Évaluations en CP-CE1 : "le retard du confinement est rattrapé"

Par Annabel Walker , Mise à jour le 21/01/2022 à 06:30

Les dernières évaluations de CP-CE1 en Haute-Loire tendent à montrer que les retards d'apprentissage du confinement sont rattrapés à quelques exceptions près. Pour le principal syndicat enseignant, ces évaluations étouffent les instituteurs dans leurs efforts de faire progresser les élèves dans leur globalité.

Les évaluations nationales de CP et de CE1 devaient se tenir cette semaine. Mais suite à la manifestation massive de ce jeudi 13 janvier, elles sont reportées à une date encore à définir. En effet, chaque année depuis 2017, les élèves de CP et de CE1 passent des tests d’évaluation en Français et en Mathématiques en septembre et en janvier. 

Les résultats post confinement avaient montré d’importantes lacunes parmi une majorité d’enfants ayant pâti de la fermeture des écoles au printemps 2019 et de leur passage en distanciel. 
Les résultats nationaux des évaluations de septembre 2021 ont été révélés en novembre dernier. Nous avons sollicité l’inspection d’académie de la Haute-Loire pour des résultats départementaux. Selon Marie-Hélène Aubry, la Directrice académique des services de l'Éducation nationale (DASEN 43), la plupart des retards d’apprentissage a été rattrapé. « Sur certains points, les résultats dépassent même ceux de septembre 2019 [avant la crise sanitaire, Ndlr] ce qui est très rare au plan national », souligne Marie-Hélène Aubry. Car ces deux mois sans école, au printemps 2019, ont fortement pénalisé une grande partie des élèves notamment dans la compréhension des mots lus.

« Le confinement n’est pas le seul responsable de la baisse des résultats en compréhension, relève Muriel Vignaud, co-secrétaire départementale du syndicat d’enseignants du 1er degré Snuipp-FSU. Le ministre fait de la réussite aux tests de fluence l’objectif premier de l’apprentissage de la lecture, comme un préalable à la compréhension. Or, les recherches en éducation montrent qu’on confond ici corrélation et causalité. À massifier le temps consacré à la fluence, on diminue le temps consacré aux compétences de plus haut niveau mobilisées dans la compréhension. De plus, on crée un obstacle à la compréhension car oraliser vite est très « coûteux » et empêche d’observer pour comprendre. L’oralisation comme entrée quasi exclusive dans la lecture crée une « cécité orthographique » qui est un handicap à la compréhension. »

Lors des évaluations, 60 items sont évalués sur plusieurs jours avec leur propre maîtresse ou maître « pour déstresser l’approche », commente  Marie-Hélène Aubry. 

Le Français en CP

Le taux de réussite global désigne la proportion d’élèves ayant obtenu des résultats satisfaisants. Les autres sont désignés comme « fragiles » ou « à besoins ».

En septembre 2021, les élèves de CP de Haute-Loire ont été testés sur huit compétences en Français pour un taux de réussite global de 86,27 %. 
Parmi celles-ci, cinq compétences obtiennent des résultats supérieurs aux évaluations de 2019 mais aussi à la moyenne nationale de septembre dernier. « Dans la moyenne nationale, nous n’incluons pas les résultats des classes en éducation prioritaire car la Haute-Loire n’en a pas », précise Sylvia Crozemarie, l’inspectrice d’académie adjointe 1er degré, bras droit de la DASEN pour l’ensemble de la Haute-Loire. Ces cinq compétences sont : comprendre, un texte lu par l’enseignant, manipuler des syllabes, connaître le nom des lettres et leurs sons, reconnaître des lettres parmi d’autres lettres et comprendre une suite de lettres.

En revanche, trois compétences n’ont pas retrouvé leur niveau départemental d’avant crise sanitaire « mais ça se joue à 5/100e près », nuance Sylvia Crozemarie qui estime les résultats « très encourageants » compte tenu du contexte sanitaire. Il s’agit de : comprendre des mots, comprendre des phrases et identifier des phonèmes.
« Cela fait presque deux ans que les enseignants de maternelle et d’élémentaires travaillent avec un masque sur le visage, souligne Muriel Vignaud. C’est une barrière à la compréhension des phonèmes à la fois auditive et visuelle. » En effet, « lire sur les lèvres aide grandement à différencier des sons phonologiquement proches comme p-t-k / f-s-ch / b-d-g / v-z-j / m-n ou encore des mots auditivement proches comme cadeau/gâteau - chat/ça », explique Cécile Benat, orthophoniste au Puy-en-Velay. Et de renvoyer vers une étude de l'Université de Lorrain et du CNRS qui indique que le masque accentue les écarts entre bons élèves (qui compensent sans lecture labiale ni expression faciale) et les élèves les plus en difficultés (qui ont grandement besoin de tous ces indices visuels).

Les Maths en CP

En Maths, les CP de cette année ont obtenu un taux de réussite global de 83,4 % sur un total de sept compétences évaluées.
Les deux compétences qui ont fait baisser ce chiffre (mais qui restent supérieurs aux moyennes nationales) sont : associer un nombre et sa position (57,63 % des petits Altiligériens obtiennent une note satisfaisante, contre 51,67 % au plan national) et résoudre un problème (75,96 % d’élèves satisfaisants en Haute-Loire pour 69,65 % en France). « On a encore beaucoup à progresser même si on est déjà en légère progression », remarque Sylvia Crozemarie en précisant que, pour résoudre un problème, les petits Altiligériens en CP en septembre 2019 avaient obtenu 72,87 % et ceux de l’an dernier, 72,38 %. Retard largement rattrapé donc, et niveau d’avant crise dépassé.
Les autres compétences évaluées sont : reproduire un assemblage, écrire des nombres entiers, lire des nombres entiers, quantifier une collection et comparer des nombres.

Le Français en CE1

En CE1, en Français, sur les huit compétences évaluées, les élèves Altiligériens dépassent les résultats de leurs prédécesseurs de septembre 2019 sur sept compétences avec un taux de réussite global de 84,94 %.
Là où le retard du confinement n’est pas rattrapé c’est pour « comprendre un texte lu seul par l’élève ». 88,48 % des CE1 de Haute-Loire de cette année réussissent le test, « ce qui est supérieur au taux national et tout à fait honorable », souligne Sylvia Crozemarie. En septembre 2019, avant la crise sanitaire, ils étaient 89,58 %. Puis, après le confinement, ils n’étaient plus que 87,98 %.

Les Maths en CE1

Enfin en Maths, les CE1 actuels obtiennent 78,82 % de réussite globale en dépassant le taux de 2019 sur l’ensemble des neuf compétences testées mais aussi la moyenne nationale actuelle.
Ces compétences sont : reproduire un assemblage, associer un entier à une position sur une ligne graduée, additionner, soustraire, écrire des nombres entiers, lire des nombres entiers, résoudre des problèmes, représenter des nombres entiers et le calcul mental.

Des enfants atones ou ne se comportant pas en apprenant

À la vue de ces statistiques, Muriel Vignaud dresse un constat bien différent. « Pour notre DASEN et son adjointe, les résultats prouvent que tous ces efforts ont porté leurs fruits dans la lutte pour résorber les écarts de performance des élèves suite au confinement. C’est bien loin de ce que nous constatons dans nos classes ! La situation est difficile dans les écoles, de nombreux élèves ont des difficultés avec leur "métier d’élève", de nombreux collègues parlent de "l’atonie" de leurs élèves. Cela ne se mesure pas avec ces évaluations standardisées. Les RASED (réseaux d’aide avec des enseignants spécialisés) ne sont pas assez nombreux et souvent incomplets, le manque de remplaçants est cruel et endémique, les postes de « Plus de Maîtres que de Classe » ont disparu. Plus que jamais, une autre politique éducative est indispensable. »

Observant l’augmentation du pourcentage d’élèves maîtrisant les connaissances, Muriel Vignaud précise que « avec ces évaluations, se sont imposées ou développées de nouvelles pratiques, comme la fluence. Les compétences évaluées, identiques d’une année sur l’autre, sont de fait plus travaillées en classe, parfois au détriment d’autres ».

 

  • L’esprit des évaluations contesté

Les évaluations nationales avaient disparu du cursus. C’est sous l’impulsion du ministre Jean-Michel Blanquer en 2017 qu’elles sont réapparues. Un mouvement d’opposition s’est levé dénonçant l’instauration de la compétition entre élèves et entre écoles. « Du fantasme » selon Marie-Hélène Aubry qui assure que, si les DASEN connaissent les résultats de chaque école, ils ne les traitent jamais pour comparer les établissements. « Pourtant, chaque école reçoit un comparatif avec les résultats des écoles de sa circonscription et ces mêmes comparatifs ont parfois été utilisés lors de formations comme des animations pédagogiques ! », remarque Muriel Vignaud.
Les parents, eux, n’ont pas accès aux résultats de l’école ou de la classe, car cela relève de la vie privée, mais seulement à ceux de leurs enfants.
« L’idée c’est que dans chaque classe, l’enseignant ait des outils pour aider chaque élève dans chaque matière », illustre-t-elle, tout en reconnaissant qu’il est  impossible d’individualiser en permanence.
« L’idée est surtout d’imposer des pratiques et de déposséder les enseignants de leur liberté pédagogique ! » s’exclame Muriel Vignaud.
L’accent est mis sur le Français et les Maths pour un retour aux fondamentaux. Car, dans les années 2000, la France reculait dans les classements internationaux, notamment en Maths. 

Chaque année, 1/6e des instituteurs suivent une formation d’au moins 18 heures consacrée à la mise à niveau en Français et en Maths.

Le SNUipp-FSU43, lui, se félicite du report des évaluations de mi-CP en janvier et en demande même l’annulation pure et simple, comme il demande la suppression de ces évaluations standardisées. « Depuis deux ans, avec un contexte sanitaire qui rend le travail des enseignants plus difficile, rappelle Muriel Vignaud, il faudrait soutenir plus que jamais la professionnalité enseignante qui est étouffée par ces évaluations ».
Et d’illustrer : « Ces évaluations standardisées portent sur des compétences instrumentales, mesurées de manière fragmentée, elles ne portent que sur 4 attendus des programmes en français et 2 en maths pour les CP et seulement 4 attendus en français et 5 en maths en début de CE1. Donc le protocole d’évaluation ne permet pas de dresser un panorama exhaustif des programmes.
Ne sont donc pas mesurés l’évolution des performances dans les autres attendus en mathématiques et en français, ni dans les autres champs disciplinaires, dont les inégalités d’appropriation participent grandement de la fabrication des inégalités scolaires. Or c’est en s’appuyant sur l’ensemble des programmes que les enseignant·es permettent aux élèves de construire les savoirs nécessaires, en résonance les uns avec les autres. C’est une des conditions de la démocratisation de la réussite scolaire. 
Elles écartent justement ce dont nos élèves ont besoin dans cette période si difficile : la découverte, la capacité à s’interroger, la dynamique collective qui permet d’inclure tous les élèves dans une vie de classe. Ces évaluations non seulement n’aident pas les élèves mais détournent les enseignants de ce qu’il faut parvenir à mettre en place dans la classe.
 »

 

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