Pour que nos territoires ne meurent jamais de faim

Par Nicolas Defay lun 10/01/2022 - 06:30 , Mise à jour le 10/01/2022 à 06:30

À travers un défi culinaire relevé par la commune de St-Germain-Laprade, Stéphane Linou, expert sur la question, donne les ficelles pour que les territoires locaux évitent la pire des catastrophes : l’impossibilité de nourrir sa population dans un contexte de blocage logistique généralisé.

Nous sommes en 2036. Suite à la pandémie du Covid qui a frappé le monde 16 ans auparavant, un nouveau virus s’est emparé du quotidien des humains. Un virus plus dangereux, plus contagieux encore, affectant toutes les générations d’une société fatiguée. Après avoir lutté des mois durant contre ce mal baptisé « Surivanoroc alpha », le gouvernement français et la plupart des pays du monde décident le blocage général de l’économie pour contenir la propagation. L’ère des échanges internationaux à outrance se brise soudainement. Tout s’effondre. Le confinement est total. Pour la France, il est ordonné qu’aucun habitant, quel que soit le motif, ne peut franchir les frontières de son département. La Haute-Loire, comme les autres, devient alors un pays coincé dans une nation à l’agonie. Un petit pays ne pouvant compter que sur ses seules propres ressources alimentaires. ***

C’est à travers cette vision d’un possible avenir que Stéphane Linou, formateur sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité et expert associé au laboratoire sécurité défense du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), rencontre les élus de l’Hexagone. À la base, l’idée est d’abord pour les collectivités, associations ou autres entités de remplir son défi culinaire : confectionner un plat typique, complet, où tous les ingrédients sont issus de productions situées à moins de 50 kilomètres, avec un coût maximum de 9,50 euros.

Guy Chapelle, Stéphane Linou (à droite) et des enfants ravis de leur repas local.
Guy Chapelle, Stéphane Linou (à droite) et des enfants ravis de leur repas local. Photo par Nicolas Defay

Saucisse-lentille, le duo gagnant

Ce vendredi 7 janvier, c’est la commune de Saint-Germain-Laprade qui s’est attelée à la tâche. « Le menu est un velouté de potimarrons de la commune, avec une crème de la laiterie Gérentes à Araules, détaille Jérôme Suc, responsable de la restauration municipale. Ensuite, c’est saucisse-lentille avec un godiveau en porc bio élevé et transformé dans la boucherie du bourg. Les lentilles proviennent d’Arsac-en-Velay. Le yaourt bio arrive de la ferme de Pierre Grosse à Lantriac. Enfin, Mirelle Defay, adjointe à l’environnement et à la sécurité, a même réussi à trouver des pommes, précisément des reinettes grises, à 49 kilomètres de là, à la frontière ardéchoise ». Coût du repas ? Moins de 3 euros.

« Il faut se préparer à peut-être subir à l’avenir des confinements comme en 2020 et s’assurer que notre territoire est capable de s’autogérer, de s’autoalimenter avec les produits que nous savons faire pousser et que nous savons produire et transformer ». Guy Chapelle

« Pour le sel et le poivre, il a fallu nous en passer »

Guy Chapelle, maire de la commune, explique les principales difficultés pour présenter un plat totalement local. « Trouver toutes les denrées à moins de 50 kilomètres autour de Saint-Germain-Laprade pour 300 personnes n’a pas été chose aisée. Pour le sucre, nous avons utilisé du miel local avec l’assurance que les abeilles butinaient bien dans un mince périmètre. Pour le sel et le poivre, il a fallu nous en passer. »

Il ajoute : « En tous cas, s’il fallait renouveler l’expérience tous les jours et en aussi grande quantité, cela me semblerait compliqué ». Néanmoins, la commune de Saint-Germain-Laprade fait figure de très bon élève en la matière car cela fait depuis 2017 que le bio et le local investissent la restauration municipale. « Le bio représente 35 % de nos approvisionnements et 60 % de nos achats sont caractérisés de très locaux », assure le maire.

« Curieusement en 2008, j’avais même imaginé une pandémie grippale qui bloque les chaînes d’approvisionnement »

Mais plus que ce défi, c’est l’intervention de Stéphane Linou la véritable priorité du jour. Engagé depuis 2008 dans l’étude de la résilience alimentaire, il parcourt la France pour éclairer les élus sur les enjeux d’avenir concernant l’autonomie alimentaire. « La résilience alimentaire est la capacité d’un territoire à résister à des choses internes et externes tout en continuant à assurer l’approvisionnement de la nourriture à sa population », décrit-il. Autour de lui à la table sangerminoise, des élus de la commune mais aussi d’Aiguilhe, d’Yssingeaux, de Saint-Paul-de-Tartas, de Saint-Julien-Chapteuil et de Vorey.

« Curieusement en 2008, j’avais même imaginé une pandémie grippale qui bloque les chaînes d’approvisionnement, confie Stéphane Linou. Je me demandais que si ça arrive, sachant que nous ne produisons plus notre nourriture à titre individuel, que les magasins de grande distribution n’ont que deux jours de stock, qu’il y a de moins en moins de paysans et que l’on ne stocke plus rien de nos jours chez nous, combien de temps pourrions-nous tenir sans plan précis dressé à l’échelle communale ? »

« Les retours sont qu’en Haute-Loire, il y a du fromage, de la viande, des lentilles mais pas de légumes. Cela manque en production maraîchère. Mais effectivement, il y a des territoires bien moins lotis que votre département notamment dans les zones les plus urbanisées ». Stéphane Linou

Cuisiner pour faire des stocks. Réapprendre à planter, cultiver et récolter.

Sa réflexion atterrit sur les bancs du Sénat et le Gouvernement s’empare de la question. « Il a affirmé que la non résilience alimentaire des territoires doit être regardée avec les lunettes de la sécurité civile, intérieure et nationale, continue le visionnaire. Au niveau local, nous avons des outils qui existent. Ils s’appellent les Plans Communaux de Sauvegarde. Les communes peuvent y inscrire le risque de rupture d’approvisionnement alimentaire. Ensuite, on liste des actions à mettre en place en prévention et en protection sur le sujet ».

Par exemple ? Inciter les gens à avoir un stock tampon à la maison. Développer les jardins partagés. Aider et éduquer les habitants à cuisiner et faire des conserves. Favoriser l’apprentissage des fruits et des légumes, savoir correctement les planter en fonction de la terre et du climat. « Toutes ces actions sont bonnes pour l’économie, pour le lien social, pour l’écologie et la biodiversité ».

« Aujourd’hui, nous importons 98 % de produits pour notre alimentation ! »

« Tant que nous sommes dans une période sereine, il faut éduquer les populations et accompagner toute la chaîne d’approvisionnement de valeur afin de se préparer au pire, afin d’anticiper ce qu’il s’est déjà passé en partie en 2020, insiste Stéphane Linou. Nous n’arriverons jamais à l’autarcie totale. Mais les chiffres sont effarants ! Aujourd’hui, nous ne sommes qu’à 2 % d’autonomie alimentaire ! Cela veut dire que nous importons 98 % de produits pour notre alimentation ! »

Il termine avec ce constat : « En parallèle, 97 % de ce que l’on produit localement est envoyé dans d’autres territoires ! Entre le 2 % actuel et le 100 % caricatural, on a quand même de la marge. Il est donc possible avec des outils adaptés, une politique communale forte et une volonté populaire de devenir autonome pour se nourrir rien qu’avec ce qui pousse et ce qui est élevé sur nos propres terres ».

« Cette stratégie est forcément une vision d’avenir. Ou plutôt une vision du passé dans le bon sens du terme. Car je pense qu’il est nécessaire de regarder en arrière et revenir à certains gestes que pratiquaient nos anciens pour conserver, cuisiner et cultiver les produits alimentaires ». Stéphane Linou

*** Cette vision de l'avenir est une projection imaginée par le journaliste et non par Stéphane Linou.

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