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Une grève de la faim pour sauver une existence

Par nicolas@zoomdici.com ven 05/02/2021 - 12:00 , Mise à jour le 05/02/2021 à 12:00

"Tant que je ne tombe pas, je me battrai !" Depuis samedi 30 janvier, Eric Durupt, enseignant au Puy-en-Velay, ne se nourrit plus afin qu'un titre de séjour soit enfin attribué au jeune malien Madama. Fatigué mais résigné, il veut dénoncer par ce geste les méthodes de la préfecture pour "fabriquer des clandestins".

C’est rare mais ça arrive. Et quand ça arrive, des heures passent sans qu’il me soit possible d’écrire une ligne. À chaque fois, c’est lorsque je ressors d’un rendez-vous où la passion de mon interlocuteur fut si forte qu’elle détruit en un instant mes repères journalistiques, mes techniques, ma déontologie. Comment retranscrire en mots les larmes que j’ai vu couler sur ses joues ? Comment agencer les phrases pour partager la force de ses convictions ? Voici l’histoire de ce couple qui se bat depuis des mois contre la machine de l’État afin de sauver une existence, un présent, un avenir. Voici comment, selon eux et les association de défense des étrangers, la préfecture de la Haute-Loire fabrique des clandestins à coup d’expertises et de contre-expertises en n’en plus finir.

Des mots, des maux et des sanglots

Eric Durupt et Véronique de Marconnay. Lui est « prof » d’histoire-géo au lycée de la Roche Arnaud au Puy et elle est enseignante en anglais au lycée public d’Yssingeaux. En décembre 2018, ils accueillent Madama, un jeune migrant provenant du Mali. "À 16 ans, il a fui la misère de son village natal, explique Eric Durupt. Il a traversé le désert, puis la méditerranée à bord d’un zodiac. Lui et les autres migrants sont alors repêchés en pleine mer. Certains meurent dans l’opération mais Madama s’en sort heureusement. Il arrive enfin à terre sur les côtes italiennes et rejoint la frontière avec la France. Il traversera ensuite les Alpes à pieds où il sera traqué par les gendarmes et leurs chiens".
Pour accompagner la description de ce périple, les mâchoires se serrent et les regards fuient. Et malgré toute la retenue qu'Eric Durupt se force à garder, les sanglots s'échappent finalement. Sa compagne le prend un instant dans ses bras. Et ensemble, ils reprennent le récit de Madama.

Véronique de Marconnay et Eric Durupt. Photo par Nicolas Defay

"Il avait enfin trouvé ce qu'il lui fallait. Et ses maîtres de stages étaient de leurs côtés ravis !"

Aussitôt installé dans le foyer du couple d’enseignants, il est scolarisé à l’établissement scolaire Auguste Eymard à Espaly-Saint-Marcel en classe UPE2A. "Arrivé en France, il ne savait absolument rien de la langue française, explique Véronique de Marconnay. Il fallait lui apprendre à lire, à écrire, à compter, à comment tenir une règle et tout le reste. À présent, il sait faire tout ça."

Après Auguste Eymard, Madama poursuit un CAP boucherie-charcuterie à la rentrée de septembre 2019. "Il a commencé cette formation mais le patron n’a pas pu le garder malgré lui car trop de choses étaient encore compliquées pour lui". Mais en janvier 2020, il retrouve une formation à l'ISVT de Vals-près-le-Puy. "Un CAP ouvrier agricole, précise-t-elle. Il a fait un stage à Saint-Geneys-près-Saint-Paulien chez un couple d'éleveur de mouton. Et là, tout allait bien. Il avait enfin trouvé ce qu'il lui fallait. Et ses maîtres de stages étaient de leurs côtés ravis !"

Une pétition en ligne

Véronique de Marconnay et Eric Durupt ont lancé une pétition intitulée: "Jeune migrant en détresse: aidez-nous à garder Madama, menacé d'expulsion"
Au 4 février à 23 heures, ce sont déjà plus de 4 000 signatures. Voici son lien ICI.

Contact : soutienmadama@gmail.com

Un lourd travail de sape

Mais l'année 2020 sonne l'année de sa majorité. Le premier janvier exactement. "Dès le lendemain de ses 18 ans, nous sommes allés à la préfecture pour demander un titre de séjour et une demande d'autorisation de travail, livre Eric Durupt. À chaque fois que nous nous présentions aux services de l'Etat, ils nous demandaient des documents supplémentaires. Et encore, et encore, et encore".

En juillet, un contrat est signé entre le couple d'éleveur et Madama. "Depuis, rien. Silence total de la préfecture, déplore l'enseignant. Madama n'avait toujours pas d'autorisation de travail, toujours pas de titre de séjour, et aucun droit, aucune allocation et aucune possibilité de travailler".
Le couple se rend de nouveau à la préfecture et le travail de sape reprend. Un document est sollicité par l'Etat. Eric et Véronique l'apportent. Et puis un second, et puis un troisième et ainsi de suite.

Madama au travail. Photo par DR

Le problème du papier d'identité

"La préfecture nous a demandé un papier qui attesterait de l'identité de Madama, indique Véronique de Marconnay. Nous avons donc apporté son extrait d'acte de naissance." La PAF (Police de l'Air et des Frontières) convoque Madama en octobre 2020. "La policière l'assène de questions sur la provenance de ce document, partage-t-elle. C'est un vieux papier, tapé à la machine à écrire et que Madama n'avait jamais eu entre les mains. Et parce qu'il y avait quelques infimes traces dessus, l'agent de police a conclu qu'il avait été falsifié". Ce sera alors à la préfecture de décider si c'est un faux ou pas d'après le rapport enregistré par la PAF.

Les liens vers les journaux en dehors du département qui traitent de l'affaire :

La réponse de la préfecture…dans la presse

Miné par l'angoisse, le couple attend la réponse. Au mois de novembre, on leur dit de revenir en décembre. En décembre, on leur assure une réponse au mois de janvier. Au mois de janvier, les services de l'Etat leurs disent très prochainement. "C'était juste intenable pour lui !, déplore Eric Durupt. Intenable aussi pour l'ISVT et pour organiser ses stages. Nous étions atterrés par leurs méthodes d'une violence psychologique inouïe".

Le paroxysme de cette violence ? La réponse tant attendue de l'Etat apparaît enfin…dans les médias. "Suite à une conférence de presse, les journalistes présents ont décrit la situation que nous traversions, serre des dents l'enseignant. La préfecture a demandé un droit de réponse où elle explique clairement son refus de régulariser Madama". Elle abonde dans le sens de la PAF et de celui de l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance). À noter que cette dernière avait conclu le 27 septembre 2018 que Madama était majeur en arrivant en France alors que le juge pour enfant l'avait déclaré mineur non-accompagné et confié au couple d'enseignant jusqu'à sa majorité en 2020.

"Ça n'a pas de sens. Rien n'a de sens"

"Le préfet de la Haute-Loire ne régularise pas, à ce jour, la situation de Madama, qui a présenté des faux papiers d’identité à la préfecture. Évalué par les services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du Conseil départemental de la Haute-Loire, il a fait l'objet d'un refus de prise en charge, sa minorité n'étant pas reconnue (…) À défaut de production de documents d’identité authentiques et en cas de refus du bénéfice de l’aide au retour volontaire, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sera notifiée". Ceci est un extrait de la réponse faite dans la presse au lendemain de la mise en ligne des articles.

"Je n'envisage pas d'avantage d'user de mon pouvoir discrétionnaire pour régulariser votre situation à titre exceptionnel (…). Il ressort comme précisé supra que vous a fait usage de faux documents et par conséquent avez commis un trouble à l'ordre public". Et ça, un extrait de la lettre qu'Eric et Véronique ont reçu ensuite le 25 janvier 2021. "Un trouble à l'ordre public ! Un trouble à l'ordre public !, répète Eric Durupt comme s'il prononçait cette phrase dans une langue étrangère. Ca n'a pas de sens. Rien n'a de sens."

Madama Diawara est arrivé en France en 2018 après un long périple.
Madama Diawara est arrivé en France en 2018 après un long périple. Photo par DR

"Toutes réponses de ma part ou de la sienne étaient dirigées pour conclure à son départ"

D'après le couple d'enseignant, tout est codifié pour que rien n'aboutisse. "À la préfecture, ils me posaient des questions qui, quelle que soit la réponse apportée, confortaient l'idée que Madama n'avait rien à faire en France, s'indigne Véronique de Marconnay. Un jour, le service en question m'a demandé l'état de santé de Madama. Je leur ai répondu qu'il avait eu des ennuis mais que le traitement avait opéré et qu'il était sorti d'affaire. On m'a répondu que c'était bon, qu'il pouvait alors repartir dans son pays. Si j'avais dis le contraire, il m'aurait spécifié que Madama coutait trop cher à la société française et qu'il valait mieux qu'il aille se faire soigner au Mali. Toutes réponses de ma part ou de la sienne étaient dirigées pour conclure à son départ".

Plusieurs actions pour soutenir Madama

Vendredi 5 février, les élèves du lycée de la Roche Arnaud ont procédé à un "sit in" au milieu de la cour pour protester contre le refus de la préfecture à octroyer un titre de séjour à Madama (voir photo ci-dessous)
Un rassemblement sur la place du Martouret au Puy-en-Velay est également organisé ce samedi 6 février à 10 heures pour protester contre son expulsion.

"Tant que je ne tombe pas, je me battrai !"

"Qu'est-ce qu'il nous reste à présent ?, souffle Eric Durupt. Ma grève de la faim est un cri. C'est pour dire Regardez-moi. Regardez-nous. On nous prend notre enfant car c'est ainsi qu'on le considère." Il ajoute : "Tant que je ne tombe pas, je me battrai !".

Depuis le 31 janvier, il tient bon, s'abreuvant beaucoup, mais ne touchant aucune nourriture. Son docteur l'a déjà examiné une fois. "Il m'a dit que ça allait pour  l'instant mais qu'au bout de neuf jours de jeûne total, il faudrait pratiquer une analyse de sang", confie-t-il. "Tant que je ne tombe pas, je me battrai !" Il y a une puissance phénoménale dans cette phrase. Une phrase qui semble avoir traversé des déserts infinis, des mers agitées, d'innombrables pays et des kilomètres de marche à travers l'angoisse et la solitude. Mais une phrase qui résonne au-delà du département, incitant même les médias d'ailleurs à rejoindre ce combat.

 

Les lycéens de Roche Arnaud ont manifesté ce vendredi matin à la récré. Rassemblement massif autour du totem du lycée ponot. Un genou à terre et le poing levé, ils ont demandé la régularisation pour Madama.