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Soupçons de sévices et de viol à Malrevers

, Mise à jour le 06/10/2021 à 12:30

Une plainte pour actes de torture, de barbarie et de viol a été déposée contre Joël Fert, chef de la communauté religieuse implantée à Malrevers depuis plus de quatre décennies. Les deux frères Joseph et Mathieu Fert, à l’origine de l’accusation, ont selon eux été victimes de ces pratiques durant leur enfance.

Aujourd’hui âgés de 31 et 29 ans, Joseph et Mathieu Fert révèlent avoir subi de graves sévices dès l’âge de 6 ans par le chef de leur communauté religieuse Joël Fert, ceci jusqu’à leur expulsion à la préadolescence. Les deux frères ont déposé leur plainte devant le juge d'instruction du Puy-en-Velay. Compte tenu de la qualification criminelle retenue par l'avocat, le juge d'instruction l'a orienté vers le pôle criminel de Clermont-Ferrand, nous informe le procureur de la République du Puy-en-Velay, Nicolas Rigot-Muller. Le mis en cause est aussi accusé d'un viol sur l'un des deux frères, alors âgé de 11 ans.

À noter que Joël Fert avait déjà été condamné en 2008 à 10 mois avec sursis et deux mois de bracelet électronique pour des violences sur un autre enfant de la communauté. Cette « société » installée à Boissiers à Malrevers depuis près de 50 ans y gère l'entreprise "Les Ateliers de Boissiers" (Interstyl) qui fabrique des produits en mailles de luxe. Elle a aussi fourni des masques en tissu pendant la crise sanitaire.

Pour comprendre l’Histoire et les histoires de la communauté

Malrevers ? C’est son imposante église Saint-Julien-de-Brioude dans le centre-bourg, son château du 18ème siècle, son site classé de la Croix de Cleyssac ancrée dans une nature généreuse et sauvegardée. C’est aussi sa mystérieuse communauté religieuse implantée depuis 1972 au lieu-dit Boissiers. Le journal de presse quotidienne nationale « Aujourd’hui en France » s’est concentré sur ce sujet aussi discret que ténébreux où les sévices tant physiques que psychologiques ont apparemment ponctué l’histoire de cette communauté, encore vivace de nos jours.

Un secret de Famille

La Famille est une communauté religieuse française suspectée de dérives sectaires par la Miviludes. Elle regroupe huit patronymes qui représentent environ 3 000 personnes en 2020. Le mouvement est soupçonné de possibles dérives sectaires en raison de ce repli sur soi.
À noter que l’association des Enfants de Dieu, connue ensuite sous le nom de La Famille, est le nom d'un groupe sectaire créé en 1968. À la suite de la découverte de ces agissements en matière sexuelle, incitation à la prostitution, inceste et pédophilie, elle a été dissoute en 1978, mais a poursuivi ses activités sous diverses dénominations.

Issu du groupe religieux parisien de La Famille

Pour expliquer la genèse, il faut revenir en 1957, sur les terres d’Israël. Vincent Thibout, le père fondateur de la communauté de Malrevers, a été baigné dans l’univers très particulier du groupe religieux de La Famille. Ce dernier, fort de 3 000 éléments en France, défend des idées telles que le mariage exclusivement entre membres, ainsi qu’un strict partage du quotidien limité au seul cercle de fidèles. Emprunt de cette idéologie, Vincent Thibout s’installe dans un kibboutz en Israël pendant deux ans. À 34 ans, il rentre en France avec l’intention de fonder son propre groupe spirituel et d’existence. Il fait alors appel au réseau de La Famille pour s’accaparer quelques membres et poser ainsi les premières pierres de sa communauté au nord de Béziers en 1960.

« Des réclusions durant des semaines dans des caves noires »

Malgré sa volonté de voir grandir sa création, elle dépérit lentement pour disparaître totalement. Entre temps, ses relations avec La Famille se rompent également. Il finit par lâcher l’affaire. C’est son frère, Albert Thibout qui reprend alors les rênes. Il jette son dévolu sur le village de Malrevers, plus précisément sur une vieille maison de maître faisant office de colonie de vacances dans le lieu-dit Boissiers.

La graine est plantée et elle germe lentement, tout comme leurs idéaux communautaires à l’abri des murs et des regards. D’après la définition que cette communauté se donne, elle se nourrit « d’un rapport humain développé, d’amitié, de devoir, d’une possibilité d’un vivre-ensemble fraternel ». Mais sous cette belle addition de mots forts se cachent « des coups, des plaies, des réclusions durant des semaines dans des caves noires », d’après le témoignage de plusieurs membres aujourd’hui libérés.

« Depuis que j'habite ici, d'autant plus depuis que je suis maire de la commune, je peux affirmer que la communauté en question est parfaitement intégrée. Je les vois parfois à l'extérieur faire par exemple leurs courses dans le commerce du bourg. Je ne sais pas si tous les enfants suivent leurs scolarités en dehors de leur cercle mais certains d'entre eux sont répartis dans l'école de Malrevers »Gilles Oger, maire du village (témoignage recueilli avant l'annonce de la plainte décrite en tout début d'article)

Grandir derrière des murs

Selon l’enquête d’« Aujourd’hui en France », les enfants sont retirés de leurs parents pour être élevés en commun dans un écosystème de maltraitance commandé par les membres dirigeants. Les parents font partie de la communauté, ils gardent leurs statuts de parents, mais n’ont plus aucun contrôle sur eux. Pas même l’affection. Pendant 20 ans, la communauté a scolarisé ses enfants intra-muros. Comme Joseph, né en 1989, qui dit « avoir découvert le monde le jour de sa rentrée en 6ème ». Ou encore Cécile, à l’âge de 15 ans. Tous dorment dans un dortoir où la mixité est totalement proscrite, surveillés par des parents du même sexe que les enfants.

La communauté religieuse est installée à Boissiers depuis presque 50 ans Photo par DR

Un climat de violence et de sape psychologique

Albert Thibout meurt en 1999. Chantal, son bras droit, lui succède avec l’aide de son fils Joël Fert.« Pour tout le monde, c’était le gourou », partage Mathieu, le frère de Joseph, dans « Aujourd’hui en France ». Dès son entrée sur la scène, la violence semble banalisée. « Les mauvais traitements, c’était une généralité, d’après un parent. Même si certains enfants étaient plus violentés que d’autres ».

Pour illustrer le propos, Joseph partage un souvenir de son enfance. Son cousin Daniel et lui se disputent après avoir ramassé des feuilles mortes. Une dispute toute bête, enfantine et innocente. Joël Fert les regarde faire puis les convoque. Ils sont alors mis à nu et battus jusqu’au sang. Les coups sont faits dans le dos et les jambes pour dissimuler les plaies. Le moindre prétexte, d’après le récit de Mathieu dans le quotidien national, est sujet aux brutalités. L’une des punitions consiste à se mettre à genoux sur des dalles en gravier en portant à bout de bras des boules de pétanque. Si les enfants ont le malheur de faillir sous le poids, leurs bras sont frappés avec des bâtons.

Les enfants pas en situation de danger selon les décisions de justice

Mais en octobre 2003, les équipes enseignantes du collège de Notre Dame du Château à Monistrol-sur-Loire remarquent les coups qui parsèment le corps de Franck (cousin de Mathieu). Les autorités sont alertées et les enquêtes sociales lancées. D’après l’avocat du présumé tortionnaire Joël Fert, la justice décide que les enfants ne sont pas en situation de danger malgré un mode de vie particulier.

Un chiffre d’affaires d’un million d’euros

En 2008, Joël Fert est condamné à un an de prison dont dix mois avec sursis (les deux mois restants étant passés en bracelet électronique). Aujourd’hui, il conteste encore toutes ces accusations. Des témoignages de douze membres actuels abondent dans le sens de Joël Fert pour insister sur la qualité de vivre-ensemble au sein de la communauté. Mais pour Joseph et Mathieu, les témoignages ont été dictés sous la contrainte pour aller dans le sens du mis en cause.« J’y étais au procès, confie Cécile, l’une des membres. Parce qu’on nous avait demandé d’y aller pour nier les accusations contre lui. Alors, c’est ce qu’on a fait ».

Actuellement, ils sont 80 à vivre dans la communauté, enfants, parents et grand-parents. Pour faire vivre leur groupe, ils se sont structurés autour d’une entreprise dont Joël Fert est le responsable d’exploitation : les Ateliers de Boissiers. Chaque année, leurs produits de maille de luxe génèrent un chiffre d’affaires d’un million d’euros.