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Les Ripoux de Lyon : "On ne lui laissera pas le dernier mot"

, Mise à jour le 23/09/2020 à 17:59

Peut-être que les plus de quarante ans se souviennent encore de ce qu’ils faisaient le samedi 28 janvier 1989. Peut-être partageaient-ils un verre entre amis ou avec la famille ? D’autres devaient choisir un restaurant où ils pourraient dîner tranquillement en amoureux. Ou d’autres encore regarder La Une est à Vous ou Trente Millions d’Amis en attendant Marc et Sophie, la série télé du moment.
En fait, comme beaucoup d’entre vous, je ne me rappelle pas de ce jour du 28 janvier passé il y a 31 ans. Mais deux filles du département, âgées de 13 et 17 ans à l’époque, s’en souviennent encore comme si ces trois décennies n’avaient jamais existé. Car c’est durant cette journée que leur père s’est fait cribler de balles au Leclerc de Firminy. Cinq balles toutes tirées dans le dos. Ce jour-là, le sang du convoyeur de fond Alain Monnier, 50 ans, s'est mêlé à celui de son collègue Freddy Bonneau (40 ans), assassinés par deux membres du gang des Ripoux de Lyon.

"Nous voulons rétablir ce qu’il s’est réellement passé ce jour"
En dépit du masque qui cache leur visage, on devine bien qu'elles sont sœurs. Même regard bleu clair, même couleur de cheveux et même voix fragile lorsqu' Audrey et Fabienne Monnier se brisent d'émotion à l'évocation du passé. Un passé qu'Alain Chémédikian, principal acteur dans cette tuerie, s'est chargé de retourner à travers son livre intitulé "Gang de Flics, la folle dérive des Ripoux de Lyon", sortie au mois de juin 2020.

"On a une rage infinie contre cet assassin et une rage infinie contre l’État qui a permis une telle réduction de sa peine de prison, confient-elles en mordant littéralement les mots. La mort de notre papa a été tragique mais les conséquences l’ont été d’autant plus. Si notre maman est morte un an après la libération de l’assassin, ce n’est pas un hasard. Sa remise en liberté a fini par achever ma mère comme il a achevé mon père 20 ans plutôt. Notre combat maintenant, malgré toutes les blessures en nous et tous les souvenirs détruits, c’est de laver ce mal répandu dans ce livre immonde et faux. Nous voulons rétablir ce qu’il s’est réellement passé ce jour du 28 janvier 1989. Il ne peut à ce point salir la mémoire de notre père. Il est certain qu’on ne lui laissera pas le dernier mot !"

Un hasard des plus cruels
Pour ceux qui ne connaissent pas cette affaire décrite comme l'une des plus importantes de l'histoire criminelle en France, Alain Chémédikian est l'un des quatorze malfaiteurs des Ripoux de Lyon, auteurs de 62 hold-up à travers la Loire, le Rhône et d'autres départements entre le 9 mars 1986 et le 12 novembre 1990. C'est également lui qui a été inculpé de vols avec violence ayant entraîné la mort pour son "coup" au Leclerc de Firminy, faisant deux veuves et quatre orphelins de père en quelques secondes.

Une fois arrêté et après six ans d'instruction, Alain Chémédikian est jugé le 23 février 1996 suite à un long procès de deux mois. Douze heures de délibérations sont alors nécessaires pour prononcer des peines allant de 8 ans d'emprisonnement à la réclusion criminelle à perpétuité. Alain Chémédikian a écopé de la peine la plus lourde, à savoir trois décennies derrière les barreaux.

Malgré ses multiples demandes de remise en liberté refusées, il est finalement libéré au bout de 20 ans, le 28 janvier 2009. Une date des plus cruelles puisque c'est ce même jour, 20 ans auparavant, que le père d'Audrey et Fabienne Monnier tombe sous les balles du gang.

(D'innombrables articles de médias locaux et nationaux ont traité cette affaire jugée comme l'une des plus intenses de l'histoire crimininelle en France.)

Un mort comme bouc-émissaire
"La belle-mère d’Audrey écoutait le journal télévisé et a entendu que Chémédikian parlait de son bouquin, explique Fabienne Monnier, 49 ans aujourd'hui. Quand elle m’a dit ça, je me suis tout de suite renseignée. Il y avait bien ce livre sorti au mois de juin, retranscrit par le journaliste Frédéric Ploquin. Alain Chémédikian explique son parcours, sa vie, comment ils se sont faits prendre, le procès, la prison. Sur le passage du Leclerc à Firminy, il raconte qu’il était caché, qu'il a entendu tirer et qu'il est parti à la défense de son collègue. Selon lui, il n’a tué personne. Il admet avoir tiré sur le camion sans prendre l’argent et s’est échappé. Il nie avoir été l'assassin de notre père alors que tous les témoignages enregistrés lors de l'audience, issus de tous les gens qui faisaient leurs courses à ce moment-là, décrivent un homme petit, trapu et qui boitait comme étant celui qui a tué Alain Monnier. Une description parfaite d'Alain Chémédikian. Étant donné que son complice Lemercier est mort en prison (en 2004), Alain Chémédikian rejette tous les méfaits sur lui, ce qui est forcément très pratique".
"La dernière balle a été tirée à bout portant, par derrière et de haut en bas"

Dans son livre, l'ancien détenu indique qu'ils ont dû faire usage de leurs armes, menacés par celles des convoyeurs de fonds. Une version des faits totalement fausse selon Audrey et Fabienne Monnier, toutes les deux s'appuyant sur le dossier de justice. "Les rapports de la balistique mentionnent que non seulement les deux convoyeurs de fonds n’ont pas eu le temps de se servir de leurs armes, mais qu’en plus ils ont été visés dans le dos. Toujours selon les experts en balistique, la dernière balle a été tirée à bout portant, par derrière et de haut en bas. Cette particularité est décrite comme étant clairement une mise à mort sur une personne déjà à terre." Les deux sœurs ont tenté d'attaquer en justice la maison d'édition pour rétablir leur vérité en dévoilant tous les éléments judiciaires en leur possession. Mais le délai entre la sortie du livre et cette décision ayant dépassé trois mois, leur initiative n'a pu aboutir.
"Il faut informer ses éventuels lecteurs qu’il n’est qu’un menteur et un véritable assassin"
D'après Audrey et Fabienne Monnier, Alain Chémédikian vit à Lyon, à Vaulx-en-Velin. "Je suis écœuré qu’un gars comme ça soit réinséré dans la société et qu’ils aient les mêmes droits que nous, que n’importe qui, en faisant tranquillement sa petite publicité de son bouquin sur un plateau de télévision, partage Audrey, 44 ans. Nous savons pertinemment que, en partageant notre ressenti et notre colère dans les médias, nous lui offrons encore plus de lumière sur lui et son roman. Mais tant pis. Nous ne pouvions passer outre tous ses mensonges. Il faut mettre le bon point final à son livre et informer ses éventuels lecteurs qu’il n’est qu’un menteur et un véritable assassin".
De la genèse du gang à sa fin derrière les barreaux
Un saut dans le temps. Il y a 34 ans. Le 9 mars 1986, deux individus armés décident de braquer le bar PMU à Bron (69), un établissement qui sera ensuite attaqué à quatre reprises la même année. Au commande du hold-up, Alain Chémédikian et le sous-brigadier de police Michel Lemercier.
Le duo trouve rapidement du renfort notamment avec l'inspecteur de police XXXX et l'enquêteur Don Juan Giovanetti. Ensemble, ils commettent une succession de vols dans les grandes surfaces de la Loire et dans une dizaine de bars-PMU en 1987.

Le 1er décembre de cette même année, un quatrième policier entre dans cette danse macabre. Il s'appelle Richard Durastante. Trente jours plus tard, un point de non retour est atteint : lors d'un énième coup, un passant est tué à proximité d'un PMU à Genas. Le sang coule pour la première fois. Le temps de se faire oublier, le gang ne commet qu'un seul hold-up pendant l'année suivante, une station service pour cible. Vient alors la prochaine affaire : l'attaque du convoyage de fonds au Leclerc de Firminy le 28 janvier 1989.

Sûrs d’être de nouveau passés sous les radars de la police, ils recommencent une vingtaine de vols à mains armés de juillet à décembre 1989 et débute l’année 1990 avec la même frénésie de violence. Ils frappent également en Franche-Comté, dans le Doubs, à Belfort et en Isère. Un cinquième policier, l’inspecteur Laurent Féminier, arrive durant l’été 1990. Ils dévalisent alors des banques avec, parfois, des prises d’otage. Le 12 novembre, ils décident de braquer la Société générale de Gerland dans la cité lyonnaise.
Ce coup sonnera le glas à l’association de malfaiteurs que les médias et la justice de l'époque baptiseront unanimement le gang des Ripoux de Lyon.

Nicolas Defay

Éclats de presse :
Ci-dessous, des extraits tirés des pages de la presse totalement en ébullition devant l’événement.

Le journaliste Michel Jessand écrit le 31 janvier 1989:
"Agissant de sang-froid, sans sourciller, exécutant les deux convoyeurs de fonds sans que ceux-ci ne puissent réagir. C’est dans le dos que les deux employés de la Transval ont été touchés. Freddy Bonneau a reçu une balle qui a pénétré à la hauteur de la colonne vertébrale et a fait éclater le foie. (…) Deux premières balles ont touché le dos d’Alain Monnier. Il a eu le temps de se retourner et tenter de dégainer son arme. C’est à cet instant qu’il a été atteint deux fois en pleine poitrine". Freddy Bonneau, 40 ans, était papa d’un garçon de 16 ans et d’une fillette de 11 ans.
Dans le même article de Michel Jessand :
Un inspecteur de la SRPJ confie : "Les agresseurs ont tiré pour tuer. Ils savaient que les convoyeurs de fonds sont armés et souvent bons tireurs. Ils n’ont pas voulu prendre de risque et ont ouvert le feu d’emblée".
La journaliste Eliane Bègue le 16 février 1996 reprenant l’intervention de l’avocat général Christian Cadiot au terme des réquisitions :
Michel Lemercier, co-meurtrier avec Alain Chémédikian des deux convoyeurs de Firminy, "ont tiré dans le dos, ont achevé par un coup de grâce... un assassinat de lâches et de médiocres".