Laurent Alberti. Ce nom ne vous dit peut-être rien. Un grand homme au regard aussi brun que sa longue chevelure. Un monsieur discret, un peu secret, un peu flippant aussi c'est vrai. Une personne d'une générosité insondable s'il pensait que vous la méritiez.
Mais peut-être alors que vous connaissez son magasin ? Cette devanture où les gens s'arrêtent pour regarder tous ces articles venus d'Inde. Ces bijoux, ces teintures colorées, ces drôles de choses dont on ne sait l'emploi ou encore ces vêtements en toile aux couleurs psychédéliques. Ce magasin où, durant 14 ans, posés sur le petit rebord sombre, ont brûlé d'innombrables bâtonnets d'encens qui parfumaient la rue toute la journée.
"Je suis profondément affectée par ce qui arrive"
"C'est notre indien de la rue Chaussade qui s'en est allé", confie France Croze, patronne de la boutique Les cocottes, à quelques pas de Trib'Art. Les yeux brillants et la voix prête à se fêler, elle parle de son confrère et de son ami. "Laurent, c'était une personne extrêmement humaine, partage-t-elle. Il avait vraiment le cœur sur la main pour qui voulait le prendre. Je ne comprends pas. Je ne m'y attendais tellement pas. Je suis profondément affectée par ce qui arrive".
Laurent Alberti avait récemment fermé son magasin une dizaine de jours pour aller voir sa mère et son frère du côté de Lyon. Il avait placardé une petite feuille sur la porte vitrée. Quelques mots écrits à la hâte : Retour 1er octobre. Il ne reviendra plus. Une crise cardiaque s'est emparée de lui dans la nuit de lundi 20 septembre, fauchant son existence et ses projets à l'âge de 54 ans.
"On savait qu'il était là rien qu'en respirant la rue"
"Il partait souvent en Inde, un mois ou deux, dans l'année, livre Christine, propriétaire d'Edward au féminin, la boutique de vêtements située juste devant. C'est lui-même qui choisissait ses produits là-bas pour se les faire ensuite livrer dans son magasin." Elle continue : "Sous son air cool et ténébreux, il était très carré dans ses idées. Il savait ce qu'il voulait. Je l'appréciais énormément. Et pour l'encens qu'il brûlait chaque jour, c'était devenu son empreinte. C'était sa marque de fabrique. Avant d'arriver devant chez lui, on savait qu'il était là rien qu'en respirant la rue".
"Tous les jours, j'irai brûler un bâtonnet d'encens devant sa vitrine"
Il avait un rêve. Celui de rejoindre son pays de cœur. "Nous partagions souvent un café sur la terrasse d'en face, souffle France Croze. Et il me répétait alors qu'il souhaitait vendre sa boutique pour s'installer là-bas, en Inde, et finir ses jours tranquillement. C'était le grand projet de sa vie. C'était ce qu'il désirait par dessus tout".
Accrochée sur la porte verrouillée de Trib'Art, une couronne de fleurs a été installée par les commerçants de la rue Chaussade, à côté de quelques bouquets posés par des inconnus. "Tous les jours, j'irai brûler un bâtonnet d'encens devant sa vitrine, ajoute son amie. À sa mémoire. À sa discrétion. À son infinie gentillesse".