Depuis que le lac existe, il suscite admiration et attachement, histoires et légendes. Qu’il soit plein ou vide, des milliers de regards se perdent incessamment dans son horizon, sur sa peau bleue ou son corps de boue. Aujourd’hui, la retenue se meurt doucement, faible et assoiffée. Et dans sa lente agonie, les cicatrices d’un autre temps refont surface, cachées là, dans les pierres et les souvenirs.
Imaginez...
Imaginez vos souvenirs, vos balades, le son de la cloche de l’église, les lieux où vous vous retrouviez avec les copains, près des fontaines, sur les places et les bancs. Imaginez les vieux en train de parler des heures durant, adossés contre les murs d’une maison, des volutes de tabac flottant au-dessus d’eux.
Imaginez aussi les jeunes se courir après, pleins de vie, les chiens étendus au soleil et les chats à l’ombre des ruelles. Et aussi les salles de classes, l’odeur de la craie, les mots secrets passés sous les tables à l’insu du prof, les punitions, les rigolades, les parties de foot dans la cour et les jeux de marelles tracés sur le sable.
Imaginez alors qu’on vous annonce que tout ça va disparaître sous des millions de tonnes d’eau, bientôt, dans une poignée d’années. Votre maison, votre village, votre territoire, votre horizon, changés à jamais.
C’est ça l’histoire du bourg de Naussac et des neuf hameaux voisins, ensevelis sous les eaux en 1983. Une histoire d’hommes et de femmes, de larmes et de combats. Une histoire que raconte toujours le lac quand il se vide de son sang.
De rouille et d’eau
À travers ses photos, aussi belles que tristes, Pierre Masclaux a ainsi capturé des fragments d’une autre époque où existaient des routes et des chemins, des maisons et des rues, des arbres et des ponts.
Ce vendredi 3 novembre, alors que le lac ne comporte qu’un cinquième de sa capacité, le photographe a marché dans les pas des anciens, immortalisant ça et là des morceaux de rouille, des morceaux de temps qui invitent juste à s’immerger dans ce premier mot de l’histoire : imaginer.