Le Puy : le procès de l'attaque au couteau renvoyé

jeu 02/07/2020 - 20:10 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:05

"Jeudi 25 juin vers minuit 15, nous étions en train de procéder à la fermeture de notre bar-restaurant, sur la place du Plot, décrivent les deux propriétaires souhaitant rester anonymes. Le temps que les clients terminent leur verre, nous nous sommes octroyé une pause avec eux. On avait remarqué un gars un peu louche sur la place avec une attitude étrange. Il était visiblement éméché. Puis il est venu nous demander du feu, chose qu'on lui a fourni. C'est là qu'on s'est aperçu qu'il détenait un Opinel. Et puis il a commencé à s'énerver. Je lui ai dis de s'en aller et il nous a menacés qu'il reviendrait, que ça serait une vraie boucherie. De mon côté, je me suis armé d'une bouteille vide posée sur le bar par précaution. Il a continué à proférer des menaces et est parti rue Chènebouterie. La police est arrivée vers minuit 40, soit 25 minutes après notre appel, mais n'a pas pu le retrouver".

Libre le lendemain
Dans le hall du tribunal correctionnel du Puy-en-Velay, la victime parle vite, égrenant tous les détails comme si elle revivait chaque minute de la scène qui s'est jouée dans la nuit du 25 au 26 juin 2020. Sa collègue, quant à elle, reste prostrée, silencieuse. Elle confie qu'elle n'est pas du tout sereine de revoir cette personne, celle-là même qui est retournée trois jours d'affilé dans leur établissement pour les menacer de mort. "Le lendemain, il était là. Tout le monde est aussitôt rentré dans le bar mais deux sont restés dehors où il a de nouveau formulé des menaces avec son couteau. Un ami est sorti et l'a plaqué au sol, payant son acte d'une fracture du bassin en tombant sur les pavés. La police, ce coup-ci, est enfin arrivée à temps et l'a mis en garde à vue." Soulagement. Mais juste le temps d'une nuit. "Quand je l'ai vu le jour suivant en train de se balader tranquillement sur la place du Plot, je n'ai pas compris. J'ai appelé le commissariat pour savoir pourquoi il était libre. On m'a appris que c'était suite à une décision du procureur. Je ne comprends pas".

"Elle était de dos, incapable de le voir arriver"
L'histoire aurait pu s'arrêter là. Mais la série continue, montant encore d'un cran."Le dimanche 28 juin, il est revenu vers 19 heures avec des copains à lui. Ils étaient tout un groupe. Il nous narguait, nous montrait du doigt et menaçait de revenir. À 20 heures, dans la rue Grenouillit, des amis l'ont aperçu avec son couteau. Nous, nous étions en plein rush avec plein de monde en terrasse. Il s'est approché de ma collègue avec son couteau. Elle était de dos, incapable de le voir arriver. Heureusement, une personne a crié. Alors il s'est de nouveau enfui. Ce même soir vers 22h30, il était dans un autre bar du Puy en train de boire des bières. On a appelé la police. Ils nous ont dit clairement : "On le connait, on ne se déplacera pas".

----Audience reportée :
Suite aux délibérations, le tribunal ordonne une expertise psychiatrique, le maintien en détention pour éviter tout risque de pression sur les victimes, de soustraction à la justice, et de renouvellement des infractions. Le renvoi de l'audience a été reportée au jeudi 30 juillet, à 14h30.-----"Il nous menace de mort et il est en liberté quelques heures après"
Outre la colère mêlée à la peur, c'est le dépit qui habite les deux restaurateurs. "Lundi 29 juin, il s'est fait attraper et mis en détention pour un vol de bouteille de whisky et de glaçons dans un bar, boulevard du Maréchal Fayolle. Nous sommes dépités et très loin d'être sereins. Nous avons appelé la police et on avait l'impression que notre cas ne les intéressait pas. Il nous menace de mort et il est en liberté quelques heures après. Notre vie était en jeu, quand-même ! Là, il se fait prendre pour un vol de bouteille et il est jugé en comparution immédiate. On ne comprend pas !" Espérant connaitre sa peine pour tous ces actes à répétition, les deux propriétaires repartent une fois de plus déçus. Car l'audience sera finalement reportée le 30 juillet prochain puisque l'avocate de la défense, Maître Médard-Grasset, a demandé une expertise psychiatrique de son client.

Un lourd passé
D'après les deux restaurateurs, la police a agi de manière infondée en remettant en liberté le prévenu. Et à la lecture du casier judiciaire par la présidente du tribunal Marianne Berthéas, très nombreuses sont les condamnations de l'homme en question. "Vous avez 33 mentions sur votre casier, précise-t-elle. Je ne vais pas tout lire car l'exercice serait trop fastidieux mais je peux en citer quelques-unes. Vous avez commencé en 1992 avec des faits de vols aggravés. Vous avez écopé de 16 mois d'emprisonnement en 1996, 18 mois en 1997, 6 mois en 2000 pour dégradation, deux mois de prison en 2006 pour menace de mort. Le 6 décembre 2011, vous avez été condamné à 3 ans pour trafic de stupéfiants. En 2016, prison ferme de 15 mois pour usage de stupéfiants et violence…Vous passez plus de temps en maison d'arrêt qu'à l'extérieur, apparemment".

"La prison, c'est l'école du crime"
Le prévenu, né en 1972, a argumenté sur l'inefficacité de la prison sur son comportement. "Je suis sorti le 29 février 2019 de la Talaudière avec de bonnes intensions, partage-t-il. Je ne buvais plus, je ne prenais pas de drogue, j'ai fait ça pendant quelques mois jusqu'à ce que ma famille me fasse péter un plomb. J'ai alors retrouvé de mauvaises fréquentations. J'ai fait tellement d'années de prison que cela n'aura aucun effet sur moi. La prison est un milieu violent et tout va me revenir en tête, de ma première incarcération jusqu'à aujourd'hui. J'ai besoin de soins et pas de prison. La prison, c'est l'école du crime. Je comprends que ce que j'ai fait est grave. Je regrette pour les victimes, je suis désolé, je ne voulais pas ça et ce n'était pas mon projet. J'ai besoin de soin, c'est tout".

"Aucun expert ne pourrait retenir une irresponsabilité à son actif"
Devant la demande d'expertise psychiatrique de Maître Medard-Grasset, le procureur Nicolas Rigot-Muller ne pense pas qu'elle soit utile. "Je considère qu'il n'a pas besoin d'expertise compte tenu des 33 arrestations enregistrées dans son casier judiciaire. Aucun expert ne pourrait retenir une irresponsabilité à son actif. D'autre part, sa capacité à respecter un cadre apparaît tout à fait insuffisante. La prison est violente, certes, mais c'est lui qui met la violence dans la société. Depuis 30 ans, il est passé à l'acte." Ce à quoi, Maître Medard-Grasset, avocate du prévenu, contredit : "Je m'oppose à son maintien en détention car il a un projet de cure et il doit être réalisé. Sa place n'est pas en prison mais dans un centre de soins. Je comprends que les victimes aient eu la peur de leur vie mais la prison n'arrangera rien. Ce monsieur est un être faible".

Nicolas Defay

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