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Regain ou le printemps même en été

Par . . mer 11/08/2021 - 07:00 , Mise à jour le 11/08/2021 à 07:00

Partout l’odeur de l’herbe fraichement coupée égaille les sorties à la campagne. Où qu’on aille, des tracteurs coupent de l’herbe ou des vaches paissent paisiblement et ruminent, on ne sait quoi dans des prairies au gazon d'un vert anglais. L’herbe, la vraie, aurait-elle repris le dessus à la faveur de cet été humide ? Et puis, c’est quoi le regain ?

Un dicton aveyronnais édicte que « La pluie de la Saint-Barthélémy est favorable aux raves et au regain » (Mas que plògue per Sent-Bertomiu, Li a pro rabas e pro a(b)oriu.”). La Saint-Barthélémy c’est le 24 août. On en est donc encore bien loin.

Et pourtant, nul n’aura manqué de sentir cette odeur spéciale de l’herbe coupée pour peu qu’il se soit aventuré en campagne, que ce soit à pied, à bicyclette ou encore avec la vitre de la voiture abaissée. Il n’est d’ailleurs pas besoin d’aller bien loin hors de la ville pour la re-sentir cette odeur si particulière au printemps.

Les routes autour d’Arsac-en-Velay, celles des Estreys, ou même celle de Brives à Coubon ou celle qui mène de Chadrac à Polignac en sont tout entières imprégnées. Cette senteur est aussi celle de l’enfance et de l’approche des vacances d’été. Et c’est là que ça ne colle plus.

Partout des tracteurs fauchent, retournent ou andainent le regain 

On n’en démord pas. Aujourd’hui, il n’y a plus que rarement l’occasion de sentir une herbe fraichement coupée car, soit elle est coupée tôt pour être stockée en silo d’ensilage, soit elle est enrubannée en forme de petit suisse dès les premiers jours d’avril.

Cette herbe là, ne sent rien. Elle ne sent rien soit qu’elle est le fruit d’une semaison artificielle de ray-grass, soit parce que cette herbe coupée va sécher très vite et dès lors son odeur se transforme en une autre odeur tout aussi enivrante, celle du foin séché, mais aussi, si différente. Je suis certain que cette subtilité parle à ceux qui l’ont déjà sentie car cela ne s’oublie pas.

Photo illustration

Cette année, les paysans sont affairés dans dehors, non pas pour moissonner (ils le font aussi en parallèle) mais pour couper du foin. Les tracteurs sont partout à l’œuvre soit à faucher, soit à retourner soit à endainer. Quand par hasard, elles n’ont pas encore été fauchées de leur regain, les prairies sont toutes remplies de bouton d’or et de fleurs multicolores. C’est le printemps qui redémarre.

Ce regain qui ne sèche pas comme la première herbe coupée

C’est une curiosité que ce regain car il n’est pas comme l’herbe de la première coupe.

En atteste ces propos entendus sur les hautes terres près de Cayres. Deux agriculteurs devisent de l’identité d’un quidam occupé à faucher de regain une parcelle en plein village ou presque. On ne sait pas qui c’est car on ne connait pas ce tracteur, … à moins qu’il n’ait changé de marque…

- « C’est vrai qu’il y en a de l’herbe cette année ! Tiens regarde lui ce qu’il fauche, il faudra bien une semaine pour le faire sécher ce foin …s’il ne fait pas orage vendredi, il aura eu de la chance ». On est lundi

- « Et dire que moi, j’ai pas encore tout faucher avec cette pluie ! » réplique l’autre, « il me reste encore deux morceaux à couper !»

- « Bah !» lui retourne le premier, « avec cette chaleur, c’est l’histoire d’une journée au plus pour qu’il sèche ton foin, t’en fais donc pas, tu auras bien le temps ! ».

Le premier tranche 

-« Pour bien faire, le mieux, c’est de l’enrubanner ce regain. Comme ça, on n’en parle plus ».

J’ai compris à cet instant, que le regain a cette senteur car il est beaucoup plus humide qu’un foin de première coupe et que donc, celle-ci est plus résiliente (le mot est à la mode).

Je me mèle à la conversation et les interroge « On en fait pas toujours autant de regain, si ? »

« Bah si, on en fait bien toujours un peu mais c’est vrai que cette année on a ce qu’il faut. Ça compensera pour les autres années qu’on a presque rien eu ! ».

Et si c’était plutôt une odeur de l’automne en plein été

Je ne relance pas pour ne pas paraitre ignare, mais quand même, dans mon souvenir jamais on a vu autant de prés fraîchement coupés en août. Je me remémore plutôt de prés jaunis et arasés, à l’herbe grillée par les chaleurs de l’été.

Près du Puy, une coupe de regain en août 2021 Photo par Thierry Chabanon

De fait le dicton patoisant d’Aveyron sur la Saint-Barthélemy pluvieuse semble donc me donner raison.

Et du coup je me dis que, si le regain n’a pas l’odeur de l’été et des vacances, c’est parce qu’il a en fait, celle de l’automne et de sa rentrée scolaire, une odeur de mois de septembre et des derniers assauts de l’été.

Regain, peut-être un symbole

Quand on évoque le mot Regain, on pense immanquablement au roman de Giono adapté au cinéma par Marcel Pagnol avec Fernandel et Orane Demazis, la compagne du réalisateur (plus pour longtemps) et héroïne de la trilogie marseillaise.

« Regain » est un roman sur le thème de la désertification dans un pays de haute Provence où plus rien ne permet de survivre. Le village se vide peu à peu jusqu’à l’arrivée de cette femme par la grâce de laquelle la vie renaîtra.

Cet été qui n’arrivait jamais marque finalement le regain de cette nature printanière à laquelle on ne laisse plus assez de temps pour s’épanouir. On fauche en avril, on moissonne en Juin et on vendange en août. Il n’y a plus des saison ma bonne dame entend-on parfois.

Le réchauffement climatique est une évidence et ne peut être nié. Le GIEC (Intergovernmental Panel on Climate Change) après la publication, lundi 9 août, de son sixième rapport avertit aussi sur un dérèglement climatique inéluctable.

Prairie naturelle aout 2021 Arsac Photo par Thierry Chabanon

Et si justement cet été 2021 était celui d’une parenthèse avant le déluge prédit et qu’il s’agissait juste d’un été comme avant.

Si l’on prend pour année de référence celle de 1982 qui a un calendrier absolument identique à celui de 2021 (vérifiez), on apprend qu’il a fait 11 jours de pluie en juillet au Puy et que s’il y a fait très chaud, au mois d’août, les précipitations sont excédentaires en Auvergne Rhône-Alpes. Cela fut peut-être aussi une année à regain. Cela n’est pas dit dans les chroniques