La laïcité toujours sous tension en milieu scolaire

Par O.St jeu 27/01/2022 - 08:30 , Mise à jour le 27/01/2022 à 08:30

La laïcité, en milieu scolaire tout comme dans la société civile, résulte actuellement d'un héritage problématique voire ambigu entre le juridique et l’idéologique.

Des signes aux symboles, quelques explications pour comprendre les enjeux de cette épineuse question.

Les débats, parfois houleux comme autour des positions de Laurent Wauquiez sur le voile,  et des conférences, comme celle tenue par Jean-Paul Delahaye au Puy la semaine dernière, sur la laïcité se multiplient en Haute-Loire.

 

La loi de Séparation de 1905, conduisait, par la neutralité des services publics, à l’affranchissement de ses agents et de son espace de toute référence à la religion.

Elle distinguait cependant sphère publique et sphère privée en garantissant les libertés fondamentales et en prenant en compte les convictions de chacun sur le plan privé. Cette neutralité de conciliation, maintenue jusqu’en 2003, respectait le fait religieux en vertu d’une protection de toutes les confessions.

Entre impartialité et laïcité plus ouverte, deux courants principaux se distinguent ici

La laïcité a trouvé une application spécifique à l’École au fil du temps, en étendant la neutralité de l’espace public à la sphère de l’intime. En effet, la loi du 15 mars 2004, encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, tente le pari d’unifier par une neutralité protectrice, ignorant par là même toutes les croyances, au risque – pour certains sociologues - de fragiliser le lien social qu’on voulait précisément consolider.

Les uns persistent à croire qu’à force d’exceptions, on fragilise le principe même de laïcité.

Si la loi sur les signes règle la question sur le plan juridique et permet temporairement d’apaiser le climat des établissements scolaires, le problème de l’interprétation de ces signes demeure et des accommodements sont trouvés localement pour permettre le vivre ensemble (les menus scolaires, les tolérances lors des grands évènements religieux..).

Les autres conçoivent la laïcité dans une relation entre personnes pour pouvoir vivre ensemble

Entre impartialité et laïcité plus ouverte, deux courants principaux se distinguent ici.

Les uns persistent à croire qu’à force d’exceptions, on fragilise le principe même de laïcité. Les autres conçoivent la laïcité moins comme une question de principe que comme dans une relation entre personnes pour pouvoir vivre ensemble et se construire ensemble.

Du principe aux valeurs de la République… ou du principe à la valeur proclamée

Le traitement de la laïcité par la loi de 2004 fait le choix de l’interdiction plus que celui de la responsabilité de chacun que prônait la loi de 1905.

La loi de 1905 peut s’entendre plutôt comme valeur ou plutôt comme principe.

Cette approche là aussi nous laisse devant deux interprétations. La loi de 1905 peut s’entendre plutôt comme valeur ou plutôt comme principe.

Comme valeur elle alimente des attitudes de combat ou d’unification autour d’un esprit laïc. Comme principe d’impartialité, elle fonde le vivre ensemble. Valeur ou principe, la laïcité est ancrée juridiquement et dans les mœurs. C’est bien cette double entrée qui guidera la laïcité et son expression par les signes et les symboles.

Dans la première période, la laïcité est conçue comme principe, un principe qui relève d’un combat entre le temporel et le spirituel avant de devenir principe constitutionnel. En ce sens, elle encadre et interdit à partir d’une norme qui n’est pas négociable.

La cristallisation autour des signes témoigne, chez certains, d’une crainte à l’égard des minorités culturelles.

La seconde interprétation concerne la laïcité comme valeur. Elle représente à ce titre un commun, une idée partagée portée historiquement par les lumières et que la Révolution amènera par le droit. Dans ce sens, la laïcité devient une valeur fondatrice ou universelle (lois d’orientation et charte de la laïcité) permettant d’unir et de vivre ensemble, elle prend le sens de guide ou de référence dans un délitement du lien social et la fracture des peuples.

Dans ces contextes, la cristallisation autour des signes témoigne, chez certains, d’une crainte à l’égard des minorités culturelles.

Neutralisation de l’espace scolaire, espace juridiquement flou entre sphère privée et sphère publique.

Dans sa dimension juridique, la laïcité constitue une référence liée à la neutralité qui protège les individus. Cette protection se voit depuis 2004 renforcée par la neutralisation de l’espace scolaire, espace juridiquement flou entre sphère privée et sphère publique. La laïcité s’en trouve, selon certains auteurs, dévoyée. Elle constitue alors un élément de gestion de l’ordre scolaire. 

Cette dimension morale tend à gommer les identités personnelles au profit d’une identité citoyenne

Cette orientation qui prévaut jusque dans les années 2005 confirmerait l’attachement républicain au détriment de la démocratie qui suppose la reconnaissance de la pluralité des sphères. Les évènements récents viennent conforter cette tendance et transformer la laïcité en une valeur proclamée à laquelle il est impératif de se référer pour une adhésion collective à la Nation. Cette dimension morale tend à gommer quelque peu les identités personnelles au profit d’une identité citoyenne. 

Nous voyons ainsi, en fonction des leviers d’appui actionnés et des interprétations de la laïcité, que ces modèles restent sous tension permanente. 

Des modèles sous tension : entre fins et moyens… vers une pédagogie de la laïcité

En France, nous sommes bien souvent en tension entre deux modèles éducatifs contrairement aux pays nord-américains.

D’un côté, nous avons l’idée d’une construction du citoyen à partir d’un modelage en vue de former un être universel, d’où l’idée d’arrachement.

De l’autre, nous avons une reconnaissance de la personne en tant que telle, capable de s’exprimer et de faire valoir ses opinions, d’où l’idée d’enracinement.

Les conceptions de la laïcité oscillent entre idéologie et juridique, entre bien et juste, entre principe et valeur

La laïcité se façonne et évolue au gré des environnements sociopolitiques, voire géopolitiques, amenant avec elle une dimension éthique et/ou juridique plus ou moins prononcée.

Dans ces contextes, les conceptions de la laïcité oscillent entre idéologie et juridique, entre bien et juste, entre principe et valeur. Le degré des crises traversées par la France en détermine les usages et visées : élément de combat, condition du vivre ensemble, idéal, symbole de l’identité citoyenne, etc.

L’École institue des espaces de débats permettant de confronter ces différents modèles de laïcité et d’approches culturelles

L’école constitue un espace singulier caractérisé par une tension interne spécifique entre exclusion par les signes et unification par une éducation morale et civique.

Cette tension dévoile une laïcité, s’éloignant un peu plus au fil du temps de son fondement premier, la liberté de conscience dans le respect de l’ordre public et endossant davantage le rôle d’un principe unificateur neutralisant, au point que certains peuvent y voir un dévoiement.

Malgré tout, l’École institue à travers les programmes récents de l’enseignement moral et civique, au-delà des disciplines, des espaces de débats permettant de confronter ces différents modèles de laïcité et d’approches culturelles.
 

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