Des restaurateurs confinés nous racontent….(3)

Par Nadine Pleynet , Mise à jour le 06/05/2021 à 12:00

Troisième et dernier épisode avec Eric, propriétaire de la Brasserie Le Majestic au Puy.

 

 

 

Rencontré dans sa brasserie qu'il gère depuis très longtemps Eric nous a raconté cette période si particulière.

Quelles réactions ont été les vôtres , lors de l’annonce du premier confinement en mars 2020 ?

« Sincèrement une énorme angoisse. Complètement désemparé, je me suis demandé où on allait, pourquoi, comment, jusqu’à quand… Je ne savais plus où j’en étais, pas de réponse à la question : combien de temps ? c’est traumatisant on se sent d’une impuissance totale : attendre, subir . Le rideau est tombé, les employés partis, plus de clients, le silence… ».

Quelles décisions avez-vous prises dans les jours qui ont suivi ?

On sent que Eric a bien rebondi car il nous explique : « J’ai fait de gros investissements dans la brasserie, en l’occurrence l’installation de panneaux vitrés. J’ai pensé que si ce virus durerait, voyez , je ne croyais pas à une telle ampleur, il fallait que tout soit beau et clean en matière de protection de la clientèle. J’ai eu recours à une entreprise pour les travaux d’intérieur . On était tellement inquiets pour la suite, que j’ai mis tout en œuvre pour que ces aménagements tiennent la route ».

Vous avez eu un temps libre obligé d’un seul coup dont vous aviez perdu l’habitude, comment l’avez-vous occupé de façon plus personnelle ?

Une émotion mêlée à une profonde tristesse sont palpables chez ce restaurateur.

« Ma vie s’est arrêtée : comment allais- je faire pour continuer. J’ai d’abord été en confinement total, je me suis renfermé sur moi-même. Puis petit à petit, j’ai réagi, je me suis lancé dans l’aménagement de ma terrasse face au virus , avec des matériaux de récupération ;  mais même si on a aussi du temps libre obligé, je n’ai pas l’impression d’en avoir profité pour me reposer, tant l’inquiétude était présente. De plus les paperasses s’accumulaient, alors fallait bien s’en occuper ».

Comment s’est passée la saison entre les deux confinements de 2020 ?

La réponse de Eric est nette, il nous livre avec enthousiasme : «  Nous avons bien travaillé tant au niveau de notre clientèle habituelle que des touristes venus en masse au Puy. J’ai même du refuser du monde, c’est dire. Pour respecter les distances, nous avons établi un service à partir de 18h, pour étaler au mieux l’affluence. Je sentais les gens rassurés, il y avait une belle ambiance. C’était un goût de la vie d’avant, j’y croyais. Mon métier, ce n’est pas du virtuel, mon rôle c’est d’accueillir, écouter, aimer, un rôle plein d’humanité ».

Novembre 2020, c’est le reconfinement, quels sentiments avez-vous ressentis ?

« Il m’a semblé être plus serein. Le virus était moins mystérieux, les gestes barrière bien établis. Déjà avec les aides gouvernementales, je ne me suis pas senti abandonné. Le moral était meilleur, mais jamais je n’aurais pensé qu’il durerait aussi longtemps. Je pensais que cette fermeture serait une formalité de 2 à 3 semaines et qu’à Noël tout serait oublié. Voyez, du désarroi mais aussi de la confiance. Car vraiment j’ai cru que l’épidémie serait vite enrayée…la douche froide. Avec une dizaine d’employés au chômage, des frais qui courent implacables, une fermeture qui s’annonce sans fin, la preuve, voilà bientôt 7 mois que nous sommes tous à l’arrêt ».
 

Eric Dubois devant son bar restaurant fermé Photo par Nadine Pleynet

Quel regard portez-vous sur les mesures gouvernementales ?

Après un temps de réflexion, Eric nous fait une réponse claire : « Alors mon sentiment est que l’on a bien été aidés, c’est sûr. Mais pour mon cas, toute ma trésorerie est partie pour faire face, et j’imagine pour certains… Aujourd’hui, je n’ai plus d’avance, j’ai l’impression d’être reparti comme il y a quelques années, à mes débuts. De plus, grandes ou petites structures ont eu les mêmes aides sans distinction, je ne trouve pas cela très normal… »

Eric est bien disposé à parler de la réouverture. Il déplore cependant la non-fermeture de certains établissements publics où près de 100 couverts par jour ont été servis. Comme il le dit :

 «  Le covid frappe en effet toute classe sociale sans faire de différence… pour ce qui est donc de la réouverture, il ne faut pas la rater, sinon c’est la catastrophe. Si elle est trop réglementée, en terrasse uniquement par exemple, on finit de se tuer. Il vaudrait mieux rester fermé un peu plus et rouvrir complètement. Mais ça apparemment ce n’est pas possible ».  Eric semble amer :
« Il faudrait inviter les personnes décisionnaires de ces mesures et leur faire entendre que leurs mesures ne sont pas adaptées. Ces gens imaginent notre travail, mais n’en comprennent pas le réel fonctionnement. N’oublions pas que c’est le virus qui commande et personne d’autre. C’est nous qui devons apprendre à vivre avec et non l’inverse, notre pays est une énorme entreprise à gérer ! ».

L’avenir du métier : rose ou pas rose, comment le voyez-vous ?

Prenant le temps de réfléchir à l’importance de cette question, Eric commente : « L’avenir de ce  métier était déjà compromis avant la crise actuelle. La restauration a toujours eu un peu mauvaise réputation quant aux conditions de travail. Mais pas dans tous les cas, fort heureusement. Comme partout, il y a du bon et du moins bon ; pour ma part dans mon établissement, il n’y a pas de semaine de 60 h, un vrai roulement est établi afin que chacun n’ait pas à faire plusieurs soirs, midis et tous les jours ».

Eric se tient à une certaine philosophie du métier : « On dit que notre métier est dur, mais regardez les ouvriers du bâtiment, pour ne citer qu’eux, dehors par tous les temps à porter de lourdes charges ; de plus la restauration est un peu nécessaire au bien-être de la population, quand je vois tous les témoignages de personnes qui se languissent de nos réouvertures, tout est dit. Je ne vois pas un bel avenir de ce métier cependant, il n’y a pas assez de personnel qualifié car pas assez de CAP disponibles, il manque du monde dans ce secteur.
Dans notre profession, c’est recruter donc et gérer le personnel le plus difficile ; ce n’est pas de l’industrie, il faut bien sûr un patron qui dirige, ce n’est pas du financier mais de l’humain ».

Pour terminer : optimisme ou pas ?

«  Oui je le suis, j’aime mon travail et je pense qu’avec les vaccins on va s’en sortir. On a mis en place très rapidement les différents vaccins et cela me semble très positif, d’où mon optimisme malgré tout. Beaucoup de gens critique cette rapidité, mais si rien n’avait été fait, les critiques auraient été encore plus nombreuses, croyez-moi. C’est la seule solution pour juguler l’épidémie et revenir à une vie normale, s’en sortir quoi ! J’entends trop : je ne veux pas être vacciné, je ne veux pas être confiné, alors quoi ? J’aimerais pouvoir dire qu’en septembre, le pire sera derrière nous, mais plus raisonnablement la liberté pour la fin d’année j’y crois ».

 « On reste fragilisé moralement et financièrement, bien sûr, mais il faut être un peu guerrier dans la vie : gagner ou perdre il faut se battre et arrêter de se lamenter ».

Notre série de trois portraits se termine sur ces notes d’espoir. Tous ont bien voulu nous livrer leurs profonds ressentis, ces témoignages vibrants d’amour du métier de restaurateur. Ils croient tous en une équipe soudée et humaine pour recevoir à nouveau leur clientèle, pour que le plaisir  de  se retrouver, redeviennent des purs moments de bonheur, ensemble.

 

                                                                                   Propos recueillis par Nadine Pleynet

 

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Vos commentaires

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1 commentaire

jeu 06/05/2021 - 14:30

merci pour ce très beau témoignage, optimiste et plein de bon sens