-t-elle d’un ton serein.

Malaurie Deshors dit avoir toujours valorisé son métier car certains de ses proches travaillent aussi dans la propreté. Mais depuis que les applaudissements du 20 heures incluent les éboueurs – et par extension les agents de nettoyage – elle se sent encore plus utile. « Les sourires des clients ça fait terminer la journée de bonne humeur », conclut-elle.

Annabel Walker

Cet article s'inscrit dans notre série de portraits de travailleurs mobilisés mais oubliés pendant cette crise sanitaire.

Ont déjà été publiés :

Oubliés et pourtant indispensables : zoom sur la crèche de l'hôpital ponot (10/04/2020)

Face au virus, les agents de sécurité modifient leur activité (22/04/2020) - portrait d'Alain Soleilhac, vigile pour la société Velay Sécurité. 

'On ne sait pas si on aura encore du travail à la fin' (24/04/2020) - portrait d'Anaëlle Brunet, vendeuse en boulangerie au Puy-en-Velay.

'Dans notre rôle de commerçant apparaît aussi celui d'un lien social' (26/04/2020) - portrait de Julien Bonhomme, boucher à Saugues.

"On est toujours confrontés aux microbes, mais là, il y a le virus en plus" (28/04/2020) - portrait de Philippe Jourdan, éboueur pour l'Agglomération du Puy-en-Velay

Durant le confinement, les kinés n'ont pas relâché la pression (30/04/2020) - portraits de Nicolas et Lise Charles, kinésythérapeutes au Puy et à Chadrac

Les caissières, des héroïnes au quotidien (02/05/2020)

''J’étais parfois la seule personne qu’ils ont vue de tout le mois'' (03/05/2020) - portrait de Lucie Langlet, auxiliaire de vie au Puy.

''Le contact est le même, on a la même empathie'' (07/05/2020) - portrait de Denis Souchon, ambulancier sur le bassin du Puy.