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Yssingeaux

'''La misère animale découle souvent de la misère humaine'''

mar 26/03/2019 - 15:22 , Mise à jour le 27/11/2020 à 08:56

C'est un dossier complexe qui a été évoqué à la barre du tribunal correctionnel du Puy ce mardi matin alors qu'un éleveur bovin était poursuivi pour une pléiade de faits portant sur de la maltraitance animale. En 2012 déjà, à Connangles, c'est une vingtaine de brebis que l'éleveur avait laissé périr dans la neige. Très vite dans l'affaire, on a compris que l'éleveur de 50 ans avait été dépassé par les événements.

"Une histoire symptomatique de la pauvreté sur certaines exploitations agricoles de la Haute-Loire"
C'est ce qu'a déclaré le représentant du Ministère Public Nicolas Rigot-Muller, "et elle doit appeler à la vigilance". Pour le procureur de la République, cet éleveur n'était "plus capable de mener son exploitation et ce sont les animaux qui en pâtissent". 

Misère agricole : une cinquantaine d'agriculteurs identifiés
Si les retraits d'animaux sont "de plus en plus fréquents", il sont aussi liés à "une meilleure sensibilité sur les questions animales aujourd'hui", nous répond en aparté l'une des membres des services vétérinaires de la DDCSPP, "on essaie de détecter les difficultés au plus tôt et on propose des formations de reconversion professionnelle. On peut aussi vendre son cheptel pour repartir avec un capital et lancer une autre affaire". 
Il n'est pas question de jeter l'opprobre sur la profession agricole dont on sait que l'immense majorité respecte la condition animale, mais la misère agricole a toujours existé. Un problème identifié par les pouvoirs publics car une cinquantaine de professionnels est d'ailleurs identifiée et suivie chaque année par la Chambre d'agriculture de Haute-Loire pour des difficultés sociales, de santé ou financières. Une étude relayée en 2016 sur Zoomdici.fr faisait état d'environ un quart des exploitations en situation financière difficile. "Derrière la misère animale, il y a souvent une misère humaine", tranche la membre des services vétérinaires.

Des animaux ni déclarés, ni vaccinés
Tout débute en janvier 2018 lorsque les services vétérinaires de la préfecture se rendent compte qu'un certain nombre de mouvements dans cette exploitation (des entrées ou des sorties) n'ont pas été notifiés à l'établissement départemental de l'élevage.
Second problème : le bétail n'a pas bénéficié de la prophylaxie (mesure pour prévenir l'apparition, la propagation ou l'appartition d'une maladie) pourtant obligatoire, ce qui pause un sérieux problème alors que des bêtes sont sorties de l'exploitation sans que l'on sache exactement leur destination. Notons bien cependant qu'il n'y a aucun risque de santé publique, les maladies visées n'étant pas transmissibles à l'homme.

Les animaux présents ne sont ni ceux de l'inventaire, ni ceux qui ont subi un prélèvement
Au moment d'analyser les prélèvements réalisés par le vétérinaire, les services préfectoraux constatent que les animaux ne sont pas les mêmes que ceux de l'inventaire. S'en suivent trois déplacements sur l'exploitation en janvier 2018, avec un premier procès verbal et une mise en demeure alors que les animaux présents sur le site ne sont ni ceux de l'inventaire, ni ceux qui ont subi un prélèvement.
Un nouveau rendez-vous est organisé sur l'exploitation en juillet mais en l'absence de contention (cage ou barrières pour maintenir l'animal dans un petit périmètre), il est impossible pour le vétérinaire de procéder à la prophylaxie.

Un premier cadavre et un deuxième procès verbal
"On fait alors le tour de la parcelle", relate l'une des membres des services vétérinaires de la DDCSPP (direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations) à la barre, "et on tombe sur un cadavre de bovin, d'au moins 48 heures, près de la nourriture avec donc des agents pathogènes et de sérieux risques d'infection".
Un deuxième procès verbal est dressé et le parquet en est informé, la détention d'un cadavre étant un délit. Dans le même temps, un âne, non identifié et non déclaré, a de grandes difficultés à se déplacer car ses sabots sont trop longs (un acte assimilable à de la maltraitance animale).

Un deuxième cadavre et une douzaine de chefs de poursuite
Puis en octobre, la police municipale d'Yssingeaux contacte les services vétérinaires. En arrivant sur place, ils découvrent le cadavre d'une jeune Aubrac de deux ans attachée par les cornes à un arbre. Privée d'eau et de nourriture, elle présente un important retard de croissance.
Ajoutez à cela quelques faits de divagations d'animaux et vous obtenez une douzaine de chefs de poursuite dans le dossier. Des faits qui demeurent relativement mineurs puisque dans ses réquisitions, le procureur de la République ne va requérir que des peines amendes.

"Si j'avais eu l'argent nécessaire, l'équarissage aurait été fait"
À la barre, l'agriculteur au RSA (revenu de solidarité active) ne cache pas ses difficultés. "Je n'arrive plus à me nourrir", déplore-t-il timidement. Pour la détention de cadavre, il tente de se justifier : "j'ai demandé à un ami d'appeler les services d'équarissage", avant d'avancer l'argument pécunier : "si j'avais eu l'argent nécessaire, l'équarissage aurait été fait". Le quinquagénaire reconnaît tous les faits, sauf l'âne, qu'il affirme ne pas être à lui. Étant sur sa propriété et en l'absence de traçabilité, il a tout de même été reconnu comme lui appartenant.
Aujourd'hui, le quinquagénaire produit encore un peu de foin mais il n'a plus d'animaux sur son exploitation. "J'ai eu plusieurs accidents, dont la clavicule cassée, je ne veux plus en entendre parler de ces animaux", répond-il à la présidente du tribunal, "je n'en veux plus du tout. Plus rien, plus rien", martèle-t-il.

Plus de 1 500 € d'amendes
Soulignant la pédagogie de la DDCSPP qui a réalisé plusieurs interventions avant d'en référer à la Justice, le procureur de la République estime que c'est la reponsabilité de l'éleveur d'appeler l'équarissage.
Quant à la seconde vache décédée, "elle avait à boire et à manger nous dit-il... mais elle est quand même morte", conclut-il.
Après délibérations, le tribunal correctionnel du Puy a prononcé une peine amende et le prévenu (coupable de tous les faits reprochés) devra verser 1540 € pour l'ensemble des infractions.

Maxime Pitavy