"Depuis quelques années, on assiste à la démocratisation du didgeridoo"

Par AP , Mise à jour le 10/06/2021 à 07:00

Il s'appelle Grégory Zwingelstein et vient d'avoir 38 ans. Originaire d'Alsace, il s'est installé avec sa compagne à Loudes après un véritable coup de coeur pour leur maison qui accueille aussi une boutique et un atelier. Passionné d'instruments de musique du monde, il souhaite faire découvrir sa passion pour le didgeridoo. Rencontre.

Comment est venue cette passion pour le didgeridoo ?

"Cette passion, elle remonte pour moi à 1999, à l’époque où j’étais encore lycéen. Un de mes professeurs est revenu d'Australie et il a ramené en didgeridoo de là-bas. Il a ensuite fait une démonstration. J’ai entendu ce son, je m’en rappelle comme si c’était hier et ça m’a littéralement appelé au fond de mon être. Comme si j’avais reçu ce jour-là un message qui me disait : « Tu dois faire quelque chose de cet instrument !"

En plus d’être passionné de didgeridoo, vous êtes, à en voir votre boutique Didgeridoo Passion, un vendeur mais aussi un créateur ?

"Tout à fait ! Je suis passionné, musicien et fabricant. Fabricant pour moi, c’est un terme large, parce que je ne créée pas en série. C’est vraiment une passion, comme l’entreprise l’est. Je fais quelques pièces par mois, vraiment quand j’ai du temps, parce que je ne veux pas que ce soit de la production, ce n’est pas mon but. Je respecte vraiment l’eucalyptus et la branche, un petit peu comme le font les aborigènes. Je suis allé plusieurs fois en Australie, ce qui m’a permis d’apprendre la méthode traditionnelle de coupe et de fabrication."

"Avant Didgeridoo Passion, j'étais responsable qualité dans le secteur de l'automobile. On formait toutes les pièces d'habitacle. Mais j'ai choisi de privilégier ma passion"

Votre souhait est donc de perpétrer la tradition ?

"Complètement ! J’importe des troncs brut d’Australie, coupés dans des réserves où il y a ce que l’on appelle des « coupes d’autorisation », puisque l’on ne peut pas couper n’importe comment et n’importe quand. Il y a vraiment des droits, non seulement par rapport aux terres aborigènes, mais aussi pour une question de plantation / replantation. Une fois que j’importe ces troncs, ils sont termités (creusés par les termites) et après, on part d’un tronc brut, qui fait une dizaine de kilos pour obtenir un instrument de 2/3 kilos. Et en ce qui concerne la taille, plus le didgeridoo est grand, plus le son qui s'en dégage sera grave. On va donc de minimum 1,10m, car en-dessous, on va être trop aigus, jusqu'à 2m."

A l'intérieur du bois termité du didgeridoo Photo par Axel POULAIN

Quelles sont donc les étapes pour en arriver à une telle transformation ?

"La première, qui est la plus importante, c’est l’écorcage. Pour ce faire, j’utilise un outil assez ancestral, une plane de charron pour enlever l’écorce et la partie externe du bois. Donc on va enlever 3/4 kilos. Dans un second temps, je vais utiliser des petits rabots à main qui enlèvent copeaux par copeaux, millimètres par millimètres. C’est un travail très long, mais qui permet de respecter la fibre de l’instrument. Dans l’eucalyptus, il y a vraiment des nœuds, des courbes que l’on ne voit pas quand il y a l’écorce."

Ce travail très long, il se quantifie comment ?

"Si j’étais dans la production, cela me prendrait une semaine, parce que je ferais plusieurs instruments en même temps, plusieurs étapes en simultané qui me permettrait de gagner du temps. Mais puisque je ne suis pas dans la production, cela me prend plutôt un mois, mon but étant de le faire bien et de prendre mon temps et du plaisir."

Gregory Zwingelstein montre la technique d'écorcage de didgeridoo. Photo par Axel POULAIN

Didgeridoo passion, c'est une boutique uniquement dédiée au didgeridoo ?

"Ce magasin, bien qu'il en porte le nom, ne présente pas seulement du didgeridoo. J'ai tout un tas d'autres instruments de musique dits "ethniques". Ce sont des instruments peu connus du grand public, mais qui sont vraiment intéressants. Je pourrais parler des hand pan (percussions mélodiques à main), des cosmicbows (arcs en bouches), des fujaras (flûtes slovaques) ou encore des tambours chamaniques."

Arriver à Loudes en vous installant dans une boutique aussi insolite : quel accueil avez-vous reçu ?

"Nous avons eu un accueil très intéressé, puisqu’au final, ils ne s’attendaient pas du tout à ce qu’une activité comme ça s’implante dans la région, d’autant plus que c’était totalement méconnu. Je me rappelle encore que l’on avait invité l’ancien maire et ses adjoints à venir faire une petite inauguration du local. Ils avaient vraiment été surpris, mais écouter le son leur a permis de découvrir de nouvelles sonorités. Et comme je touche un public qui est mondial par l’entreprise, ça ramène au village une clientèle qui n’est pas seulement locale. Cette clientèle s’informe de notre présence ici via les médias sociaux et mes sites internet, dont le principal, Didgeridoo passion."

"Quand j’étais en Alsace, je touchais plus une clientèle allemande, belge ou encore suisse. Mais depuis notre arrivée à Loudes, c’est plutôt une clientèle italienne ou encore espagnole. C’est vraiment une chance, pour nous comme pour le village ; on discute d’ailleurs avec la nouvelle municipalité, puisque cela fait de la clientèle en plus dans le village et les gens découvrent Loudes. Cela permet de faire vivre aussi le commerce local."

Les didgeridoos peuvent aller de 1,10m à 2m Photo par Axel POULAIN

La curiosité créé la demande où les gens savent d’ores et déjà qu’ils veulent acheter ?

"C’est très ciblé. Par expérience, dans le passé, j’ai eu un local commercial où j’étais ouvert tous les jours. Maintenant, je ne reçois que sur rendez-vous. Monsieur tout le monde qui va rentrer dans la boutique ne va pas dépenser 400, 500, 600€ pour acheter un instrument de qualité en bois. Il va plus être intéressé par des instruments pour débutants. Donc ma clientèle est très ciblée : ce sont, pour beaucoup, des musiciens. Ce qui est intéressant depuis quelques années, c’est que l’on assiste à la démocratisation de l’instrument. C’est-à-dire qu’il est de plus en plus reconnu comme un instrument de musique à part entière et non pas associé « aux babas cools » si je puis dire, c’était vraiment ça avant.

"Maintenant, on le voit partout, dans les orchestres symphoniques, dans les groupes de métal et même dans du rap."

L’avantage du didgeridoo, c’est que c’est une base rythmique sonore qui permet de composer par-dessus."

Ce didgeridoo, c'est un instrument plutôt accessible à tous ou élitiste ?

"En termes de jouabilité, tout d'abord, c'est accessible à tous. N'importe qui peut en jouer, il n'y a pas de classification, ni en matière d'âge, ou de sexe. Ce qui est sûr, c'est que les enfants auront plus de facilités à en jouer, car ils ont ce que l'on appelle "le lâcher prise". Quand on est adulte, souvent, on se met des barrières, on a peur de montrer quelque chose en face de l'autre. L'enfant, lui, arrivera plus facilement à jouer. Niveau prix, dans mon magasin, je cible la qualité, donc je n'ai pas tout ce qui est en provenance d'Indonésie ou d'Inde. Ces didgeridoos-là, on les trouve dans les grandes surfaces ou les gros magasins de musique qui vendent en grande quantité. Ce ne sont pas forcément de bons didgeridoos, très souvent des contrefaçons même, qui sont plus des objets décoratifs que des instruments. Dans Digeridoo Passion, il y a vraiment le didgeridoo musical; alors, c'est sûr que cela a un coût, mais derrière, on a un instrument de luthier. Pour donner une fourchette de prix, dans ma boutique, je vends des didgeridoos en PVC, pour débuter, qui pour le coût n'ont rien d'authentique en bois ou autre : ceux-là coûtent environ 70€. Jusqu'aux plus gros instruments qui valent autour de 2000/2500€. Ca peut même aller plus, suivant des pièces exceptionnelles de lutherie qui sont issues de vieux eucalyptus et qui donnent un grain sonore vraiment très particulier? Dans ce cas-là, on peut monter jusqu'à 3, 4, 5 000 €. Mais pour donner la grande fourchette, c'est de 70 à 1 000 €.

Qui dit débuter dit leçons. Dispensez-vous des cours ou conseillez-vous auprès de professionnels ?

"Je ne fais plus de leçons, même si en Alsace, j'en faisais beaucoup. J'enseignais dans des MJC, des collèges ou des lycées. Je ne le fais plus maintenant, par manque de temps. Par contre, je recommande un ami, Gauthier Aubé, qui est pour moi le meilleur joueur de didgeridoo français. Il y en a un second, qui est plus connu en tant que musicien que formateur, c'est Zalem (Rudi Delarbre). Je recommande les yeux fermés ces deux personnes, qui proposent des formations en ligne. Gauthier Aubé a d'ailleurs fondé la Wakadémy, c'est-à-dire une académie de didgeridoo, ce qui est étonnant et méconnu. Pourquoi Waka ? Parce que ce sont des sons que l'on utilise dans le didgeridoo".

 

 

Avec votre compagne couturière qui vit et travaille dans le même établissement, la même maison que vous, avez-vous des projets professionnels en commun ?

Ma compagne a vraiment son activité à part où elle fait de la couture retouche. Donc elle travaille avec les gens du village, elle propose aussi de la confection de vêtements pour enfants, tout un tas de produits recyclables zéro déchets. Par contre, je lui demande, par moments, de me faire des housses sur mesure. Etant donné que les instruments sont tous uniques, des instruments très haut de gamme nécessitent une protection.

Et la question qui fâche : la Covid, comment vous a-t-elle affecté ?

"Oui, affecté en tant que commerce non-essentiel. Ca me fait bien rire quand on dit ça. Le problème que l'on a eu, ma compagne et moi, dans nos activités respectives "non-essentielles", c'est que nous étions fermés. Nous avons quand même un certain revenu parce que nous travaillons sur Internet, donc on en rentre pas dans les critères de pertes d'aides de l'Etat. Donc malheureusement, oui, cela nous a profondément touchés, parce qu'au final, nous avons eu le droit à pas ou très peu d'aides. Ce qui fait que l'on a quand même continué de travailler de notre côté, parce qu'il fallait bien qu'on vive.

"Pendant la 2e vague, ca a été très difficile, d'autant plus en période de Noel, parce qu'on a été fermé en novembre l'an dernier et le mois de décembre, c'est un des plus gros mois de vente ou de rendez-vous des gens sur les locaux."

Mais en ces périodes là, je ne peux pas accueillir les gens à cause des restrictions sanitaires. On y va du contact direct de la bouche sur l'instrument, c'est très contagieux, sauf si on prend les précautions en amont. Maintenant, je désinfecte chaque instrument avant de les jouer ou de les envoyer. Quand les clients jouent d'un instrument, je les mets ensuite à part, pour pouvoir les nettoyer après, les désinfecter. Donc voilà, c'est un protocole très embêtant, d'autant plus que ce sont des instruments fragiles, notamment pour la peinture naturelle à l'ocre, qui n'aime pas les produits chimiques ou désinfectants. Ceux-là, je ne les fait plus du tout jouer, parce que je ne peux pas les nettoyer. 

Propos recueillis par Axel Poulain

 

 

 

 

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