Dopage: Romain Bardet se pose des questions

Par Olivier Stevens , Mise à jour le 12/02/2022 à 08:00

Romain Bardet s’est livré sur le dopage et évoque des zones d’ombre autour de certains produits suspects. Selon le coureur altiligérien, qui court désormais pour l’équipe DSM, ces derniers polluent l’image du cyclisme mondial.

Le Brivadois ne se veut pas donneur de leçons pour autant mais s’interroge sur la manière dont les contrôles de lutte contre le dopage sont réalisés.

La roue de la suspicion se remet donc à tourner dans un sport au prise avec ce phénomène depuis ...plus d'un siècle. 

Romain Bardet, le deuxième du Tour de France 2017, a notamment regretté le trop peu de contrôles antidopages effectués au cours de l’année: "Ça ne m’avait pas étonné en 2020 avec le Covid qui avait tout chamboulé, mais là… Je n’ai pas l’omnipotence pour affirmer que c’est une tendance générale, peut-être qu’il y a des exceptions et je suis sûr que ces gens font bien leur travail en ciblant les coureurs qu’ils contrôlent, mais quand je vois qu’on est parfois quatre ou cinq équipes à loger dans le même hôtel pendant certains stages sans qu’on n’y soit jamais testés sur de longues périodes, je me dis qu’il y a encore du travail à faire ", confie le Brivadois . " On devrait être testés encore davantage selon moi, c’est indispensable pour assurer la propreté de notre sport."

Pour corroborer ces propos Amina Lanaya, directrice générale de l’Union Cycliste Internationale, a d’ailleurs récemment reconnu que certains coureurs étaient inquiets, n’hésitant pas à affirmer avoir l’impression "d’être revenus aux années Festina".

Récemment, c’est Jean-René Bernaudeau qui a confié son désarroi. "Aujourd’hui il y a des équipes, il suffit de mettre leur maillot pour être plus fort… », a-t-il lancé, pointant néanmoins essentiellement du doigt les cétones, ces composés organiques produits naturellement par le foie lorsque le corps humain, privé de glucide et en manque de carburant, va utiliser le gras pour nourrir les muscles et le cerveau. Des produits qui restent tolérés même si de nombreuses équipes militent pour leur interdiction."

Dopage: l'ironie du sport

Arthur Linton et sa strychnine, les Pélissier et leurs fioles sorties de leur valise devant Albert Londres, Merckx à Savone, Pollentier, Virenque, Landis, Vinokourov... En vérité, jamais depuis ses origines, le vélo ne fut transparent, conforme à un prétendu "idéal olympique". C'est une besogne souvent, une guerre parfois. En aucun cas, une hygiène de vie.

" On dit que Charly Gaul se charge. D'ailleurs, tous les coureurs se chargent. Ils sont bien forcés de faire comme tout le monde." Lorsqu'il énonça ces évidences en 1958, Marcel Ernzer se doutait-il qu'elles prendraient une valeur presque canonique ?

" De son sac, il sort une fiole : - Ça, c'est de la cocaïne pour les yeux, ça c'est du chloroforme pour les gencives... - Ça, dit Ville, vidant aussi sa musette, c'est de la pommade pour me chauffer les genoux. - Et des pilules ? Voulez-vous voir des pilules ? Tenez, voilà des pilules. Ils en sortent trois boîtes chacun. - Bref !, dit Francis, nous marchons à la "dynamite". Eh bien !, tout ça - et vous n'avez rien vu, attendez les Pyrénées, c'est le hard labour; - tout ça, nous l'encaissons... Ce que nous ne ferions pas faire à des mulets, nous le faisons. " Ces mots sont écrits par Albert Londres un soir d'étape à Coutances en... 1924. Tout le monde est prévenu.

Entre gloire et barbarie

Ecoutons Blondin : " Nul ne disconviendra que le dopage puisse être une pratique catastrophique, l'arme illusoire des plus faibles. A travers lui, alors que tout devrait s'affirmer dans une allégresse contagieuse - l'audace, le courage, la santé -, une planète révèle qu'elle possède aussi sa face d'ombre où tout se tait."

Et pourtant, il ajoute : "J'émets l'opinion personnelle qu'il y a, malgré tout, une certaine grandeur chez des êtres qui sont allés chercher dans on ne sait quel purgatoire le meilleur d'eux-mêmes. On a certes envie de leur dire qu'il ne fallait pas faire ça, mais on peut demeurer secrètement ému qu'ils l'aient fait. Du moins, se seront-ils une fois offerts aux acclamations et aux outrages pour que tourne le somptueux manège, ce concours permanent où ils se veulent élus."

Roland Barthes était plus radical : "Doper le coureur est aussi criminel, aussi sacrilège que de vouloir imiter Dieu; c'est lui voler le privilège de l'étincelle."

Pas du tout la position de Jacques Anquetil, cinq fois vainqueur du Tour de France, qui n'a jamais fait mystère de son attirance pour une "préparation optimale" : "Après tout, l'épreuve du dopage est identique à celle du froid, de la canicule, de la pluie ou de la montagne", affirme-t-il sans ambages.

Fernando Arrabal à la fin de l'ère Eddy Merckx stigmatise les "jeunes barbares d'aujourd'hui" et leurs transfusions... déjà !

Certains philosophes atypiques, spécialisés dans l'éthique du sport, ne s'en émeuvent pas outre mesure.

En 2000, Olivier Dazat, alors qu'Amstrong règne impérial sur le Tour et sème le doute sur ses performances, fait l'éloge de l'impureté et des déshonneurs des champions : " Les coureurs cyclistes sont désormais aussi menacés que les Indiens d'Amazonie. Un champion n'est pas un citoyen. Ils se dopent, et alors ? Se doper, chez eux, n'est pas tricher. Le haut niveau est dommageable par nature. Van Gogh a perdu une oreille, Artaud la raison, Balzac et Proust leur santé."

Comme si dans un pacte faustien assumé, le champion troquait un peu de sa jeunesse contre l'exercice mortifère d'un désir de gloire irrépressible .

Le dopage, c'est aussi le sport

Pourtant, pour certains observateurs très admiratifs des pratiques américaines, un palmarès se présente comme une énorme positivité indiscutable. Leur raisonnement ne dit rien de plus que "le premier arrivé est le meilleur, le meilleur est arrivé le premier." L'attitude qu'ils exigent par principe est cette acceptation passive : la valeur chronométrique et c'est tout. Et le "dopage" fait partie du sport.

Parfois, par dépit, certains esthètes répondent avec humour : "L 'idiotie et les performances spécieuses d'un Jan Ullrich doivent s'entendre dans un sens qui relève moins du sport que de l'art contemporain", écrit joliment Jean-Paul Ollivier dans "Jan Ullrich, une esthétique de la déception".

La clé de ces comportements parfois excessifs réside peut-être dans ces quelques mots de Rik van Steenbergen : " J'avais les larmes aux yeux quand les foules m'acclamaient. La gloire, c'est une drogue... pour avoir la belle vie. A n'importe quel prix."

C'est la face cachée des vieilles lunes sportives, avec ses vallées de la ruse et ses cratères du soupçon.

Et une façon athlétique de reculer les limites de sa prison.

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3 commentaires

dim 13/02/2022 - 22:35

Le vélo toujours soupçonné. Et les autres sports? Aux JO qui se déroulent actuellement les athlètes russes n’ont pas le droit de courir au nom de leur pays suite à la découverte d’une vaste entreprise de dopage mise à jour il y a quelques années, et ce matin que vois-je pour l’épreuve de relais de ski de fond ? L’équipe russe médaillée d’or loin devant la Norvège et la France. Sans commentaires....

dim 13/02/2022 - 08:12

Pauvre garçon,  il est bien naïf ou alors il le fait exprès. ..Dommage, car je pense qu'il peut faire un grand coureur. Bonne chance à lui .

sam 12/02/2022 - 21:20

Sans vouloir être méchant, j'avais complètement oublié ce coureur...