Obésité : « Tu t’effaces pour laisser vivre les autres »
Par Nicolas Defay
, Mise à jour le 02/03/2023 à 12:00
Partager
Lien copié dans le presse-papiers
Derrière le sourire d'Adeline, des années de souffrance, mais aussi de grande résilience. Photo par Nicolas Defay
Samedi 4 mars est la journée mondiale de l’obésité, un mal qui gagne du terrain sur la planète entière. Pour l’occasion, Adeline a accepté de confier son histoire à Zoomdici, une histoire de vie, de peines et d’insultes, une histoire de force et de revanche. L'histoire d’une personne...comme une autre.
« Je dis parfois que je suis comme une enveloppe avec une lettre à l’intérieur. L’enveloppe peut être abîmée, avoir été chiffonnée dans son voyage, malmenée, avec les coins pliés. Mais la lettre coincée à l’intérieur, l’histoire qui s’y cache dedans, elle vaut quand même le coup d’être lue. Ce n’est pas l’enveloppe qu’il faut regarder, c’est ce qu’il y a à l’intérieur ». C’est par ces mots qu’Adeline résume la condition de son existence et des autres, celles et ceux qui, comme elle, sont en situation d’obésité.
Adeline, elle a 31 ans. Elle habite dans une discrète maison sur les hauteurs de Coubon. Tout de suite, on devine que des enfants vivent ici. Un portique coloré est planté dans la pelouse, les balançoires oranges poussées par le vent. À l’intérieur, des photos, des dessins, des morceaux de vie aimantés sur le frigo. « Je suis maman de quatre enfants », sourit-elle. Elle pose la tasse de café brûlant sur la table. Et ses yeux clairs semblent se perdre dans le passé.
Des infos et animations par l'équipe pluridisciplinaire nutrition-obésité de l'hôpital Emile-Roux...(Cliquez sur la croix pour dérouler l'info)
Mardi 7 mars de 10 à 12h30 et de 13h30 à 17 heures, des professionnels de santé tiennent un stand dans le hall du CHER (Centre Hospitalier Emile-Roux). L'objectif ? Sensibiliser encore et encore sur ce problème qui devient progressivement une véritable pandémie.
Sur place, des infos sous la forme de brochures papiers, de faux aliments pour indiquer ce qu'est un repas équilibré journalier et surtout des infirmières, médecins, endocrinologues, psychologues, diététiciennes...présents pour répondre à toutes vos préoccupations sur le sujet.
Le jeudi 16 mars à 20 heures, une conférence tout public est programmée à l'IFSI ( Institut de formation en soins infirmiers) animée par les Dr Gilbert André et Stéphanie Verret.
Des professionnels pour répondre à toutes vos questions.
Photo par Nicolas Defay
« Ma vie n’a pas été qu’une partie de plaisir »
« L’obésité est une maladie pour certains, une manière de vivre pour d’autres, souffle-t-elle. Cela dépend du regard que l’on porte dessus. Pour beaucoup, un gros a mérité d’être ainsi à cause de son excès de nourriture. Mais c’est bien plus compliqué que ça ! Un traitement médical, un dérèglement des hormones, un problème psychologique, un stress subit ou latent, des troubles alimentaires...les causes d’une prise de poids sont innombrables ».
Adeline est ainsi "montée" jusqu’à 165 kg pour une taille de 170 centimètres. « J’avais la vingtaine à ce moment-là. Et il est clair que ma vie n’a pas été qu’une partie de plaisir ».
« Les surnoms qu'on m'a joliment donnés à l'école et aux collèges ? La baleine, ‘wesh grosse’, la grosse vache… » Adeline
« Les regards et les rires vous marquent à jamais »
Si déjà, dès les premiers jours de son existence, son rapport poids/taille n’est pas dans la norme mentionnée dans les carnets de santé, c’est à l'âge de 8 ans qu’elle est catégorisée comme étant en situation d’obésité. « Dans le primaire, les enfants sont durs, se rappelle Adeline. Il y a l'épreuve du sport, de la piscine et des remarques blessantes qui vont avec. Se mettre en maillot de bain devient un calvaire pour les enfants gros. Les regards et les rires vous marquent à jamais ».
D'après une étude de l'Inserm avec la Ligue contre l'obésité en 2020, 47,3 % sont en surpoids ou obèses, soit près d'une personne sur deux dans l'Hexagone. 16.9 % des Auvergnats adultes sont obèses. 18% des enfants de 2 à 7 ans et 6% des enfants de 8 à 17 ans sont en situation d’obésité
« Deux choix s'offrent alors à toi...»
Au primaire, les enfants sont durs. Mais moins qu'au collège. Adeline poursuit sa scolarité à la Chartreuse. L'univers des ados. Temps de la découverte de son corps et de ses changements. « Dans une classe de collège, il y a toujours un leader et un bouc émissaire, résume Adeline. La grosse est toujours celui-ci, le punching-ball, le déversoir des tensions ».
Elle continue. « La grosse, elle ne fait pas d'ombre aux autres filles pour avoir des petits copains. La grosse, c'est toujours la bonne copine qui tient la chandelle. Et la grosse ou le gros doit toujours être drôle ».
Elle assène en serrant les dents : « Deux choix s'offrent alors à toi. Soit tu te morfonds totalement au risque de subir une souffrance extrême. Soit tu pratiques l'autodérision pour rire de toi-même comme les autres rient de toi. Mais quel que soit le choix, quand tu es obèse, tu t'effaces pour laisser vivre les autres ».
« Au lycée, je me rappelle de ce prof de sport et de ce jour où il fallait rebondir sur un trampoline pour atterrir sur un matelas bleu. Une fois mon tour passé, le prof a dit à tout le monde : regardez, la baleine s'est échouée. Après ça, j'ai demandé une dispense sportive à l'année ». Adeline
« Attention, voici le boulet de service qui arrive »
Au collège, les ados sont durs. Mais bien moins qu'à l'âge adulte. Après son BEP sanitaire et social à Anne-Marie-Martel, Adeline suit une formation d'aide-soignante. « Les pires périodes de stages étaient avec les personnes âgées dans les Ehpad, confie-t-elle. 'Oulà, vous mangez bien à la cantine, vous, dis donc !' ou encore 'Attention, voici le boulet de service qui arrive'. C'est ce genre de réflexions que j'entendais à longueur de journée ».
« Les enfants, les tous petits, sont sans filtre. Ils disent juste ce qu'ils voient sans une once de méchanceté derrière. Il n'y a pas le vice comme chez les adultes ». Adeline
« Ces secondes-là m'ont profondément meurtrie et faillirent me détruire totalement »
En 2012, Adeline obtient son diplôme d'aide-soignante. Elle travaille aussitôt à l’accueil Sainte-Monique, aux pieds de la cathédrale du Puy, jusqu'à ce que la structure ferme définitivement ses portes. « Je me suis mise à rechercher du travail, lance-t-elle. Durant ce temps, j'ai vécu l'un des plus difficiles instants de discriminations de ma vie ».
Elle raconte ainsi : « J'avais postulé pour une offre d'aide-soignante de nuit. En face de moi, il y avait deux chefs de service. La femme me demande si je voulais la place pour me cacher. Je n'ai pas compris tout de suite le sens de sa question. Elle a complété en disant que ce ne devait pas être facile de vivre comme j'étais. Ces secondes-là m'ont profondément meurtrie et faillirent me détruire totalement ».
« C'est véritablement inquiétant car nous observons une très forte augmentation du problème chez les enfants. Les causes sont essentiellement dues aux modes de vies, la sédentarité, le temps passé devant les écrans, l'ingestion de produits alimentaires transformés très gras et très sucrés ». Charlène Lemaire, endocrinologue
L'endocrinologue Charlène Lemaire et Christine Barret, infirmière coordinatrice
Photo par Nicolas Defay
Quatre enfants et une opération
Le temps des enfants. En dépit des remontrances des médecins au sujet de sa corpulence et de son envie de procréer, Adeline franchit « les barrières morales et culpabilisantes des gynécos ». Elle a 21 ans et pèse 150 kg quand son premier enfant voit le jour. Trois autres suivront par la suite.
« Après cette dernière grossesse, j'ai décidé de suivre les protocoles pour une chirurgie bariatrique, partage-t-elle. Le 5 décembre 2022, l'opération a réduit mon estomac aux deux tiers. La sensation de satiété arrive du coup très vite. À chaque repas, je dois manger la quantité d'un yaourt où tout doit rentrer dedans, protéine, légumes, sucre lent...» Depuis cette intervention, Adeline a déjà perdu plus de 30 kg.
« Oui, la discrimination existe tout comme la grossophobie. Le gros est fainéant. Le gros est sale. Le gros n'avance pas. Le gros mérite ce qu'il lui arrive, car il se gave constamment...Les obèses vont encaisser ces clichés-là toute leur vie ». Adeline
« Des regards qui te tuent ! »
Aujourd'hui, Adeline se sent bien. Elle ne souhaite pas préciser son poids actuel, « un chiffre qui ne veut pas dire grand-chose », dit-elle. Mais malgré la fonte importante de sa silhouette, les regards de la rue persistent.
« Des regards qui te tuent !, se désole-t-elle. Quand tu manges en public, un obèse est observé différemment. Il est jugé, accusé. Quand tu entres dans un magasin de vêtements, les visages des vendeuses se tordent, se figent. Si une femme ne correspond pas à la norme, aux standards de la beauté, aux mensurations affichées dans les magazines et les chaînes de télé, elle est alors exclue du système. Elle est exclue de la société. Malgré sa corpulence, elle devient invisible pour l'intérêt des gens ».
Être bien dans son corps ? Ca commence par là ▼▼▼....(Cliquez sur les flèches pour dérouler l'info)
L'équipe Nutrition-Santé à Emile-Roux composée d'un médecin, d'une diététicienne, d'un psychologue, d'une infirmière et d'un éducateur sportif propose une journée de bilan. Au programme, des examens (électrocardiogramme, prise de sang...), des consultations individuelles et collectives, de l'éducation alimentaire et sportive.
Un suivi personnalité peut alors être mis en place pendant une année et s'inscrit, si nécessaire, dans une démarche de demande de chirurgie bariatrique. Contact : 04 71 04 34 40 et secretariat.nutrition@ch-lepuy.fr
Comment se nourrir le plus sainement possible et éviter les problèmes de santé ?
Photo par Nicolas Defay
« Ce n’est pas l’enveloppe qu’il faut regarder »
Il y a l'enveloppe et il y a la lettre. Toujours, l'enveloppe est jetée. Presque jamais la lettre. Dans cette lettre là, il y a des mots et des maux, des mots pour rire et pour pleurer, des mots d'amour, des mots en peine. Des mots fragiles, des mots solides. Des mots par millions qui font ce que nous sommes tous : des histoires qui méritent d'être lues. Comme le dit Adeline : « Ce n’est pas l’enveloppe qu’il faut regarder, c’est ce qu’il y a à l’intérieur ».
En vous lisant, ma propre histoire me fait monter les larmes aux yeux... c'était il y a 45 ans, au PNDF, pendant toutes les années collège et même au-delà. Cela a détruit ma vie et me poursuit toujours.
Vos commentaires
Se connecter ou s'inscrire pour poster un commentaire
2 commentaires
En vous lisant, ma propre histoire me fait monter les larmes aux yeux... c'était il y a 45 ans, au PNDF, pendant toutes les années collège et même au-delà. Cela a détruit ma vie et me poursuit toujours.
SUPER TEMOIGNAGE....Merçi!