Kheireddine et Lidiia, une histoire d'amour, de guerre et de pizzas

Par Louis Boyer , Mise à jour le 22/03/2023 à 20:50

Kheireddine et Lidiia ont quitté l'Ukraine en catastrophe après le début de l'invasion russe. Après un an en France, ils se sont attachés à la vie ici et encore plus à l'Auvergne.

C'est une histoire d'amour, de guerre et de pizzas. De deux destins qu'à la base rien ne semblait rapprocher. D'Alger, de Biélorussie, de Paris et de Clermont-Ferrand. Kheireddine Zougagh, 26 ans aujourd'hui, est né en Algérie, d'une mère ukrainienne et d'un père algérien. Après avoir grandi en Algérie, il décide de partir, en 2018, finir ses études de management en Ukraine et découvrir ainsi, la patrie de sa mère.
Sur place, à Kiev, le jeune homme décide de suivre sa véritable passion, devenir coiffeur. "C'était mon rêve depuis petit, mais pour mon père, il fallait faire des études, donc j'ai été forcé".

"J'aime beaucoup les pizzas"

Dans la capitale ukrainienne, il rencontre, un jour dans une pizzeria, Lidiia Netesiuk, 22 ans en 2023. Ce n'est pas un hasard si c'est autour d'une pizza que la première rencontre entre les deux a eu lieu : "J'aime beaucoup les pizzas", plaisante Kheireddine.
Lidiia est née à 500 kilomètres au nord de Kiev, à Ovroutch, près de la frontière avec la Biélorussie. D'une mère russe et d'un père ukrainien. Elle fait des études pour travailler dans le milieu social. "J'ai toujours voulu venir en aide aux enfants, les gens en difficultés, j'aimerais travailler pour les orphelins", explique Lidiia en ukrainien. À l'époque, pour vivre à Kiev, Lidiia travaillait dans un grand centre commercial, Wallmart. 

L'insouciance à Kiev

À Kiev, la vie est douce pour le jeune couple. Les deux ont même la chance d'habiter à côté l'un de l'autre. "On avait des amis, dans une grande capitale comme cela, les magasins ne ferment jamais, 24 heures sur 24. On n'avait pas peur, on entendait chaque année qu'il y allait avoir une guerre avec la Russie, mais à force, on prenait ça à la rigolade.", explique Kheireddine." La dernière fois, on disait qu'il y avait 150 000 Russes à la frontière. Le 14 février, Volodymyr Zelenski dit à la télé qu'il n'y aurait pas de guerre, donc cela nous a encore plus mis en confiance".
La vie continue donc, jusqu'au soir du 23 février. "On en parlait par message la veille, on plaisantait encore en pensant que ça n'arriverait pas. Vers 5 heures du matin, une explosion m'a réveillé, moi et un ami qui dormait chez moi. On a tout de suite senti que ce n'était pas un feu d'artifice", raconte Kheireddine.

"Moi, je l'ai su avant, j'allais au travail, je prenais à six heures du matin" explique Lidiia. Il faudra attendre 8 heures du matin pour avoir la certitude que l'Ukraine était en guerre. "J'ai tout de suite pensé à ma famille, l'invasion a commencé par la Biélorussie, là où ils habitent. J'avais peur pour ma petite sœur qui devait aller à l'école." Pour ajouter de la panique à la panique, le réseau téléphonique est saturé, les cartes de crédits ne fonctionnent plus et le réseau ferroviaire à l'arrêt. "On a cherché différentes solutions, et à 16 heures, nous avons décidé de partir vers la frontière ouest. On ne pensait pas forcément quitter le pays, mais trouver une zone sécurisée, à l'abri des bombardements. Nous ne savions pas si la frontière était ouverte, on n'avait toujours pas de réseau. Là, j'ai pensé à ma famille en Algérie, qui n'était pas vraiment contente que je soit en Ukraine déjà avant. Sans nouvelles de moi, je me suis dit que je devais partir. On voyait les barrages, les bombardements. Lidiia est venue avec moi, mais sa famille est toujours là-bas...", explique le jeune homme.

La France, presque un hasard

Après une semaine en Pologne, le couple décide de partir pour l'Irlande, premier pays à avoir annoncé accueillir les ressortissants Ukrainiens. Mais un membre de la famille éloigné de Kheireddine leur propose plutôt la France. "Lidiia ne voulait pas vraiment, elle ne connaissait pas la langue, puis il y avait sa famille. Nous avons été tellement bien accueillis ici."
D'abord dans un hôtel, près de la place du 1er Mai, puis dans un Ehpad, réquisitionné pour recevoir les Ukrainiens. "Nous avons habité un mois là-bas, on était bien. Puis, j'ai commencé à travailler pour la préfecture, pour traduire, parce que beaucoup ne parlaient pas le Français", explique Kheireddine dans un très bon français, un héritage de son enfance en Algérie. Pendant que Lidiia commence son année d'université Blaise-Pascal de Clermont, pour apprendre le français et poursuivre ses études dans le social, Kheireddine trouve un emploi, via Internet, comme coiffeur-barbier "à La Barbe de Papa", au Brézet. Entre temps, le couple est locataire d'un appartement à Chamalières, où le propriétaire "Monsieur Jean-Pierre" comme l'appelle le couple leur apporte de l'aide. "Il nous a invités avec sa famille, il prenait des nouvelles en permanence par message, il me proposait sa voiture si j'en avais besoin. Nous sommes tombés sur une personne exceptionnelle. Comme beaucoup de français depuis que nous sommes ici", remercie Kheireddine.
Dans la maison de retraite aussi, aidé par l'association CeCler qui vient en aide aux personnes en difficultés. Malgré cela, Lidiia a eu un moment compliqué. "Elle se sentait seule, loin de sa famille, elle avait honte aussi, se sentait inutile. C'était étrange aussi que les magasins ferment tôt ici, comparé à Kiev", explique son conjoint.

"C'est elle qui m'a demandé de revenir à Clermont"

Le couple envisage alors de tenter l'aventure parisienne. Mais, au détour d'un rendez-vous à l'ambassade ukrainienne, et d'une semaine dans la capitale, les deux jeunes décident vite d'un retour à Clermont-Ferrand. "C'est elle qui m'a demandé de revenir en Auvergne, s'amuse Kheireddine, elle trouvait la vie bien plus agréable ici qu'à Paris".

Kheireddine et Lidiia à Issoire.

Kheireddine peut vivre de sa passion

Depuis, ils ont trouvé un bel appartement où ils se sentent bien Lidiia poursuit ses études et Kheireddine se sent bien à "La Barbe de Papa" : "J'ai été accueilli par une super équipe. Ils veulent me faire découvrir l'Auvergne, ils doivent encore me faire goûter la truffade", s'amuse le coiffeur. "En plus, j'ai l'occasion de travailler dans ce qui est ma passion. Franchement, j'ai vécu dans beaucoup de pays, l'Ukraine, l'Algérie, l'Allemagne, la Pologne, le Portugal, la Tunisie. La France, c'est le pays qui a le meilleur mode de vie", raconte Kheireddine. 

Les parents et les deux sœurs de Lidiia sont par contre toujours en pleine zone de conflit. Son père, vient d'ailleurs d'être réquisitionné. Il y a toujours des combats proches de son lieu de naissance. Lidiia ne parle plus, c'est Kheireddine qui prend le relais :"Là-bas, les hommes ne sortent pas de chez eux. Sinon, ils sont enrôlés de force. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas attachés à l'Ukraine, au contraire. Si, ils sont réquisitionnés, il n'y a pas de pension, pas de salaire. Sa sœur ne travaille pas par exemple, si son copain va faire la guerre, ils n'ont plus de revenus. Bien sûr, Lidiia y pense en permanence. Elle a fait des crises de stress depuis qu'elle est ici. Le téléphone ne passe pas, elle a quelques messages, pour maintenir le lien, avoir des nouvelles". La jeune fille montre alors son téléphone, aujourd'hui elle a essayé d'appeler sept fois, sans parvenir à avoir de lien.

"Clermont donne envie de rester, c'est une ville chaleureuse, calme"

Le calme de la vie auvergnate séduit le jeune couple. "En Ukraine, on travaille au minimum 12 heures par jour, Lidiia 14 heures à Wallmart par exemple. Au salon, je travaille 11 heures, ce qui est normal pour moi. Par contre j'ai trois jours de week-end", sourit le jeune homme. "La qualité de vie en France est exceptionnelle, en un an, j'ai acheté une voiture, équipé et loué un appartement. Je mange même des pizzas (rires), vous avez juste un problème avec la Chèvre Miel en France, vous adorez ça, moi, c'est la seule que je n'aime pas", s'amuse le coiffeur.
Le jeune couple se sent bien en Auvergne et a même des projets. " On avait une mauvaise image des Français de l'extérieur, mais j'adore votre culture. On trouve les gens tellement gentils, j'espère obtenir mon Visa de travail bientôt, pour l'instant, j'ai un pass pour les Ukrainiens que je dois renouveler tous les six mois. Clermont donne envie de rester, c'est une ville chaleureuse, calme, on nous a emmené voir un match de rugby, il y a les plats traditionnels, la culture, tant de choses à découvrir. On ne veut plus revenir en Ukraine, à chaque déménagement, il faut tout reprendre à zéro. Ici, on se sent bien", conclut-t-il. 

Le couple prépare également son mariage, pour permettre à Lidiia de rencontrer la famille de son copain, en Algérie. Solidaire, Kheireddine, sur son temps libre, va coiffer gratuitement les réfugiés ukrainiens qui arrivent encore à l'Ehpad. "Ils ne parlent pas un mot, ils n'arrivent pas à se faire comprendre, alors je traduis". Peut-être, qu'il leur conseille également, ses pizzerias préférées

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