Né pour être vivant, un altiligérien de cœur a rejoint Katmandou en... Solex

Par Nadia MEYER , Mise à jour le 10/08/2025 à 06:00

C'est en 1969 que Jean-François Monod a décidé de relier Paris et le Népal sur ce que l'on pourrait, de nos jours, comparer à un vélo électrique. Une cinquantaine d'années plus tard, il publie enfin le livre de leurs aventures grâce à une rencontre au détour d'Allègre...

« Juste avant mon service militaire en 1966, je devais me payer 18 mois de caserne quand même, et je me suis dit "il faut que je prenne des vacances avant". Donc, je me suis amusé à faire Paris-Ankara-Paris tout seul comme un grand, en Solex. » - Jean-François Monod. Il avait tout juste 20 ans.

Au retour de son service militaire, il s'ennuie à travailler dans une agence de voyage, "qui m'apportait rien du tout" dit-il.

Mai 68 passant par là, il se dit qu'il fallait qu'il aille s'aérer ailleurs.

« Je mets un mot dans les facs en disant "cherche fou ou folle, libre un an, direction Katmandou, moyen inconditionnel de transport, le VéloSoleX." »

Et puis finalement, complètement par hasard, il croise le chemin d'un jeune homme en Solex. Ils discutent. Solex, bien entendu. Puis, il lui parle de son projet de voyage, l'invitant à se joindre. Celui-ci s'engage à lui donner une réponse une semaine plus tard. Étudiant en art-déco, ce dernier lui annonce prendre une année sabbatique pour partir avec lui. Il s’appelle Philippe Bissières.

Au départ depuis Paris sur leur Solex au pied de l'Arc de Triomphe
Photo par DR
Au départ depuis Paris sur leur Solex au pied de l'Arc de Triomphe
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Au départ depuis Paris sur leur Solex au pied de l'Arc de Triomphe
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À la recherche d'un peu d'argent pour financer leur voyage, ils vont fièrement voir Solex en leur expliquant leur projet. Mais ces derniers de leur répondre « on ne va pas vous donner de l'argent, mais on vous vend deux Solex pour le prix d'un, et on vous embauche comme ouvrier à la chaîne. »

« Et donc, trois mois, chez Solex, à Courbevoie ; la chaîne cycle, la chaîne moteur, et surtout le service après-vente qui nous a permis de nous familiariser avec le moteur du Solex. Et hop, on est parti le 9 juillet 1969. »

Devenus imbattables à la réparation et à la maintenance de leur Solex, les compères partent ainsi avec un savoir précieux qu'ils utiliseront quotidiennement, en plus de l'argent désiré et de quelques pièces de rechange offertes en douce par leurs collègues.

Une à dix crevaisons quotidiennes, ça use, ça use... Photo par DR

Un périple hors normes de plus de 10 000 km... à 25 km/h

Ils ont traversé ensemble dix pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Yougoslavie, la Bulgarie, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde et le Népal.

Ils ont vécu des « histoires invraisemblables partout, avec des rencontres invraisemblables ». Des crevaisons quotidiennes. Des nuits à la belle étoile, dans des bottes de paille, dans des logements inoccupés, chez l'habitant... Jamais de restaurant, ils mangeaient comme les locaux, quand ils trouvaient à se nourrir. Ils se faisaient livrer des pièces de rechange dans les ambassades. Ils envoyaient des aérogrammes qui arrivaient un ou deux mois plus tard... quand ils arrivaient. Bref, l'aventure, la vraie.

Choix entre terre meuble et profonde, ronces et... - Iran Photo par DR

À Katmandou au Népal, ils font des photos publicitaires pour Solex pour prouver leur bonne arrivée, puis :

« il y avait une petite française, ce n'est pas moi qui l'intéressait, c'était le Solex. »

Elle lui dit :

‒ le Solex, c'est vous qui êtes venu avec ?

‒ Oui, c'est moi.

‒ Ah bon ? Je ne parle pas aux français parce que je préfère les allemands, les anglais, etc. J'entends le français toute la journée, non merci !

Finalement, un groupe de copains se forme et, un trekking sur l’Annapurna plus tard, leur chemin se sépare, non sans échange de coordonnées.

Rentrer pour mieux repartir

Les deux compagnons de voyage vendent leur Solex sur place. Ils ont mis un an pour l’aller, à une moyenne de 25 km heures, quand il ne fallait pas aider le Solex dans les montées, les sols trop sablonneux, noyés, glissants. Le retour, lui, s'est fait en "seulement" deux mois d’une aventure différente, en stop, bus et train.

Enfin, sept mois après son retour, se morfondant dans une France qu'il comprend encore moins qu'avant de partir, il retrouve les coordonnées de Martine et la contacte :

‒ Tu te souviens, le fou en Solex, l’Annapurna ?

‒ Oui, je me souviens.

‒ Je repars en Inde, en Solex, est-ce que ça t'intéresse ?

Elle a dit oui. Les voilà ainsi sur un Paris-New Delhi en Solex pour sept mois de balade. Un mariage, cinq enfants, treize petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants plus tard, ils continuent de voyager tous les ans. Toujours à la “roots” : pas d’hôtel, pas de restaurant, "on mange comme les locaux et on dort là où on peut".

Un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître

Il lui aura fallu plus d'un demi-siècle pour laisser une trace accessible à tous, comme pour nous rappeler à point nommé qu'il fut un temps pas si lointain où... [à vous d'imaginer la suite].

Itinéraire Photo par DR

Ses notes quotidiennes étaient consignées dans des carnets précieusement conservés et feuilletés à l’occasion. "Un jour, je me suis dit, il va falloir quand même que j'essaie d'en faire quelque chose." Puis finalement, un hasard heureux lui a fait croiser, à Allègre, le chemin de Bruno Salgues qui a monté, en 2017, une maison d'édition indépendante, le Cap de l'Étang Éditions.

Car oui, un hasard à l’initiative de sa maman, qui a acquis une maison en Haute-Loire pendant qu'il voyageait vers Katmandou, a conduit la famille à s'ancrer dans le département. Martine et Jean-François élisent domicile chaque été dans leur propre maison, entre Allègre et Saint-Paulien ; même si, pour le moment, ils vivent toujours à Paris.

« Ça fait 54 ans qu'on vient, qu'on est contents d'être ici, qu'il y a un accueil fantastique, qu'il y a des choses extraordinaires à voir. »

De leur rencontre avec l’éditeur et propriétaire de la librairie "Cap de l’Étang" à Allègre, est né l'ouvrage "Paris Katmandu en Solex, Les chemins de Baklava". Une concrétisation heureuse pour ce voyageur-aventurier qui s'est fait un régal de reprendre toutes ses notes et les taper sur un traitement de texte, lui permettant de se remémorer des souvenirs oubliés.

"Il aura fallu 54 ans pour le sortir" Photo par DR

Le public fut très attentif lors de sa conférence, ce mercredi 6 août à La Coccinelle à Allègre, où il a raconté, photos à l'appui, détails et anecdotes d'une précision impressionnante.

Un parallèle avec le monde d'aujourd'hui était dans toutes les têtes et a émergé à l'occasion de discussions entre public et auteur. Dans un monde bien différent à tous les égards, serait-il possible aujourd'hui de faire la même chose de la même manière ? Le constat fut unanime.

 

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