Justice : Colère noire pour les Robes noires

Par Nicolas Defay mer 15/12/2021 - 17:00 , Mise à jour le 15/12/2021 à 17:00

« La justice à bout de souffle ». « Une justice sacrifiée ». « Une justice exsangue ». Ces images sont criées depuis des mois par les magistrats, les avocats, les greffiers et autres à travers toute la France. Ce mercredi 15 décembre est historique dans la sphère judiciaire. Car c’est la première fois que tous les éléments du ministère en question se soulèvent ensemble pour tirer la sonnette d’alarme.

Sur les marches du Palais de justice du Puy, ils sont plus d’une trentaine de professionnels à s’être regroupés afin de dénoncer ce qu’il se passe derrière leurs murs. Des piles de dossiers qui s’accumulent continuellement, des moyens techniques absents, des auditions qui se terminent parfois qu’aux premiers heures du jour, et de la fatigue encore et encore.

« Tout le monde ici s’acharne à bien faire son travail, assure Julien Chastang, greffier au tribunal judiciaire du Puy et représentant CGT et Chancellerie service judiciaire. Mais quand on sent qu’on y arrive plus, que nous sommes sonnés de fatigue, on peut passer à côté de certaines choses. Et il est clair que nous sommes dans un domaine où il faut éviter de faire des erreurs car c’est l’avenir des personnes qui est alors mis en porte-à faux ».

Sans précédent, ce sont 17 organisations syndicales dont, fait exceptionnel, l’Union syndicale des magistrats, qui ont entamé une grève générale. D'une même voix, ils appellent aux renvois massifs des audiences

« Je pense que cela démontre que la situation est très grave » 

Comme eux, ils sont des milliers de robes noirs à s’insurger contre « la surdité du Garde Sceaux », Eric Dupond-Moretti. « La mobilisation est, de mémoire, sans précédente, livre Julien Chastang. Si d’habitude nous avons des appels de la part des syndicats habituels à chaque dysfonctionnement repéré, aujourd’hui nous avons le ralliement des premiers présidents, des procureurs généraux, des présidents des tribunaux judiciaires ou encore des procureurs de la République. C’est historique ! »

Il ajoute sombrement : « Je ne sais pas si cela doit nous rassurer. Mais je pense que cela démontre, à l’ensemble du corps de justice et à la société en général, que la situation est très grave ».

Europe : la France à la traine au niveau des effectifs

Selon le site gouvernemental de vie publique :
La France comptait en 2019 environ 8 600 magistrats de l'ordre judiciaire. Les comparaisons européennes démontrent l'insuffisance, régulièrement dénoncée, de ces effectifs.
La France compte deux fois moins de juges et quatre fois moins de procureurs, rapportés au nombre d'habitants, que la moyenne européenne.
Néanmoins, on dénombre en 2020, la création de 100 postes de magistrats qui permettrait de réduire à un 1% le nombre de postes vacants au sein de la magistrature.

« Du mercure au chrome sur une plaie béante »

Et pourtant. Aux dires d’Eric Dupond-Moretti, jamais auparavant le budget du ministère de la Justice n’avait été aussi conséquent pour, toujours selon ses termes partagés lundi 12 décembre sur différents médias, « réparer la justice ».

Afin de canaliser la colère qui grandit depuis des années et notamment depuis le suicide d’une magistrate du Pas-de-Calais en août suite à un burn-out professionnel, le Garde des sceaux a annoncé un nombre de place accrue à l’École Nationale de la Magistrature. Cette solution permettrait d’accueillir 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023. En parallèle, 1 400 postes seraient créés dans le cadre de la justice de proximité.

Les annonces d’Eric Dupond-Moretti ne semble pas convenir à Julien Chastang. « On met toujours en avant les nouvelles places d’avocats, de greffiers ou autres qui sont créées chaque année. Mais là où il ne communique pas, c’est la masse de personnel qui part. » Il martèle alors : «  Nous sommes toujours en déficit ! 10 % de postes sont vacants actuellement! Même si on comblait ces 10 %, on ne serait toujours pas dans de bonnes conditions pour exécuter correctement notre travail ».

« L’erreur peut toujours arriver. Mais si on sent qu’on commet des erreurs parce qu’on est toujours à bout, toujours sous-pression et totalement éreinté, c’est là que ça devient dur à vivre. Car notre métier perd à ce moment là tout son sens ». Julien Chastang

« Ce genre de propos démontre clairement sa déconnexion du terrain »

Autre point de friction qui fait serrer les dents du greffier, c’est la vision déformée qu’entretiendrait Eric Dupond-Moretti avec la réalité du terrain. « Le mal est profond et ancien. Il y a un manque de moyen humain incroyable ! Alors, quand j’entends le Garde de sceaux dire ce matin sur une radio nationale que le problème proviendrait d’un soucis de management et d’organisation de la part du personnel lui-même, je ris jaune. Ce genre de propos démontre clairement sa déconnexion du terrain ».

« Nous éprouvons un véritable ras-le-bol. À un moment donné, il faut que tout ça s’arrête »

Julien Chastang termine en ces mots : « Aujourd’hui, nous sommes fatigués. Aujourd’hui, nous sommes excédés. C’est rare que tout le monde se mobilise ainsi et en si grand nombre. D’habitude, le personnel de notre ministère exprime peu son mal-être, se contentant d’exécuter gentiment ses tâches. Mais la souffrance au travail s’immisce de plus en plus chaque jour. Nous éprouvons un véritable ras-le-bol. À un moment donné, il faut que tout ça s’arrête ».

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2 commentaires

lo

jeu 16/12/2021 - 17:52

Peut-être qu'il y a des problèmes d'organisation, de moyens et que sais-je encore mais il y a aussi celles et ceux qui roupillent en attendant que quelqu'un d'autre fasse leur boulot...La compétence inquiète les français au vu des verdicts qui sont quelques fois rendus mais cette catégorie-là semble intouchable...

na

jeu 16/12/2021 - 10:14

C'est sûr, il y a un problème. Comme dans tous les secteurs d'activités...

La justice a deux vitesses reste un sport départemental. Par manque de moyens ?