Électrosensibilité : "Ce qu’on demande, c’est de nous laisser des zones blanches"

mer 17/10/2018 - 13:19 , Mise à jour le 27/11/2020 à 08:55

Ce jeudi 18 octobre 2018, à 18 heures à la Maison pour tous de Brives-Charensac, Philippe Perrin, éco-infirmier et directeur de l'Institut de Formation en Santé et Environnement, animera une conférence-débat dont le sujet sera : "Les ondes magnétiques (téléphone, Wifi...): quels impacts sur la santé, quelles mesures pour s'en prémunir, comment limiter son exposition ?" Une confrence à l'initative des mutuelles du groupe VYV (MGEN, MNT, MGEFI et Harmonie Fonction Publique).

Zoomdici a donné la parole à une personne habitant la Haute-Loire particulièrement touchée par ce sujet, mais qui préfère garder l'anonymat "parce qu'il y a encore plein de gens qui croient que c'est psychologique, ou que c'est pour toucher de l'argent", explique-t-elle.
Depuis quand êtes-vous électrosensible ?
A. : Au départ je ne le savais pas, avec le vécu je pense que je l’ai toujours été. J’ai eu de sérieux problèmes de santé à l’époque où j’ai eu mon premier téléphone portable mais je n'avais pas fait le lien. Et puis avec l’arrivée des smartphones, ça a été beaucoup plus révélateur. A partir de ce moment, il y a une dizaine d’années, j’ai compris que j’avais un problème avec ces objets. J’ai essayé de me renseigner et j’ai découvert qu’effectivement il existait un « syndrome des micro-ondes » et des cas d’hypersensibilité et à partir de ce moment-là je n’ai plus utilisé d’objets sans fil, je suis restée avec des portables ancienne génération. J’ai appris à gérer mon intolérance, ça se passait très bien. Ça ne m’empêchait pas de vivre avec les autres.
Vous êtes-vous auto-diagnostiquée électrosensible ?
A. : En fait, j’ai découvert que j’étais intolérante aux ondes et quand j’ai essayé de comprendre ce qui m’arrivait, je suis tombée sur des témoignages et j’ai compris que c’était ce que j’avais.
Avez-vous consulté des médecins ?
A. : A l’époque, non. Chaque fois que j’évoquais avec mon généraliste ou n’importe qui du corps médical ce trouble, je recevais des fins de non-recevoir. Alors j’ai arrêté d’en parler. Mais pas seulement les médecins, tout le monde, quand tu dis ça, on te regarde bizarrement.
Quels sont les symptômes ? Que ressentez-vous physiquement ?
A. : Ça cuit. Tous les tissus mous sont impactés. Mon œil droit est foutu. Quand j’ai eu mon premier smartphone, j’ai ressenti des picotements sur le visage, les bras, des migraines, une grosse fatigue. J’étais épuisée. Dès que je touche ces appareils, même les tablettes, je ressens du froid, un engourdissement des doigts. On va dire que ce sont les symptômes principaux. Après, les électrosensibles ne sont pas tous sensibles aux mêmes choses.
L’épisode le plus sérieux était il y a deux ans, quand on m’a imposé le CPL (courant porteur en ligne qui permet de construire un réseau informatique sur le réseau électrique d'une habitation) via le nouveau compteur Linky. C’est une fréquence que je ne supporte pas, 24h/24 et 7 jours sur 7 ! Avant j’étais sensible et je suis devenue hypersensible. Et je suis devenue hypersensible à toutes les ondes. Je ne supportais plus ni le wifi, ni le bluetooth, ni même les piles des appareils. Là, ça a été beaucoup plus violent : tachycardie, toujours les picotements, fatigue, migraine, je ne pouvais plus dormir... et un sentiment d’électrocution. Tu sens, je ne sais pas comment dire, comme des coulées électriques quand tu touches des objets métalliques. Au tout début, ça a été hyper violent, invivable. Moi qui vivait en ville, je ne pouvais plus prendre les transports en commun. Dans les grandes villes, il y a des antennes partout. Mais dès que je me coupe de tout ça, ça va mieux. Donc pour moi il n’y a pas d’autre explication.
J’ai du déménager et depuis que je vis en milieu rural, dans un endroit bien moins exposé, mon niveau de tolérance a augmenté. Il y a des choses que je supporte mieux. Ça me rassure sur le fait que quand je vis dans un endroit moins exposé, je peux vivre à peu près normalement, et qu’il y a bien un lien avec l’environnement. Je revis.
Quelles sont les incidences dans votre vie ?
A. : Aujourd’hui, je n’ai plus accès aux lieux qui sont en wifi, je ne peux pas y rester plus d’une heure. Donc je ne peux plus aller à la bibliothèque, dans les supermarchés, les transports en commun, etc. Plus ça va et plus tout est connecté. Sans parler de tous les gens qui sont avec leur téléphone. Il faut savoir que quand on est dans un milieu clos et métallique, ça fait « cage de Faraday », ça démultiplie le truc puissance mille. Donc quand tu le sens c’est vraiment invalidant.
Et au niveau du boulot aussi, tout le monde maintenant est équipé et il y a de plus en plus d’outils de travail qui utilisent ces technologies. Je n’ai pas précisé que j’utilisais beaucoup l’informatique et dans mon domaine de compétences, je ne peux plus exercer. Je suis en train de complètement revoir ma vie en essayant de sortir de tout ce qui est émetteur d’ondes en sachant que moi, mon « allergie » est aux basses fréquences : tout ce qui est électrique, même les aimants, me provoque des douleurs. Ceux qui sont allergiques aux hautes fréquences, ça va être les antennes relais, les radars, etc. Et là c’est encore plus compliqué : il n’y a plus d’endroits à l’abri. Heureusement ce n’est pas mon cas.
Mon angoisse, c’est de voir arriver le CPL ici. Même si tu le refuses dans ton domicile, ça rayonne à partir du transformateur EDF donc tu es quand même atteint. Et ce n’est pas du tout pris en compte.
Du coup je recherche un nouveau logement isolé puisque dans ma commune, il est question d’installer les compteurs Linky prochainement. Mais même là, on n'est à l’abri de rien. On ne sait pas si on va installer une antenne à côté, si on va nous poser de force un compteur qui nous rend malade.
J’essaie de créer ma propre activité parce que je ne trouve plus de lieu de travail qui soit débarrassé de ces ondes. Les expériences que j’ai eues ont été avortées par le fait que tout le monde est connecté et que je ne supporte pas. En fait, ce n’est même pas une question professionnelle, c’est une question d’environnement et de comportement des gens.
Et quel regard portent les gens sur votre maladie ?
A. : C’est compliqué parce que c’est très peu connu et c’est une maladie « invisible » donc soit les gens ne connaissent pas et ça leur semble aberrant puisque eux ne le ressentent pas ; soit ils savent qu’il y a un problème avec les ondes mais il y a un déni global parce que tout le monde est complètement accro à ces appareils.
Quant au corps médical, il est très peu formé, mais il semble que les choses évoluent doucement dans le bon sens. Pourtant il y a plein d’études qui ont été faites. Le problème étant que les principales d’entre elles ont été confiées à des entreprises qui elles-mêmes produisent des ondes et qui ont des intérêts à ce que les résultats négatifs ne soient pas publiés. Mais on est nombreux, qu’on nous croie ou pas, à vivre ça au quotidien. Et les résultats des études indépendantes sont peu diffusées. Il y a à peu près 2% de la population qui serait atteinte, mais avec le développement de toutes ces technologies, c’est en train de monter en flèche !
Qu’en est-il de la reconnaissance de handicap de cette maladie ?
A : Moi, j’ai obtenu une reconnaissance de la part de la MDPH [Maison départementale des personnes handicapées, Ndlr], mais c’est encore trop rare. Ça demande beaucoup d’énergie et c’est un parcours du combattant.
Certains, du fait de cette maladie, sont retranchés. Ils ne parviennent même pas à sortir de chez eux, du coup il est plus que difficile de faire ces démarches.
Nous, ce qu’on demande, c’est de nous laisser des zones blanches pour pouvoir vivre normalement et on nous pousse plutôt vers le statut de personnes handicapées, comme si le problème venait de nous.
Il y a des pays où l’électrosensibilité est davantage reconnue : l’Allemagne, l’Angleterre, la Suisse, le Canada. Certains états, aux USA, ont refusé l’installation de compteurs intelligents et la 5G. La Suède, également, reconnaît cette pathologie comme un handicap à part entière. Mais où que ce soit, il n’y a pas vraiment de dispositif mis en place pour résoudre ce problème.
Propos recueillis par S.L.

Selon un rapport de l'agence sanitaire nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), en mars 2018, la souffrance exprimée par les personnes qui se déclarent électrosensibles "correspond à une réalité vécue" et justifie donc une prise en charge adaptée. Mais celui-ci conclut aussi que "rien ne prouve aujourd'hui la causalité entre ce syndrome controversé et l'exposition aux ondes électromagnétiques".

>> Pourtant, si la Science nie le lien de cause à effet, la Justice ne l'exclut plus : pour la première fois, le malaise d'un homme "diagnostiqué" électrosensible a été reconnu comme un accident du travail comme le relate Sciences et Avenir.


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