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Au Puy, un ex-routard SDF qui a du chien

lun 17/11/2014 - 23:59 , Mise à jour le 27/11/2020 à 08:31

Depuis début août 2014, un ex-routard sans domicile fixe venant de la région parisienne a pignon sur rue au Puy-en-Velay, après avoir ouvert une boutique de confection du cuir, rue Saint-Jacques. Sans détour et sans retenue, il relate les péripéties qui l’ont conduit en terre vellave et tous les écueils rencontrés pour ouvrir un commerce avec un statut de SDF.
Aussitôt né, ses parents l’emmènent en Bretagne. Occultant un long passage de sa vie, souhaitant garder le secret d’une période difficile et pénible, Pascal Jamet, 45 ans, dévoile, dans une tenue de routard dont il refuse de se séparer, "être tombé dans la rue à l’âge de 26 ans dans la région parisienne".

"J’ai bouffé de la boîte à chiens" 
Nous sommes en 1995. C’est le début de sa vie "limite clochard, à dormir dehors, sous les ponts, sur les bancs, mais pas dans les foyers qui imposent trop de contraintes, trop de règles", épilogue-t-il, avec des signes encore perceptibles de la rue : les traits du visage creusés, le teint hâlé et basané par la rigueur de la météo et la dégaine perpétuelle du routard. Il commence à faire la manche à cette époque-là pour survivre. "J’ai bouffé de la boîte à chiens pour ne pas crever dans la rue", lâche-t-il.
Puis, récupéré par un routard avec chiens, âgé de 77 ans et au prénom d’Henri, qui lui apprend tout sur le milieu des routards, ils bourlinguent ensemble de ville en ville. Mais Pascal Jamet perd son ami qui décède deux ans après, à Cherbourg, à l’âge de 79 ans.

----Pascal Jamet est né en 1969 à Rambouillet dans les Yvelines. Sa mère, dont il n’a pas de nouvelles depuis et dont il ne sait pas si elle est toujours en vie, était ouvrière et son père, décédé, était ouvrier électricien. Il ne sait pas non plus s’il a des frères et sœurs.-----"Je suis tombé amoureux du Puy"
Dès lors, Pascal Jamet entame un nouveau périple, seul. Surnommé "squale", parce que le requin est son emblème de SDF tatoué sur le bras, il projette de parcourir toute la France sans exception. À hauteur de la ville du Mans, un rottweiler nommé Rocky l’accompagne dans son errance. Pour unique pièce d’identité, il ne possède qu’un simple bout de papier, jauni par le temps, délivré par la gendarmerie.
Ainsi, à l’automne 2005, il se retrouve à Brioude, sans papiers puisque ceux-ci lui ont été volés entre temps, et "complètement vidé", avoue-t-il. Il loge au foyer "Trait d’union" de la cité Saint-Julien et devient bénéficiaire du RSA (Revenu de solidarité active). Cinq mois plus tard, au printemps 2006, il débarque au Puy-en-Velay, dont il est "tombé amoureux", s'étonne-t-il, muni d’une véritable carte d’identité délivrée par la sous-préfecture brivadoise.

Une réputation de SDF lui colle à la peau
Deux jours après son arrivée au Puy, il trouve à se loger dans un appartement à louer, bien qu’il ait un chien, un rottweiler, pour fidèle compagnon. Le montant du loyer est pris en charge par la CAF. Cependant, il s’indigne : "J’ai eu une réputation de tôlard parce que j’avais un rott et que j’étais tatoué".
Las de s’ennuyer, il s’inscrit au CCAS (Centre communal d'action sociale) pour travailler bénévolement quelques mois pour les personnes âgées. Une fois n’est pas coutume, il jouit d’une bonne réputation. Mais avant d’assouvir son ambition d’ouvrir un commerce, il doit continuer à faire la manche sur le trottoir, adossé aux murs d'une boulangerie-pâtisserie du centre-ville du Puy, hiver comme été. En effet, la somme allouée au titre du RSA ne lui suffit pas à honorer les dettes et les retards de paiements contractés auparavant.

Créer une entreprise, une sinécure pour un SDF
Avec un diplôme de bourrelier-sellier, acquis dans les années 1980 en Bretagne, Pascal Jamet décide de monter un dossier pour devenir auto-entrepreneur. "Il connaît parfaitement le cuir, c'est un passionné créateur", s'émerveille Anne-Marie Verdun, tenancière d'une mercerie dans la même rue.
Refroidi par une fâcheuse expérience de barman au Puy, il choisit de devenir "patron" plutôt que salarié dans une entreprise de cuir afin de jouir encore et toujours d’une certaine liberté, celle dont il profitait lorsqu'il était SDF. Et "avec l’aide de Laurent Wauquiez, de Ticoun de la Chambre d’Agriculture et d’Henri, ancien auto-entrepreneur", il boucle sans trop de difficultés un dossier et accomplit les démarches administratives nécessaires.
Mais ne disposant pas de l'apport personnel financier indispensable au préalable, il se tourne vers des structures d’aide sociale : ADI (Aide départementale à l'implantation) et Pôle Emploi notamment. Il essuie un premier refus " parce que j’étais SDF ", s’insurge-t-il. Il frappe dès lors à la porte de tous les établissements bancaires ponots. La encore, il subit un deuxième refus pour le même motif, mais aussi faute d'apport financier.

----Faisant du sur-mesure dans son atelier de confection cuir en tout genre médiéval à la base, Pascal Jamet façonne et propose des articles western, indien, moto, sellerie, équipement, chien (harnais, collier, laisse…). Au sein de la Méjeanne, association des Fêtes du Roi de l’Oiseau, son surnom est "La Cuir-as", jeu de mots sur "cuirasse" pour "la naissance du cuir à l'âge de glace".
-----Un bon Samaritain
Abattu, sur le point de "cramer [son] dossier", une aubaine s’offre à lui. L’ex-routard relate, avec un profond respect et une grande gratitude, "qu’un matin, faisant la manche, une personne âgée d’environ 50 ans, qui était au courant de mon projet, me prend par la main et m’emmène sans me le dire chez un notaire pour me faire un prêt de 10.000 € remboursable à hauteur de 160 € par mois ". Le prêt est dès lors ratifié et validé. Ainsi est née "La Cuir Ace", un commerce soumis aux règles juridiques de l’auto-entreprise. Pour finaliser le projet, il participe ensuite au stage obligatoire de plusieurs jours, appelé "stage pour entreprendre" pour tout créateur d’entreprise, dispensé par la Chambre des Métiers de la Haute-Loire.

Accueilli les bras ouverts par beaucoup...
"L'ex-pèlerin" SDF de la rue Saint-Jacques s'est bien intégré dans le monde des commerçants qui l'ont accueilli, pour la plupart, sans étiquette dans le dos. "Tel qu'il est, et même encore plus", insistent Matthieu et Sophie Fillinger, co-gérants du magasin Déco & K'do de la rue Saint-Jacques. "C'est un personne qui a des valeurs et des principes, très serviable, d'un bon relationnel et avec lequel on se rend des services, il a notre soutien à 200%", soulignent-ils. "Il est très sympa, commerçant, généreux, dynamique et motivé", relève Herbert Chastel, responsable du magasin de chaussures Karston, toujours rue St-Jacques. Fabienne Laurent, manucure à l'enseigne Fabul'ongle, également dans la même rue, souligne la bonne coopération des deux commerçants qui s'échangent leurs produits. Et de reconnaître : "Mes clientes ont certes peur de lui au début, mais finissent par le trouver plutôt sympa".

...Mais avec mépris par d'autres

Cependant, si beaucoup de personnes, dont les SDF locaux, lui expriment leurs félicitations, d’autres n’hésitent pas à venir jusque dans sa boutique pour le harceler avec mépris et lui faire comprendre que n'a "pas [sa] place ici et qu’il faut qu' [il se] barre", s’agace le nouveau commerçant. Décidé et motivé, il se bat farouchement et continuera à se battre pour rester ici, parce que "je n’ai pas envie de lâcher mon affaire", prévient-t-il, "et je n’ai pas envie non plus de retomber dans la rue car je sais d’où je viens".

Donner un sens à sa vie… et du bonheur aux autres
Pascal Jamet aspire à donner "un sens à sa vie, à se sentir utile et à servir à quelque chose". Bien que jugeant "la vie toujours aussi dure", il se veut positif : "Il ne faut pas baisser les bras, car la roue tourne et il faut savoir continuer à la faire tourner". Perpétuellement vêtu d'une tenue de routard, allant jusqu'à exercer son "job" en kilt l'été dernier, il se balade les pieds nus, pour à tout prix "rester le même et parce que l’on ne regarde pas la tenue mais le fruit de mon travail". Il ne demande qu’à exercer sa passion, loin des désagréments liés au quotidien du milieu qu'il a connu jadis, en assumant des responsabilités, certes différentes, mais "avec un côté sécurisant que l’on n’a pas dans la rue", note-t-il.
Avec modestie et humilité, il réfute fermement la gloire et l’honneur. Souhaitant profondément garder "la tête bien sur les épaules", il rejette aussi vouloir se laisser envahir et détruire par l’appât du gain. "Je viens de la rue et je fais un travail noble, car je confectionne le cuir, un matériau noble ", ironise-t-il.
Les visages souriants et les yeux pétillants des personnes regardant la vitrine de sa boutique sont, selon ses dires, le plus grand bonheur de sa vie. "Donner du bonheur aux gens, cela me donne aussi du bonheur de les voir heureux", conclue-t-il.

G.D.

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