Je signale une erreur

Précisez éventuellement la nature de l'erreur

76 ans, sous oxygène...et expulsée

Par nicolas@zoomdici.com , Mise à jour le 12/07/2022 à 17:00

Beaucoup connaissent au moins de vue cette famille de « gitans » installée longtemps à proximité de la Librairie Laïque et du lycée Simone Weil au Puy. Sur place depuis de nombreuses années, les 6 membres ont été délogés au mois de mars 2021. Depuis, ils errent de place en place au rythme des expulsions en attendant un nouveau terrain à louer.

Impossible de savoir depuis combien de temps précisément la famille Reinart/Capleau occupait le « terrain des abattoirs », une petite langue de terre bitumée coincée entre la route de Montredon, la Librairie Laïque et la rivière de la Borne. Mais depuis 2008, elle payait un loyer de 35 euros par mois à la Ville du Puy-en-Velay, propriétaire de l’espace.

Ainsi, la grand-mère Jeanne, ses enfants Sylvie, Alexandrine, Moïse et John (suivi de Léon, 9 ans, fils de John) vivaient là, dans leurs 5 caravanes, sans que rien ne laisse présager une expulsion prochaine à ces « gens du voyage » sédentarisés.

« Là, tout est perdu. Là, nous sommes constamment rejetés où que nous allions »

En début d’année 2021, soit 13 ans après leur 1er loyer et leurs factures d’eau et électricité également honorées, les soucis commencent alors avec une première pétition provenant des commerçants voisins. « C’est vrai que nous faisons un peu de guitare et que nous chantons souvent, explique Sylvie alias Romana. Mais nous avons toujours fait ça depuis la nuit des temps. Depuis toutes ces années que nous étions implantés là, vers le lycée, personne ne se plaignait de nous. Et là, tout est perdu. Là, nous sommes constamment rejetés où que nous allions ».

« Depuis l’an 2000, date de la création de notre association, nous avons essayé de lutter contre ce qu’il faut bien appeler du racisme contre cette communauté qui, je le rappelle, est française. Je dois avouer qu’en 2022, nous n’avons guère avancé ». Christine Lecompte, Présidente de l’APGV 43

« La Ville a dû se résoudre à demander la résiliation du bail devant le Tribunal judiciaire »

« Suite à de nombreuses plaintes des voisins (…), après avoir mis en demeure à plusieurs reprises Madame Capleau de se conformer à ses obligations, la Ville a dû se résoudre à demander la résiliation du bail devant le Tribunal judiciaire », est-il indiqué dans un courrier signé du maire Michel Chapuis le 15 avril 2022 à destination de l’avocate Muriel Laffont à l’APGV 43 (Association pour la Promotion des Gens du Voyage). Il est encore mentionné : « Le jugement et le commandement de quitter les lieux ont été notifiés à Madame Capleau le 19 mars 2021 ».

« Madame Capleau a quitté le terrain non pas parce qu’une aire d’accueil avait fermé mais bien parce que son bail était résilié ». Le courrier municipal précise aussi : « Cette résiliation n’ouvre pas droit à la mise à disposition d’un terrain équivalent. (…) En lien avec le CCAS, la Ville étudie les possibilités permettant de trouver un lieu d’accueil pérenne pour Madame Capleau ».

Depuis le 17 juin, Jeanne et sa fille Sylvie se sont installées sur un terrain à Vals. Photo par Nicolas Defay

« Nous ne pouvions rester là-bas car nous sommes des sédentaires ! »

Depuis, la famille a été une première fois conduite dans la zone de Chirel où une fronde de commerçants valladiers s’est aussitôt levée pour provoquer leur expulsion. Elle est alors dirigée à l’aire d’accueil d’Eycenac où sont regroupés les « Gens du voyage ».

Ils y passeront les mois d’hiver et du printemps. « Mais nous ne pouvions rester là-bas car nous sommes des sédentaires !, répète plusieurs fois Sylvie. Nous vivons en Haute-Loire depuis des dizaines d’années. Il est impossible pour nous de s’accorder avec les gens de passage ! ».

« Lors d'un rendez-vous que nous avions eu avec lui, en compagnie de la Ligue des Droits de l'Homme et de Philippe Martel du CCAS, Michel Chapuis avait littéralement explosé en assurant qu'il ne tiendrait pas sa promesse et qu'il avait assez de soucis comme ça notamment avec l'histoire du Marché couvert ». Christine Lecompte

Une nouvelle pétition signée par la Mosquée et le Centre équestre

Le quatrième essai semblait être le bon. Un espoir de courte durée. « Michel Chapuis avait engagé des travaux d’assainissement et d’électricité ainsi qu’une dalle sur le terrain de Guitard, écrit Christine Lecompte, Présidente de l’APGV 43, dans une lettre adressée au Préfet de la Haute-Loire. Hélas dès que les travaux on été commencés, une pétition a été adressée à la mairie notamment signée par la Mosquée et surtout le Centre équestre ».

Elle souligne alors : « Malgré la promesse que Michel Chapuis avait formulé, les pressions faites par les commerçants et les riverains l'ont amené, encore une fois, à faire marche arrière. Lors d'un rendez-vous que nous avions eu avec lui, en compagnie de la Ligue des Droits de l'Homme et de Philippe Martel du CCAS, Michel Chapuis avait littéralement explosé en assurant qu'il ne tiendrait pas sa promesse et qu'il avait assez de soucis comme ça notamment avec l'histoire du Marché couvert.»

 Conséquence de quoi, le Maire « a refusé de faire les raccordements nécessaires en eau et électricité ». Le 17 juin 2022, une dizaine de voitures de police, selon Christine Lecompte, entoure la famille Reinart/Capleau pour qu’elle évacue les lieux dans l'heure.

Christine Lecompte aux côtés de Jeanne Capleau. Photo par Nicolas Defay

« Cette installation est illégale (…), des conditions très précaires et indignes »

Dans sa missive datée du 14 juin 2022, soit trois jours avant l’expulsion de Guitard, Christine Lecompte interpelle le Préfet Eric Etienne. « Monsieur le Préfet, lors de la dernière réunion du schéma départemental où j’étais présente, vous vous êtes engagé sur la création d’un terrain familial qui était en fait celui destiné à cette famille puisqu’à l’époque l’engagement de Monsieur le Maire était toujours valable ».

La veille de l’expulsion, Eric Etienne lui répond en ces termes : « J'ai bien pris note des éléments que vous m'avez communiqué concernant le parcours de cette famille qui l'a conduit à se fixer sur un terrain situé dans le quartier de Guitard au Puy-en-Velay. Il n'en demeure pas moins que cette installation est illégale et que cette famille réside sur place dans des conditions très précaires et indignes ».

Réflexion d’une solution pérenne ?

Eric Etienne conseille à Christine Lecompte de convaincre la famille « à quitter les lieux sans délai afin de s'installer sur l'aire d'accueil prévue à cet effet (au camp d’Eycenac, Ndlr)». En guise de conclusion, le Préfet promet : « J'engagerai une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale* en lien avec les autorités locales afin de proposer une solution conforme à son souhait de sédentarisation ».

Pas d’eau courante. Pas de sanitaire. Pas de douche…

Actuellement et depuis le 17 juin, la caravane occupée par Sylvie et sa maman est posée dans un pré tout proche du magasin But et Décathlon près de Vals mais sur la commune du Puy. La situation ? Pas d’eau courante. Pas de sanitaire. Pas de douche. Un groupe électrogène que les deux femmes remplissent comme elles peuvent avec du carburant hors de prix. « Pour se laver, on fait comme à l’ancienne, partage Sylvie. Dans une bassine, on met un peu d’eau qu’on va chercher dans une source ou une rivière et c’est tout ».

Jeanne Capleau présente fièrement sa famille, un cliché pris "en des temps plus sereins."
Jeanne Capleau présente fièrement sa famille, un cliché pris "en des temps plus sereins." Photo par Nicolas Defay

« Hier soir, ma mère avait les lèvres complètement violettes à cause de ça »

Il y a trois ans, Jeanne a contracté une pneumonie qui l’a entraînée en urgence à l’hôpital du Puy. Et puis le Covid s’est rajouté dessus. Depuis un an, elle doit régulièrement faire usage d’un appareil à oxygène pour ne pas succomber à une carence fatale. « Le problème est que le groupe électrogène que nous avons ne fournit pas régulièrement assez d’énergie pour alimenter l’appareil médical, déplore Sylvie. »

Avec une voix qui se brise à mesure que les mots sortent, elle souffle doucement : « Hier soir, ma mère avait les lèvres complètement violettes à cause de ça. Et tous les jours, je crains pour le jour suivant. Nous ne demandons pas grand-chose pourtant. Juste un petit terrain que nous pourrons louer avec ce qu’on a. Jusqu'à ce que notre vie revienne comme avant ».

*Au terme de l'enquête et de l'écriture de l'article, Christine Lecompte a appris que le Préfet allait mettre en route une MOUS (maîtrise d'œuvre urbaine et sociale). Une Mous a pour objectif de promouvoir l'accès à l'habitat adapté ou au logement des gens du voyage défavorisées. Le problème principal est que le dispositif prend un temps administratif très considérable avant son exécution.