Naussac, en voile de mariée
Il nettoie la Loire en canoé
Tout le monde connaît l'adage : " Une rivière est propre jusqu'au premier village". Si, visuellement, il y a du mieux depuis les années 1980, la production de déchets a augmenté. Quant au recyclage, ce ne serait qu'un cataplasme sur une jambe de bois... ou plutôt de plastique. À Vorey, un habitant qui s'intéresse à la question des déchets, Jean Baptiste a entrepris de nettoyer régulièrement la Loire à bord de son canoé, le Dépollutor.
Pourquoi avoir entrepris de nettoyer la Loire en canoë ?
Je viens de Coubon et la différence de qualité de l'eau m'a sauté aux yeux entre Coubon et Vorey. Il y a beaucoup plus de vase, d'algues, de diatomées ( algues microscopiques qui forment une pellicule visqueuse sur les pierres) ici. Et plus de déchets aussi, puisque nous sommes en aval du Puy. Par ailleurs, je suis naturaliste amateur et c'est l'occasion d'observer les animaux ou leurs traces. A Vorey, on a la chance d'avoir le castor, l'autour, la genette, le loriot, la loutre, etc... J'aime bien me dire que j'agis au moins autant-sinon plus- pour les animaux.
Les opérations de nettoyage ont le vent en poupe en ce moment, on dirait...
Oui ça fait plaisir... Même si dans mon cas ça reste un nettoyage superficiel. Je retire les pneus, les bâches agricoles, les boîtes de médicaments, les bouteilles, etc... mais la plupart des déchets sont incrustés dans le sol ou sous forme de particules. Par exemple, si vous prenez une poignée de sable au bord de l'eau. Au début, vous ne voyez que du sable. Et puis, en y passant, un peu de temps, en étalant un peu, vous allez voir des microparticules de plastique. Voilà ce qu'on fait à nos rivières et in fine à l'océan. Et les déchets lourds comme les batteries de voiture restent au fond de l'eau par exemple. Difficile de les attraper. Peut-être avec un aimant...
Les rivières sont tout de même plus propres aujourd'hui que dans les années 1980...
Oui sans doute, mais il faut dire l'essentiel des déchets qu'on produit est soigneusement caché à la vue aujourd'hui. Les Français en produisent presque deux fois plus qu'au début des années 1970 ! On se demande d'ailleurs si on ne devrait pas les laisser dans la rue, comme c'est régulièrement le cas à Marseille. Comme ça, on se rendrait compte de notre impact absolument délirant sur l'environnement... Comme le dit le célèbre ingénieur Jean-Marc Jancovici : " Nous avons un problème de placards qui se vident ( des ressources naturelles qui s'épuisent) et de poubelles qui débordent (la prolifération des déchets)".
Le tri sélectif semble bien ancré dans les mentalité. C'est une bonne chose non ?
Ce que je vais dire ne va pas vous plaire. Le recyclage est un enfumage orchestré par les industriels et les politiques pour nous faire croire que notre mode de vie actuel n'a finalement qu'un impact limité, alors qu'on sait depuis le début qu'il a un impact considérable. Le recyclage est justifié dans certains cas (le papier ou les métaux, par exemple) mais ne peut pas être un modèle généralisé. Regardons la réalité en face : le plastique se recycle extrêmement mal. En fait, la solution est toute simple et connue depuis des lustres, mais elle reste inaudible : c'est de réduire drastiquement notre consommation, de passer au Zéro Déchet et de revenir à la consigne, et de faire fondre ainsi nos poubelles de 90 %. Au passage, on mange mieux, on vit mieux, on fait de sérieuses économies, on fait vivre nos petits producteurs locaux, et on respecte enfin notre cadre de vie…
Mais moins de consommation, c'est aussi moins d'emplois !
Une vaste réorganisation et replanification de l'économie est nécessaire. Certains emplois délétères, dans l'automobile ou l'aérien, par exemple, vont forcément disparaître, d'autres se créer. La vérité c'est qu'on n'a pas le choix. D'après le Plan de Transformation de l'Économie Française publié par un groupe de réflexion, le
Shift Project , il manquerait par exemple 500 000 personnes dans l'agriculture si on veut relocaliser toute la production en France. C'est un changement total de modèle économique, c'est sûr. Mais si on fait le compte de tous les défis en cours – l'effondrement de la biodiversité (qui impacte déjà la production alimentaire), le dérèglement climatique qui nous vaut des sécheresses bibliques, l'épuisement des ressources, la prolifération du plastique, les pandémies, la bétonisation obstinée (regardez ce qu'on fait au Pertuis), le creusement des inégalités, etc. – on voit bien que l'urgence est totale. Et puis la question de l'emploi nous semblera bien dérisoire quand on aura 50°C à l'ombre et plus rien dans nos assiettes…
En attendant, comment convaincre les gens de réduire leurs déchets ?
Bonne question ! En général, plus on essaie de convaincre, moins on convainc. On peut semer des graines, tout au plus… Seule une petite minorité de toute société est rationnelle. Quand vous expliquez par exemple à une personne rationnelle que la production de plastique double tous les 20 ans dans le monde, que le plastique se recycle affreusement mal (malgré les innovations prétendument révolutionnaires), que ses enfants vivront sur une planète totalement intoxiquée, elle va dire : "Mais c'est horrible !" et elle va adapter son comportement à cette prise de conscience, typiquement en se convertissant dare-dare au Zéro Déchet. Or, la société est composée en grande partie de gens non pas rationnels mais "rationalisants".
"Le supermarché c'est 90% de plastique" Jean-Baptiste
Quand vous déroulez les mêmes faits scientifiques devant une personne rationalisante, elle va faire l'inverse de la personne rationnelle. Plutôt que d'adapter son comportement, elle va déformer la réalité en l'adaptant à sa sauce, en invoquant les dérivatifs que tout le monde connaît bien : "Les scientifiques se trompent", "Moi, je fais le tri", "J'ai un shampoing solide, tout va bien", "Ça ne peut pas être aussi grave qu'ils le disent", "Les jeunes vont régler le problème", "Il faut vivre avec son temps", "Il faut faire confiance au génie humain, on va bien trouver une technologie révolutionnaire", "C'est aux riches et aux industriels de changer", "De toute façon c'est foutu", etc. C'est ce qui explique qu'on voit toujours autant de monde dans les supermarchés. Le supermarché, c'est 90 % de plastique (malgré les efforts entrepris récemment), c'est une aberration totale, une catastrophe écologique permanente sous nos yeux, et pourtant 80 % de la population y fait ses courses. La solution serait donc peut-être plutôt du côté de la réglementation (qui irait alors bien au-delà des mesurettes cosmétiques en vogue)… le hic étant qu'on vit dans une société intolérante à la contrainte et à la frustration. Pas simple, je reconnais ! Alors, en attendant que ça bouge pour de vrai, je nettoie la Loire sur mon petit canoë…
Oumpah-Pah