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'''Ce jour-là, le 86e avait atteint et même dépassé les limites de l’héroïsme'''

mar 25/08/2020 - 16:54 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:07

Le temps qui passe n’est pas une excuse pour oublier. Et si plus de cent ans séparent le 25 août 2020 à celui de 1914, les héros se doivent de rester gravés dans nos mémoires et notre Histoire à tous. Un devoir de mémoire pour honorer les enfants du pays, leurs sangs versés pour contrer l’ingérence allemande, leurs rêves de jeunes hommes enterrés dans la terre écarlate de Baccarat, cette petite ville de Meurthe-et-Moselle.
« Tel fut le rôle tragique mais glorieux du 86e durant sa courte et héroïque épopée du mois d’août 1914, en particulier pendant cette sanglante journée à Baccarat, qui fut extrêmement meurtrière, et où plus de 1200 hommes et 26 officiers restaient dans ce coin bouleversé de la terre lorraine qui, de la Meurthe à la Mortagne, rappelle à tous ceux qui ont vécu ces heures de combats ardents un souvenir d’enfer et de mort. Ce jour-là, le 86e avait atteint et même dépassé les limites de l’héroïsme », écrit le commandant Boucher le 14 avril 1964, lui-même acteur durant cette terrible journée.

----Plus meurtrière encore
La bataille de Baccarat est commémorée avec tous les honneurs chaque année au Puy-en-Velay. Pourtant, un autre combat, plus meurtrier encore pour les soldats du département, s’est déroulé quelques mois après, le 12 décembre 1914. « On aurait tendance à oublier la bataille de Seicheprey, souligne Christian Allègre. Pourtant, l’attaque du bois de la Rémières emporta 990 hommes du 286ème Régiment d’Infanterie, les réservistes du 86ème, en quelques heures. » 120 communes de la Haute-Loire perdent alors plusieurs fils dont douze au Puy-en-Velay.-----« Il pleuvait énormément ce jour-là mais la population était tout de même présente »
Le 5 août 1914, les hommes du 86ème Régiment d’Infanterie quittent la caserne Romeuf du Puy-en-Velay. Moyenne d’âge, 23 ans. À ce moment-là, ils sourient encore. Fiers et insouciants. C’est le début de la guerre et peu d’informations circulent si ce n’est qu’il faut aller vers l’Est pour empêcher les soldats allemands d’avancer plus encore dans les terres françaises. Ils se tapent sur le dos, décrivent leur p’tite amie en exagérant un peu, se disent des blagues dans les wagons qui les emmènent là-bas. Un là-bas qui deviendra, dix jours après, une tombe pour plus de la moitié d’entre-eux.

« La plupart de nos soldats étaient des agriculteurs, explique Christian Allègre, ancien officier de gendarmerie. Quand ils sont partis ce jour du 5 août 1914, nous étions encore en plein dans les moissons et les travaux des champs. Bien loin de la guerre, des détonations et des hurlements. Il pleuvait énormément ce jour-là mais la population était tout de même présente pour soutenir leurs 3 200 soldats du 86ème Régiment d’Infanterie et les accompagner jusqu’à la gare SNCF ».

L’opération fonctionne au début. Puis l’enfer se déchaîne.
Avant d’arriver dans la ville de Baccarat, ils subissent de nombreuses attaques, notamment dans la région de Nitting et de Neuville les Lorquins en Lorraine. Le 22 août, les bataillons du 86ème Régiment d’Infanterie sont dispersés, blessés, les croix noirs se compilant sans cesse sur les registres mortuaires. « Mais ils se regroupent et se reforment, partage Christian Allègre. Plusieurs unités resteront des jours sans ravitaillement. Lorsqu’ils atteignent les abords de Baccarat le 23 août, il sont épuisés, inconscients du carnage qu’ils allaient vivre 24 heures plus tard. »

Le 25 août, vers 3h30 du matin, ordre est alors d’attaquer la ville pour s’emparer du pont qui enjambe la Meurthe. La stratégie est d’opérer discrètement, par surprise et dans le noir intense de la nuit. « Les hommes avaient mis baïonnette au canon et approvisionné leur arme à huit cartouches, écrit le commandant Boucher. Cette attaque était déclenchée en silence, sans un coup de fusil, ni appui d’artillerie. » Les sentinelles allemandes sont supprimées aux issues de la ville et les soldats évoluent ainsi jusqu’à la mairie. Le plan fonctionne. Les pions tombent un à un. Jusqu’à ce qu’une tempête de feu et de métal explose finalement en face d’eux.

----Des mémoires de pierre
Le 28 septembre 1923 a été inauguré le monument aux morts dans la ville de Baccarat, érigé à proximité du pont qui enjambe la Meurthe, pour rendre honneur au 86ème Régiment d'Infanterie du Puy-en-Velay.
Le 23 août 1964, c'est la ville du Puy qui inaugure un nouveau carrefour du nom de Baccarat où est implanté la stèle de mémoire.
Au total, 11 000 soldats altiligériens tomberont durant la première Guerre mondiale.-----Des boucliers d’os et de chair
L’absence d’informations sur le dispositif défensif de l’ennemi transforme l’opération en un cauchemar de plomb. « Continuant dans la rue principale à progresser en silence par demi-sections, les 12e et 11e Compagnies atteignent le pont et s’y engagent résolument, sans hésitation, témoigne le commandant Boucher. C’est alors que les sentinelles ennemies, installées au milieu, ouvrent le feu et donnent immédiatement l’alerte. Les mitrailleuses ne tardent pas à entrer en action en prenant le pont d’enfilade. Au même moment, des clameurs, des cris et des ordres se font entendre de toutes parts. La bataille, qui s’annonce tragique, est commencée, et il fait déjà jour. »

Ce jour-là, le 25 août, il y a 106 ans, 670 hommes de Haute-Loire sont décimés. En quelques heures, les cadavres de 95 soldats s’entassent sur le pont, faisant office de rempart d’os et de chair à leurs compagnons qui suivent derrière pour s’emparer en vain de la citadelle allemande. Plus de mille jeunes enfants du pays, notre pays, succomberont en l’espace de deux journées. « Si Baccarat a été, selon moi, une erreur stratégique, commente Christian Allègre, les militaires du 86ème Régiment d’Infanterie ont fait preuve d’un courage et d’une abnégation exceptionnels ».

« Leurs aïeux se sont sacrifiés pour qu’aujourd’hui nous soyons tous libres »
À la question de savoir pourquoi le devoir de mémoire est-il si important, Christian Allègre répond en ces termes : « On ne peut pas se situer sur le présent et on ne peut pas préparer l’avenir sans savoir ce qui nous a construit et ce qu’il s’est passé. C’est très important que l’on fasse passer ce message aux jeunes générations afin qu’ils se construisent au regard des événements du passé. Je pense que la guerre est la pire des catastrophes qui puisse se produire. Il faut que les jeunes sachent que leurs aïeux se sont sacrifiés pour qu’aujourd’hui nous soyons tous libres ».

Nicolas Defay