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Une question de vie ET de mort

Par nicolas@zoomdici.com mer 14/09/2022 - 12:00 , Mise à jour le 14/09/2022 à 12:00

Le Comité d’éthique a rendu ce mardi 13 septembre son analyse sur la Fin de vie actuellement encadrée par la loi Claeys-Leonetti. À la fin 2023, une nouvelle loi devrait ou pas changer les règles pour que les citoyens français puissent avoir accès à « l’aide active à mourir » inspirée des pays voisins.

Ci-dessous, le témoignage d’un médecin en soins palliatifs à l’hôpital Emile-Roux et celui d’un membre de l’ADMD, (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). Deux avis opposés, deux visions pour un sujet qui nous concerne tous.

Si la question est de moins en moins taboue, l’enjeu de société est de taille. Doit-on suivre ce qui se fait déjà en Belgique, aux Pays-Bas ou plus récemment en Espagne concernant la Fin de vie ? Peut-on décider du jour de sa mort en cas de graves maladies incurables et dégénératives en l’organisant de façon légale et administrative ? Est-ce que la famille pourra décider de l’euthanasie d’un de ses membres en état d’inconscience totale même si ce dernier n’a pas informé son avis sur la question ? Pourra-t-on avoir accès à un produit mortel pour se donner la mort soi-même et à domicile à l’instar de ce qui est proposé en Suisse ?

En octobre 2022, une convention citoyenne sur le sujet sera lancée. D’après le gouvernement, le débat durera six mois pour aboutir à une nouvelle loi en fin d’année 2023. Aujourd’hui en France, c’est la loi Claeys-Leonetti, mise en place en 2005 et modifiée en 2016, qui fixe les limites de l’accompagnement vers le dernier battement de cœur. Le texte interdit l’euthanasie et le suicide assisté mais permet « une sédation profonde et continue jusqu’au décès ».

En Suisse, c’est le suicide assisté. La personne s’injecte elle-même le produit létal, à domicile si elle le souhaite. Mais cette mort planifiée a un prix : environ 9 000 francs suisses soit 9 300 euros.

« Qui appuiera sur la seringue ? Quel soignant prendra cette responsabilité ? »

Pour Isabelle Chazot, médecin de l’équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Emile-Roux, le terme de « Soin » est la grande différence avec le geste radical et létal de l’euthanasie. « La sédation profonde et continue est pratiquée pour soustraire une personne de ses douleurs insupportables quand on a tout essayé par ailleurs. Ici, l’intention est d’accompagner le patient avec une temporalité vers une fin qui lui sera de toute façon inéluctable. »

Elle soulève : « Avec l’euthanasie, c’est la mort rapide qui suit l’injection. Alors, qui appuiera sur la seringue ? Quel soignant prendra cette responsabilité ? »

« L’euthanasie reste une demande extrêmement peu formulée par nos patients. À partir du moment où on supprime leur douleur, cette requête disparaît quasi systématiquement. Des études montrent à ce propos qu’1 à 2 % seulement de ces sollicitions persistent après le soulagement des douleurs ». Isabelle Chazot

« En Belgique, moins de 3 % des médecins accepte cette charge »

Selon Isabelle Chazot, en France 98 % des soignants en soins palliatifs se refuseraient à pratiquer ce geste, ratio qui se retrouve également dans l’ensemble du corps des médecins. « En Belgique, pays où est pratiquée l’euthanasie depuis 20 ans, moins de 3 % des médecins accepte cette charge, affirme-t-elle. Encore une fois, ce n’est pas un soin comme ce qui est annoncé. C’est un acte radical, définitif, avec une intentionnalité et une temporalité sans comparaison possible avec les soins palliatifs pratiqués en France ».

« En 2002, 200 euthanasies sont pratiquées en Belgique. En 2022, ce chiffre passe à 3 000. En parallèle, aucun moyen n’est débloqué pour développer les soins palliatifs ». Isabelle Chazot

« L’urgence n’est pas de définir une loi supplémentaire qui répondra à des demandes rarissimes »

La crainte principale d’Isabelle Chazot si l’euthanasie venait à être légiférée, ce sont les coups de sabres qui pourraient être infligés aux soins palliatifs, des services déjà en grandes carences de moyens. « L’État est en quelque sorte hors la loi sur le sujet, lance-t-elle. D’après le texte voté le 9 juin 1999, toute personne dont l’état le requiert doit bénéficier de soins palliatifs. Or, 2/3 tiers de ces personnes là n’y ont pas accès par manque de moyens, soit 200 000 malades. Et 26 départements sont dépourvus de services en soins palliatifs. »

Elle souligne fermement : « L’urgence n’est pas de définir une loi supplémentaire qui répondra à des demandes rarissimes. L’urgence est de tirer tous les leviers possibles, humains et financiers, pour permettre aux soignants et aux familles d’accompagner les malades dans leurs derniers jours avec le moins de douleurs possible ».

« Quand on a un animal en fin de vie, nous l’amenons chez le vétérinaire »

Du côté de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, les points de vues sont diamétralement différents. Bernard de Wiet, membre de l’antenne 43, l’affirme : « Ce serait formidable si nous pouvions, enfin, accéder à l’euthanasie comme celle pratiquée chez nos amis belges ! » Il ajoute : « Quand on a un animal en fin de vie, nous l’amenons chez le vétérinaire car nous avons pitié de lui, partage-t-il. Nous, on nous laisse nous débattre dans la douleur. Est-ce cohérent ? »

1003 personnes de 18 ans et plus ont été sondées dans le cadre de cette enquête.
Pour retrouver l’intégralité du sondage, suivez ce LIEN.

En résumé :

L'approbation du recours à l’euthanasie (comme en Belgique)▼
Question : Certaines personnes souffrant de maladies insupportables et incurables demandent parfois aux médecins une euthanasie, c’est-à-dire qu’on mette fin à leur vie, sans souffrance. Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ?

  • Oui, absolument : 51%
  • Oui, dans certains cas : 43%

L'adhésion à l'autorisation du suicide assisté (comme en Suisse) ▼
Question : Vous personnellement, approuveriez-vous l’autorisation pour les personnes souffrant de maladies insupportables et incurables de recourir à un suicide assisté, c’est-à-dire au fait que ces personnes prennent un produit létal (mortel), en présence d’un médecin, pour mettre fin à leurs souffrances ?

  • Approuve tout à fait : 51%
  • Approuve plutôt : 38%

« Que sont les soins palliatifs si ce n’est une sorte d’euthanasie lente »

À la mention des soins palliatifs qui, justement, sont là pour soustraire douleurs et angoisses des malades, Bernard de Wiet répond : « C’est vrai. Mais tout le monde sait qu’il existe des douleurs qui ne peuvent être traitées notamment celles touchant le système nerveux. Ici, la morphine et ses dérivées sont inefficaces. »

Il continue encore : « Et que sont les soins palliatifs si ce n’est une sorte d’euthanasie lente ? La sédation profonde et continue est faite effectivement pour soulager le patient. Mais on va arrêter dans le même temps de vous alimenter et de vous abreuver si la demande de l’arrêt des soins est exprimé. Plusieurs jours, parfois plusieurs semaines se passent alors avant que vous ne décédiez enfin ! »

« Le plus bel acte d’humanité que l’on puisse faire à un être humain condamné »

Bernard de Wiet respecte les soignants qui refuseraient d’appuyer sur la seringue. Mais il pense que cette réticence provient d’un problème de génération. « Les jeunes médecins sont beaucoup plus ouverts sur le sujet que les anciens, livre-t-il. Plusieurs fois, j’ai participé à des réunions nationales avec de jeunes médecins belges. Tous nous ont affirmé que c’était le plus bel acte d’humanité que l’on puisse faire à un être humain condamné et en proie à des souffrances indescriptibles ».

En avril 2021, l’Assemblée nationale avait déjà débattu de l'euthanasie en France après une proposition de loi du député Olivier Falorni (Parti radical de gauche). 240 députés (sur 577) avaient approuvé le principe d’une « assistance médicalisée active à mourir ».

Le cas de Vincent Lambert

Ce gros dossier de société est forcément ouvert sous l’ombre d’une affaire qui a fait l’actualité des années durant : Vincent Lambert. À la suite d'un accident de la route en 2008, Vincent Lambert, né en 1976, plonge dans un état végétatif chronique. Les membres de sa famille entrent alors en conflit pour les suites à donner. Plusieurs décisions de justice ont coup sur coup, pendant six ans, suspendu puis validé l'arrêt des traitements sans que l'état du patient s'améliore. Vincent Lambert meurt le 11 juillet 2019 au CHU de Reims au bout de huit jours et demi après l'arrêt des traitements et de l'alimentation qui le maintenaient en vie.

« Cette grande affaire touche un point très important !, soulève Bernard de Wiet. Celui de définir précisément la personne de confiance qui informera les médecins de notre décision en cas d’état de santé à l’instar de Vincent Lambert ». Il rappelle que toutes et tous peuvent remplir à ce propos les Directives anticipées sur les soins en fin de vie.