Un temps de disette pour les restaurateurs

sam 11/04/2020 - 01:59 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:04

Que ce soit sur Instagram, Facebook ou encore Twitter, ils apparaissent plus nombreux chaque jour, la mine sombre et le regard tourmenté. Entre leurs mains, cette même affiche noircie de sept mots : "Assurez !!! Ou on va tous y rester", suivi du hashtag #chefsenperil. "Ils", ce sont des chefs cuisiniers et d'entreprises, des patrons de restaurants, des barmans, des pizzaïolos et bien d'autres professionnels de la restauration qui se sont unis sous cette bannière afin d'alerter sur leur situation périlleuse et demander au gouvernement de décréter l'état de catastrophe naturelle sanitaire. Cette décision prise au plus haut niveau obligerait alors les assurances à indemniser les commerces et notamment les pertes d'exploitation dues au confinement.

"Et ce qui est perdu aujourd'hui est irrattrapable pour nous"
"Je pense que les assurances ne nous donneront rien, se désole Matt Farineau, patron du bar-restaurant Le Michelet au Puy-en-Velay. Le chiffre d'affaire rapporté par la restauration en France est d'environ 6 milliards d'euros par mois. Le fond des assurances ne pourra jamais assumer une telle somme. Pour l'instant, on repousse les échéances des loyers, des prêts, des charges fiscales et sociales. Mais ce ne sont que des reports qu'il faudra bien honorer un jour. Et ce qui est perdu aujourd'hui est irrattrapable pour nous".
On manque encore de visibilité pour une sortie de déconfinement mais une chose est sûre depuis les nouvelles annonces d'Emmanuel Macron ce lundi 13 avril : les restaurants ne pourront pas rouvrir le 11 mai 2020... ce sera sans doute bien après.

----Près de 1 500 entreprises aidées
La Direction départementale des finances publiques informe que les premiers versements du fonds de solidarité ont débuté lundi 6 avril. 1 499 entreprises de Haute-Loire ont bénéficié de cette aide, représentant un montant global de plus de 2 millions d'euros. Les versements vont continuer dans les prochains jours pour répondre aux nombreuses demandes d'aide déposées en ligne, soit près de 800 000 au niveau national. Pour tout renseignement sur le dispositif : www.impots.gouv.fr-----Plusieurs années à s'en remettre
Diplomate, Matt Farineau comprend l'impossibilité des assureurs à contenir de telles charges. Mais il partage son inquiétude pour l'après confinement. "On est dans le flou total et on ne se sent pas aidé. Nous avons des pressions fiscales et sociales sans arrêt. Même si le confinement se termine dans les jours qui suivent, nous allons mettre 2 à 3 ans pour nous en remettre. Le temps que l'économie se remette à flot, que les gens ressortent de nouveau et que cette ambiance morose s'estompe, il faudra un certain temps." En ce qui concerne la prime de 1 500 euros octroyées par les finances publiques, le patron du "Mich" nuance sa portée. "1 500 euros, c'est toujours mieux que rien. Cela permet de souffler un peu. Mais elle sera effective jusqu'à quand ?", interroge le chef d'entreprise, responsable de huit salariés.

Des plats à emporter pour limiter la casse
Gilles Roux, chef bien connu du restaurant de la Tour à Dunières, s'affiche également sur les réseaux sociaux avec la fameuse pancarte. "Avec cette affiche, nous demandons aux assurances de prendre en charge les pertes d'exploitation que nous tous allons subir faute de travailler, précise son épouse Laurence Roux. On a été les premiers à fermer le 14 mars pour des raisons de sécurité sanitaire alors que, soit dit en passant, les élections municipales se sont pourtant déroulées avec plein de monde le lendemain. Mon mari et moi sommes sous le statut des Travailleurs Non Salariés. Cela veut dire que lorsque nous ne travaillons pas, on ne gagne strictement rien. Et nous avons mis nos six salariés au chômage partiel." En attendant des jours meilleurs, ils ont trouvé une solution alternative pour limiter les pots cassés. "On confectionne des plats à emporter à 15 euros où sont compris l'entrée, le plat et le dessert. Ce sont les gens qui viennent les chercher et ils sont très heureux de l'initiative !" D'après Laurence Roux, ce service leur permet de combler 10% de leur chiffre d'affaire.

----Uber à la rescousse ?
Pour Anthony Llinarès, une des solutions développées dans les grandes villes qui pourraient s'adapter au Puy-en-Velay est l'utilisation des services d'Uber Eats pour les restaurateurs. "Nous les encourageons à s'intéresser à ce système pour maintenir une activité avec le portage de repas. Ca ne va peut-être pas rapporter 100% du chiffre d'affaires mais peut aider fortement. Il y a aussi les cuisines fantômes. Suite à la venue d'Uber, des chefs ont ouvert des restaurants fermés au public mais proposant de la restauration de haute qualité, livrée par Uber. Les marges sont très importantes car il n'y a ni salle, ni serveur à rémunérer. Certains sont en train de s'y mettre avec le confinement".-----La pandémie ne fait pas partie des primes d'assurances
Anthony Llinarès est assureur à l'agence Bonnet de la Tour Pannessac. Il explique pourquoi il vaut mieux pour les restaurateurs d'accepter les pertes d'exploitation qu'ils subissent actuellement pour éviter des conséquences financières extrêmement lourdes l'année prochaine. "En effet, il y a toujours une possibilité de souscrire au critère pertes d'exploitation. Si la perte est débloquée, on va la compenser pour remettre le client dans l'état ou il était avant le sinistre. Mais la perte d'exploitation est conditionnée ! Pour la débloquer, il faut que le sinistre ayant empêché le commerçant de toucher le chiffre d'affaire qu'il aurait dû obtenir soit garanti au contrat. Or, sur tous les contrats d'assurance de toutes les compagnies d'assurances, il est bien mentionné que les catastrophes nucléaires et les pandémies ne font pas parties des garanties." Il rajoute : "L'assurance est basée sur la mutualisation. Alors, si tout le monde est touché, ca ne peut pas fonctionner!"

Des primes d'assurances multipliées par 13
L'assureur de l'agence Bonnet démontre qu'essuyer les pertes d'exploitation demandées par le mouvement des restaurateurs provoqueraient la fermeture de 99% des commerces l'année prochaine. "Si l'état de catastrophe sanitaire est décrété par l'Etat, il y aurait un remboursement de très grande ampleur et de façon généralisée. Avec d'autres professionnels de l'assurance, nous avons mesuré les conséquences d'une telle décision. Elles prendraient la forme d'une augmentation des primes d'assurances dès l'année prochaine. Les primes seraient alors multipliées par… 13!" Autrement dit, un commerçant qui débourse 1 000 euros par an pour assurer son local devrait débourser 13 000 euros pour le même local.

"Ce ne seront pas quelques commerçants qui mettront la clé sous la porte mais 99% !"
Anthony Llinarès pose alors la question : "Est-ce que pour toucher 2,3, 5000 euros ou même 20 000 euros de pertes d'exploitation sur quelques mois, ca vaut le coup de risquer des primes d'assurances aussi onéreuses plus tard ? À ce moment-là, ce ne seront pas quelques commerçants qui mettront la clé sous la porte mais 99% ! Et cette réalité sera généralisée dans toutes les compagnies. Plus personne ne pourrait ouvrir un nouveau commerce. Ou alors on verra le kebab du coin vendre son sandwich à 150 euros !" D'après lui, beaucoup de petits restaurateurs pâtissent déjà avec 1 000 euros de charge. "J'incite donc les clients qui viennent nous voir à réclamer cette prime de 1 500 euros des finances publiques. Il y a aussi les aides de la Région".

Une sérénité qui va prendre du temps à se remettre en place
Quant à Denis Gagne, président de l'Union des Métiers et de l'Industrie Hôtelière en Haute-Loire (Umih) et patron du complexe l'Odyssée à Saint-Christophe-sur-Dolaizon où il emploie sept salariés, plusieurs points lui font grincer des dents. "Nous avons eu l'accord de pouvoir activer le chômage partiel pour nos employés jusqu'au mois de juin complet. Ce qui, à mon sens, ne présage rien de bon pour la date de réouverture des commerces. Je pense que les commerces ne pourront reprendre leurs activités qu'au mois de juillet. D'autre part, après le confinement, il va y avoir une certaine phobie de la maladie qui va plomber l'atmosphère et ne pas inciter les gens à venir en masse dans les restaurants."
Malgré ce tableau aux mornes teintes, Denis Gagne voit quelques nuances de gris clairs dans ce confinement. "Les gens achètent plus de produits français et locaux, profitant ainsi à certaines entreprises et aux petits producteurs du coin. Je pense qu'un pays qui ne fabrique pas et qui ne fait qu'importer est voué à l'échec. Il serait bien que ce que nous vivons tous aujourd'hui donne une leçon au Gouvernement actuel et à ceux qui vont suivre".

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