Gilets jaunes : '''pour une démocratie plus directe'''

mer 05/12/2018 - 15:06 , Mise à jour le 27/11/2020 à 08:55

Ce mardi 4 décembre 2018, au 18ème jour du mouvement des Gilets jaunes, vers midi, le premier ministre a annoncé plusieurs suspensions de hausses de taxes prévues initialement en janvier. Celle de la taxe carbone sur les carburants, celle de la convergence de la fiscalité du diesel avec l’essence, de l’alignement de la fiscalité du gazole des entrepreneurs non routiers et de la hausse des prix de l’électricité et du gaz. Une prime mobilité en zone rurale sera aussi créée.
Du 15 décembre au 1er mars, les Français seront consultés dans tous les territoires. Si, après six mois de suspension, aucune solution n’est trouvée, Edouard Philippe a promis d’en « tirer les conséquences ». Selon la Secrétaire d’État Marlène Schiappa, sur France Info, ça veut dire supprimer ces hausses de taxe. Mais les Gilets jaunes comprennent plutôt qu’elles seront appliquées pendant l’été, quand tout le monde sera en vacances.

Des revendications remises au préfet
Tout de suite après ces annonces, deux Gilets jaunes, envoyés en concertation par le groupe de Blavozy comme porte-paroles, sont venus s’exprimer à notre micro.
Sandra Baron est une mère au foyer de Retournac de 31 ans qui fait partie des Gilets jaunes de Blavozy. Frédéric Martin, 46 ans, habite Polignac. Il ne fait partie d’aucun groupe de Gilets jaunes et a rencontré Sandra Baron samedi dernier sur la manifestation du Puy. Tous deux font partie de la délégation reçue en préfecture samedi après-midi (ils nous ont montré des vidéos à l’appui pour l’authentifier).
Cette délégation a remis des documents au préfet avec des revendications (dont une liste de dizaines de points élaborés au sein du groupe de Gilets jaunes de Monistrol, auxquels le groupe de Blavozy a apporté son soutien). Parmi elles, que les votes blancs et nuls soient pris en compte et qu’aucune personnalité politique ne soit élue si elle a récolté moins de 50 % des voix de la population – ce qu’ils reprochent à Emmanuel Macron – (auquel cas une nouvelle élection devrait être lancée).
Certaines mesures portent sur le pouvoir d’achat ou encore sur l’écologie. « Certaines de ces revendications pourraient me coûter cher personnellement, confie Frédéric Martin qui dit qu’il n’est pas spécialement à plaindre, mais ce n’est pas pour ça que je ne dois pas être d’accord avec un système démocratique ».
Alors quand la ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec le Parlement Jacqueline Gourault, qui s’est rendue au Puy dimanche, a déclaré que les Gilets jaunes ne veulent pas discuter de leurs revendications sur Sud Radio ce mardi matin, ils ont décidé de prendre la parole.

''On n’est pas dans la négociation''
Réagissant à chaud après les annonces d’Edouard Philippe, ils estiment que ce sont « des mesurettes », « de la poudre aux yeux », « l’aumône que Louis XVI donne au peuple ». Si le gouvernement avait fait de telles propositions au début du mouvement, à la rigueur ? Mais maintenant, c’est trop tard. « Le mouvement s’est élargi, explique Sandra Baron, il ne s’agit plus simplement des prix des carburants. Pourquoi ils ont attendu si longtemps ? Parce qu’ils ne nous ont pas pris au sérieux. Ils se sont dit qu’on n’allait pas tenir dans le froid mais on est toujours là. Moi-même je dors dehors sur le rond-point. Macron a voulu nous diviser ; ils nous a rassemblés. » « Si on lâche maintenant, c’est définitivement fini, on n’obtiendra rien », expose Frédéric Martin qui prédit la poursuite du mouvement : « Ce qu’ils n’ont pas compris c’est qu’on n’est pas dans la négociation ».
Certains gilets jaunes demandent la démission du gouvernement et l’instauration d’une nouvelle Constitution avec d’avantages de référendums, sur le modèle des votations en Suisse. « Ou un autre modèle de démocratie plus directe auquel je n’ai pas pensé », précise Frédéric Martin qui développe :

L’idée d’un référendum, elle a été défendue par Laurent Wauquiez sur les carburants. « C’est parce qu’on l’a proposé au préfet, lance Sandra Baron et que M. Wauquiez – je l’ai vu à télé – il en parle et bien tant mieux ! Parce qu’on a un appui de notre côté ». Sauf que pour Frédéric Martin c’est sur la quasi totalité des décisions du pays qu’il faudrait des référendums. Et pas des référendums tels qu’ils sont organisés actuellement en France : « quand on ne vote pas comme ils ont envie qu’on vote, ils se torchent le c.. avec les bulletins de vote et ils nous disent qu’on s’est trompé, comme ça été le cas pour l’Europe ».

Aucun autre politique ne ferait mieux...
Alors Laurent Wauquiez futur président de la République ? Haussement d’épaules. « Dès qu’ils sont élus, ils ne font que ce qu’ils veulent, déplore Frédéric Martin qui remarque que « Emmanuel Macron a cristallisé la colère contre lui avec son attitude méprisante - avec les « Gaulois réfractaires », les « je traverse la rue et je te trouve du travail »… - mais finalement peu importe les personnalités politiques, si le système reste tel qu’il est, rien ne changera. »

Sandra Baron, elle, tient à souligner l’élan incroyable soulevé par ce mouvement des Gilets jaunes. « Au début je pensais juste que je distribuerais des flyers dans ma ville de Retournac et maintenant je discute avec le préfet ! ». Elle estime que le soutien de la population n’a pas baissé depuis les violences de samedi dernier. Elle continue la lutte. Voici pourquoi.

Nous vivons sous la même Constitution depuis 1958. Alors ce désir d’une démocratie plus directe est-il dû à un basculement de point de vue ? Ne découle-t-il pas des moyens de communication accrus ces dernières années avec un espace de parole décuplé par Internet et les réseaux sociaux ? En partie, acquiescent-ils mais ils attribuent surtout ce soulèvement populaire à une dégradation de la qualité de la vie et à une perte effective, selon eux, de pouvoir décisionnel du peuple. Un pouvoir qu’ils estiment confisqué par les élites. D’où le mécontentement traduit par l’abstention dans les urnes.

Pourquoi une telle violence ?
Concernant les violences de samedi dernier, Sandra Baron se doutait que le mouvement se durcirait mais pas à ce point là : « ça a été trop loin ». Frédéric Martin, lui, dit juste regretter de ne pas avoir mobilisé les Gilets jaunes pacifistes, présents sur la place du Breuil parfois par curiosité, pour stopper les casseurs car, dit-il, « les forces de l’ordre étaient complètement dépassées ». Dès le début d’après-midi, la présence dans le cortège de casseurs extérieurs au mouvement (certains aux visages dissimulés, certains venus de la Loire) a été signalée aux gendarmes, affirment-ils. Mais tant que ces personnes n’avaient rien fait de mal, les forces de l’ordre ne pouvaient pas les interpeller.
Outre les casseurs extérieurs, tous deux reconnaissent qu’il y a de vrais Gilets jaunes qui se sont laissés entraîner dans une spirale de violence. Certains parce qu’ils pensent que seule la violence aboutira. D’autres en réaction aux tirs de gaz lacrymogènes. « J’en ai vu un qui m’a dit que sa femme s’était pris une grenade de désencerclement au visage – jetée en l’air au lieu du sol a priori  –  et qu’elle avait l’oreille en sang, alors il est devenu violent », confie Frédéric Martin.
En revanche, Sandra Baron reconnaît qu’elle a vu une vidéo d’un policier se faire agresser par derrière. La réponse immédiate lui semble là plus normale.

Et après la venue d’Emmanuel Macron au Puy en fin de journée, leurs positions ont-elles changé ? Non et « s’il ne veut pas entrer dans l’histoire de la même façon que Louis XVI, il a intérêt à prendre de vraies mesures rapidement », craint Frédéric Martin, un scenario qu'il redoute mais qu'il ne souhaite absolument.

Annabel Walker

Les revendications des Gilets jaunes de Monistrol, soutenues par ceux de Blavozy (document remis au préfet samedi 1er décembre) :

Parole d'un soixante-huitard :

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