Des restaurateurs confinés nous racontent….(1)

Par Nadine Pleynet , Mise à jour le 04/05/2021 à 12:00

Zoomdici est allé à la rencontre de trois restaurateurs, aujourd'hui premier épisode avec Béatrice et Laurent du restaurant l’Ermitage à Espaly, qui ont bien voulu nous ouvrir leur porte et leurs cœurs pour un échange à bâtons rompus.
Entre espoir et désarroi, ils se livrent sans fards.

Quelles réactions ont été les vôtres, lors de l’annonce du premier confinement en mars 2020 ?

Laurent confie : «  Ce fut un coup de massue. Nous avons été privés en quelques heures de notre outil de travail. L’incrédulité face à cette injonction de fermer brutalement nous a blessés.  D’un seul coup on avait l’impression de n’être plus rien, de ne servir à rien. On n’a rien compris. On a presque cru à un gag, puis la vérité a éclaté. Fermer, le mot était lâché, et en plus on ne savait pas combien de temps. De ne pas savoir a été un coup final ».

Béatrice renchérit : «  De voir nos portes se fermer, les clients partis, les employés renvoyés à leur foyer, la salle vide, la terrasse silencieuse, je n’oublierais jamais. C’est traumatisant ».

Quelles décisions avez-vous prises dans les jours qui ont suivi ?

Béatrice et Laurent, de concert : « On s’est immédiatement lancés dans la rénovation de nos cuisines pour occuper ce vide profond et soudain. Il fallait combler, ne pas sombrer. Puis on a beaucoup réfléchi à la façon d’acheter nos produits et de travailler encore plus localement en ne proposant que des produits frais ».

Laurent appuie en souriant : «  quand j’ai 4 souris d’agneau à proposer, c’est 4 et pas 10 ! Dans le même esprit , nous avons adhéré à Ecotable pour tout ce qui se rapporte au recyclage et à la fourniture des produits ménagers . Ce fut une prise de conscience encore plus grande du sain, du bio. Dans un autre registre, nous avons équipé la terrasse de leds ».

Vous avez eu un temps libre obligé d’un seul coup dont vous aviez peut-être perdu l’habitude, comment l’avez-vous occupé de façon plus personnelle ?

Béatrice explique : «  Nous avons goûté aux joies de la famille retrouvée en quelque sorte. Même si parfois, il y a eu des moments très durs ; notre moral en avait pris un sacré coup et les humeurs de chacun s’en sont ressenties ».

Laurent se met au diapason : « Eh oui,  on perd un peu l’habitude de se côtoyer d’une façon plus proche quand on exerce ce métier, alors il faut faire face à cette situation un peu …inédite, mais nos enfants ont bien apprécié. Nous avons gardé sans cesse à l’esprit cette phrase : restons optimistes à tout prix. Ceci dit on a eu le temps de recadrer nos priorités pour l’avenir, à savoir, préserver la qualité de notre vie privée. Vous voyez, du positif en est sorti de ce fléau ».

Comment s’est passée la saison entre les deux confinements de 2020 ?

Béatrice et Laurent sont unanimes : «  Une saison excellente qui nous a mis du baume au cœur. Déjà certains clients nous avaient envoyé leur soutien par écrit et nous les en remercions chaleureusement. Les touristes sont revenus en masse, et les fidèles ont retrouvé leurs habitudes. Je crois qu’ils en avaient eu tellement marre de cuisiner chez eux, qu’ils appréciaient enfin de se faire servir. L’ambiance était joyeuse, tout le monde pensait que le plus dur était derrière nous. La plupart des gens avait eu le temps de cogiter et de se dire que cuisiner n’est pas toujours si facile. Un protocole sanitaire strict a rassuré notre clientèle : 30 à 35 couverts maxi, bien espacés, des employés masqués, du gel à disposition, pas de menu à toucher et des bouteilles servies par le client lui-même, tout était sous contrôle.

Financièrement ce fut une bénédiction, car on continue à nourrir, pour parler ainsi, toute une population de fournisseurs, des assurances aux loyers, sans l’ombre d’une réduction ».

Béatrice et Laurent restaurant L'ermitage Photo par Nadine Pleynet

Novembre 2020 c’est le reconfinement, quels sentiments avez-vous ressentis ?

Notre couple de restaurateurs est alors submergé par l’émotion.

« Un nouveau coup dur, rapide, implacable. On s’est mis à douter, à ne pas comprendre sur quoi se basaient les mesures prises par le gouvernement. Surtout, jamais on n’aurait pensé que ce serait aussi long. Là vraiment on s’est sentis au bout du rouleau, abandonnés. Pourquoi, comment, que faire ? Comme si tout ce que l’avait essayé pour faire face à cette situation s’écroulait, n’avait servi à rien ».

Laurent ne baisse pas les bras : «  Quand on a vu les semaines s’écouler, on a bien un peu craqué, mais bon on a rebondi à Noël puis en février et à Pâques en proposant des plats à emporter ; et la clientèle a joué le jeu, on a retrouvé l’ambiance de restaurant qui nous manque tant, et cela nous a permis de nous réjouir au milieu de ce marasme, de tenir un peu mieux ».

Quel regard portez-vous sur les mesures gouvernementales ?

Laurent confie : « L’état fait des efforts. Le problème c’est qu’il alloue la même aide pour toutes les structures, petites ou grandes. C’est incompréhensible, car chaque établissement n’a pas les mêmes besoins. Au cas par cas aurait été justifié et mieux approprié . Pour les employés, c’est bien qu’ils puissent bénéficier des aides du chômage, leur situation étant bien souvent précaire, également, sans oublier le traumatisme de ne plus avoir de travail ».

L’avenir du métier : rose ou pas rose, comment le voyez-vous ?

Béatrice et Laurent sont d’accord : « Nous sommes inquiets quant à la motivation des demandeurs d’emploi dans notre branche. Ils se focalisent beaucoup sur les horaires, le travail debout et la gestion de la sympathie parfois aléatoire des clients ; on sent bien une lassitude grandissante  à l’égard de ce métier, qui pourtant réserve de belles opportunités. Et puis quel métier se trouve exempt d’obligations ?  L’addiction aux portables est préoccupante, envahissante et distrayante, mais on n’est pas là pour faire le gendarme.

Le fait d’être resté un temps aussi long sans horaires, dans un certain désœuvrement, contribue à ne pas trop vouloir replonger dans ce bain ».

Pour terminer, optimisme ou pas ?

Nos deux restaurateurs, ensemble : « Le vaccin est l’espoir de retrouver une vie normale. Mais ce ne sera plus jamais comme avant. D’autres choses, d’autres façons de vivre, d’autres mentalités vont se profiler. Ce sera compliqué mais la vie reprendra ses droits.

Nous espérons que la réouverture promise sera totale, en salle et en terrasse, car on ne peut pas se permettre de rouvrir à moitié, comme il nous l’est suggéré, et rappeler notre équipe pour si peu. Le métier de restaurateur demande beaucoup de mise en route, tant au niveau des cuisines et du service. En tant que patron, on paie cher notre liberté, mais c’est notre métier et on l’aime passionnément ».

 

                                                                       Propos recueillis par Nadine Pleynet

 

 

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