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Des élèves face au récit de l'horreur

mer 06/04/2022 - 17:00 , Mise à jour le 06/04/2022 à 17:00

Deux histoires plongées dans la souffrance et l'incompréhension. La semaine « différent, et alors ? », organisée chaque année par le Lycée Anne-Marie Martel, s'achève avec le témoignage poignant d'Asma, victime de terrorisme en Algérie, et d'Hélène, survivante de la tuerie au Bataclan.

Asma, née à Alger en 1975, raconte une enfance heureuse, ordinaire, où elle se sent libre : « Les petites filles portaient des jupes, nous n'avions pas d'interdit ». Elle grandit auprès de ses parents, son grand frère qui étudie en école de musique et son petit frère avec lequel elle a 6 ans d'écart.

En 1988, le peuple algérien manifeste, il souhaite le changement, l'évolution, notamment en terme de droits des femmes, pour lesquels la mère d'Asma est très investie. Tout au long de son récit, la jeune femme se refuse de parler d'islamisme. D'après elle, le « mot islam ne peut être associé à une idéologie qui utilise la religion à des fins politiques ».

« Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs aussi. Alors autant mourir en parlant »

1990 : une année « tournant » pour les citoyens

Ceux qu'elle nomme « les intégristes » envahissent petit à petit le pays avec le but d'imposer leur idéologie. Leur défaite aux élections va faire monter d'un cran leur oppression sur le peuple. Véritable explosion à l'intérieur du pays, les intégristes commencent par obliger le port du voile par le biais de « femmes soldats » qui viennent convaincre les algériennes par la peur.

Puis, toujours d'après le récit d'Asma, les intégristes assassinent toutes personnes perçues comme opposantes au nouveau régime. En première ligne, les policiers, jugés comme traitres. Vient le tour des journalistes, incarnant la liberté d'expression, les porte-paroles de l'information. Asma se souvient d'une phrase dite par un journaliste reconnu : « Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs aussi. Alors autant mourir en parlant ». C'est au moment où les chanteurs et musiciens deviendront la cible des intégristes que la jeunesse algérienne se soulève.

« On manifestait en mettant en avant nos longs cheveux et du rouge à lèvre, provocation ultime pour les intégristes qui revendique le voile intégral pour cacher le corps des femmes". Asma 

Son grand frère, à terre, mort sous les balles

Arrive le jour où des proches de l'entourage de la famille d'Asma sont assassinés. Les parents de la fratrie décident de quitter la ville pour se réfugier chez leur famille. Un jour de cette terrible époque, Asma entre dans l'immeuble sous les balles et se planque tant bien que mal, terrorisée. Elle relève la tête et entrevoit des hommes sortirent du hall, leurs armes pointées vers le ciel et les tirs qui continuent de briser le silence. Elle aperçoit son grand frère, à terre, mort sous les balles.
Suite à ce drame, sa famille a été déracinée, arrachée à l'Algérie, qu'ils ont dû quitter pour la France, par sécurité. « Non, nous n'avons pas fuit, souffle Asma. Nous n'avons pas eu le choix, c'est différent ».

« Moi, je ne pardonne pas »

« Moi, je ne pardonne pas, et je demande à Dieu de me pardonner de ne pas pardonner ». Asma emprunte cette phrase, celle d'un papa qui a perdu son fils lors d'un attentat. Une phrase qui semble correspondre à sa propre philosophie.
« Pardonner ? Qui a le droit de pardonner ? » C'est la question que se pose Asma pendant un long moment de sa vie. Elle explique alors qu'elle a trouvé son chemin de paix grâce à une psychanalyse et par le biais de son métier d'aujourd'hui : psychologue. La rédaction de son livre « Je ne pardonne pas aux assassins de mon frère » lui permet de retranscrire son histoire, pour ses enfants, mais aussi pour elle.

C'est à ce moment qu'elle entend un bruit étrange. Un bruit qui dénote de tous les autres bruits. Un bruit sourd, claquant, irréel. Un bruit qui déchaine la peur et les hurlements de la foule.

Ce 13 novembre 2015 restera gravée à jamais dans sa peau et sa mémoire

Autre femme. Autre histoire. Autre résilience. Son accent anglais résonne dans la salle après le témoignage d'Asma. Hélène, deuxième intervenante de cette matinée, partage un récit saturé d'émotions. Originaire des Etats-Unis, Hélène explique son parcours de vie rempli d'obstacles et qui la conduit à venir vivre en France, se construire dans ce nouveau pays où elle s'épanouit.

Elle raconte cette histoire d'amour, passionnelle et tumultueuse avec Nick. L'homme de qui elle se sépare, puis qui la recontacte très peu de temps après. Tout deux travaillent dans le monde du spectacle. Le 12 novembre 2015, ils se retrouvent, discutent, s'embrassent. Ils s'aiment, tout simplement. Nick invite la jeune femme au Bataclan. Il y a le concert des « Eagles of Death Metal » pour lequel il doit vendre des t-shirt.

Amoureuse et enjouée, Hélène accepte et le rejoint. Sans le savoir, ce 13 novembre 2015 restera gravée à jamais dans sa peau et sa mémoire, et dans ses trippes et le reste de sa vie.

Un bruit qui déchaine la peur et les hurlements de la foule

La soirée débute. Le stand de Nick est exposé dans l'entrée du bâtiment. Les affaires sont florissantes pour le jeune homme. Il demande à Hélène d'aller chercher de la monnaie quelque part. C'est à ce moment qu'elle entend un bruit étrange. Un bruit qui dénote de tous les autres bruits. Un bruit sourd, claquant, irréel. Un bruit qui déchaine la peur et les hurlements de la foule.

Des individus sont là, statiques, presque calmes. Leurs armes crachent alors des centaines de balles sur les gens qui tombent les uns après les autres, leur sang maculant le sol et les corps à l'agonie. À son tour, Hélène s'effondre, touchée à la jambe. Malgré tout, elle rampe pour rejoindre son compagnon visiblement gravement blessé. Derrière elle, les terroristes envahissent la salle du Bataclan semant l'horreur et la mort à chacun de leur pas.

« Il est décédé, là, dans mes bras »

Emue aux larmes et la voie tremblante, elle continue son histoire : « Je ne pouvais pas l'abandonner et je voulais juste sortir ». Hélène se replonge dans ses souvenirs avec un courage indicible « Nick m'a dit qu'il ne pouvait plus respirer, partage-t-elle doucement. Il est décédé, là, dans mes bras ». Dans la salle du lycée Anne-Marie-Martel, le silence. Les larmes perlent sur les joues de certains élèves. Les regards fuient ou s'accrochent à celui de cette femme plus forte que tout.

« Autour de moi, ce n'est que la lumière et le silence », dit-elle pour évoquer les minutes qui suivent ce calvaire. Hélène, blessée, et d'un altruisme sans faille, tente d'avertir l'extérieur du chaos à l'œuvre : « ils vont tous mourir si on ne fait rien ». Ce seront finalement deux hommes des forces de l'ordre qui viendront l'évacuer et la mettre en sécurité. Dans la rue, elle observe impuissante, démunie et en état de choc, les secours qui défilent. Intimement, elle espère encore voir celui qu'elle aime sortir vivant de cette atrocité.

« Il n'y a pas de haine en moi »

« Mais je suis une battante ». Hélène se relève, forte et déterminée après cette épreuve ultime. Elle traduit un texte de Martin Luther King : « Celui qui est dépourvu du pouvoir de pardonner est dépourvu du pouvoir d'aimer ». Citation deviendra son credo. Hélène pardonne non pas l'acte mais l'Être Humain. Elle se dit même prête à rencontrer les personnes responsables de cette tuerie. Elle veut en parler, elle veut comprendre. « Il n'y a pas de haine en moi », en réponse d'une élève qui l'interroge sur l'esprit de vengeance.

Cette semaine, riche en sujets divers, est à l'initiative de Marianne Rochette, directrice adjointe qui insiste sur le fait que « la différence est une richesse, pas une acceptation ». Elle estime que « grâce à l'éducation, l'ouverture et le développement de l'esprit critique, il est possible de former les jeunes et leur apprendre à penser par eux-mêmes ».

Laura Badiou