Confinement : Les intermittents à l'ombre des projecteurs

mar 28/04/2020 - 19:39 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:04

Trois Altiligériens, trois intermittents du spectacle de longue date et trois spécialités différentes. Mais une même crainte quant à leur devenir. Les propos de Ludovic Charrasse, éclairagiste et régisseur lumière, de Lionel Alès, metteur en scène, comédien et enseignant, et de Rémi Peyrache, guitariste-chanteur, dépeignent le "Jour d'après" avec une grave et profonde appréhension. "Le confinement met à l'arrêt toutes les professions du Spectacle Vivant, souligne Lionel Alès. Une sortie de confinement le 11 mai ne nous concerne pas, au mieux pourrons-nous reprendre le 15 juillet selon Emmanuel Macron dans certaines conditions. Lesquelles ? Nous l'ignorons. Le respect des gestes barrières est incompatible avec un concert ou une représentation de théâtre. Nous sommes dans l'inconnu et beaucoup de manifestations culturelles sont annulées en France. En Haute-Loire, les annulations sont aussi de mises comme celles des festivals Nuits de Rêves ou Interfolk, celle des fêtes médiévales d'Allègre et bien d'autres encore".

----Des contrats entrecoupés d'assurance chômage
L'intermittence est un régime spécifique créé en 1936 qui permet une embauche de très courte durée et pouvant se renouveler sans limite durant plusieurs années. Contrairement à la grande majorité des salariés pour qui le recours au Contrat à Durée Déterminé est limité par la loi, il est pour les intermittents l'usage permanent. Leurs emplois sont, par nature, discontinus et les employeurs multiples. Entre deux contrats, comme n’importe quel salarié, ils sont indemnisés par l'assurance-chômage.-----Des cachets définitivement perdus
180 pour Rémi Peyrache, 181 pour Lionel Alès, et 233 pour Ludovic Charrasse. Ce sont les heures rémunérées que les trois artistes ont déjà perdues en raison du confinement. Pour espérer détenir le statut d'intermittent, il faut un minimum de 43 cachets (représentations) ou 507 heures (répétitions) comptabilisés sur une année pour ouvrir des droits à l'assurance-chômage. "On va perdre énormément d'heures pour cette année, se désole Ludovic Charrasse. Même si les spectacles sont reportés, ces heures-là ne compteront pas sur l’exercice en cours. Ce sont des heures que l’on ne peut pas comptabiliser avant notre renouvellement. Certains intermittents comme moi n’auront pas leurs 507 heures à leur date anniversaire. Sans cette crise, j'aurais validé facilement mon statut." Rémi Peyrache ajoute : "Beaucoup d’intermittents dans mon entourage sont en grand danger et j’en fais partie. J’ai du mal à imaginer qu’on puisse empêcher quelqu’un de travailler et ensuite lui couper les vivres".

Des milliers d'intermittents risquent de perdre leurs ressources
Au vu de leur impossibilité à travailler, la logique serait alors que le Gouvernement allonge la date anniversaire de chaque statut d'autant que dure le confinement pour les intermittents. "Ce ne sera pas le cas, déplore Ludovic Charrasse. Depuis le début des restrictions sanitaires, les seuls qui ont droit au report sont ceux qui renouvellent pendant le temps du confinement. Ceux qui renouvellent après le confinement ne sont donc pas concernés par cet allongement de droit de report." Ce qui est un non sens total étant donné que le confinement empêche les artistes de cumuler des heures, faute de représentations. Les conséquences en seront une importante carence de cachets avant la date anniversaire de chacun, provoquant ainsi la perte du statut. "Des discussions sont tout de même en cours au niveau du ministère de la Culture, nuance Lionel Alès. Mais beaucoup de choses se décideront entre les partenaires sociaux. Et au vu des positions actuelles du Medef, nous pouvons être inquiets".

----Les intermittents en France :
-274 000 intermittents (en 2018)
-Progression d'environ d'1% chaque année
-Temps de travail global : 97.1 millions d'heures
-1 sur 2 réside en Île de france
-2 sur 3 sont des hommes
-Age moyen 39 ans
-Environ 61% exercent un métier artistique, le reste sont des techniciens
-En moyenne, un intermittent effectue 16 contrats par an.
-8.5% effectuent plus de 50 contrats par an
-Seuls 40% des intermittents atteignent le seuil des 507 heures-----Un flou artistique total pour les intermittents
À la question de savoir quelles seraient les solutions pour qu'eux et les 274 000 intermittents en France espèrent un dénouement positif, les trois personnages proposent un scénario commun. "Il faudrait geler la période du confinement et décaler d’autant nos dossiers en cours, insiste Rémi Peyrache. Mais il faudrait décaler jusqu’à ce que les structures qui nous font jouer comme les bars, les salles de spectacle, les festivals ou les mairies puissent à nouveau organiser des rencontres culturelles sans contraintes sanitaires. Cette date est inconnue pour nous." Même son de cloche pour Ludovic Charrasse : "La seule solution, que refuse encore l’Etat, c’est le renouvellement automatique de tous ceux qui n’auraient pas leurs 507 heures à leur date anniversaire au même taux que l’année précédente. Pour l’instant ce n'est pas la direction prise par le ministère".

"Quoi de mieux qu'un bon spectacle ou un bon concert pour nous retrouver ?"
Malgré l'abîme qui se dresse devant la profession où d'aucun n'en voit encore les bords, Lionel Alès veut rappeler la substance qui constitue l'âme des artistes. "Nous n'allons pas disparaître mais des jours sombres se profilent. Cependant la solidarité interprofessionnelle comme la solidarité tout court seront plus que nécessaire. Je me plais à le répéter, nous faisons du spectacle vivant. Or cette dimension "vivante" qui aujourd'hui nous empêche d'exercer nos métiers sera demain notre chance pour relever la tête. Le confinement a révélé notre besoin d'altérité, le manque de l'autre est fort, plus que jamais nous avons l'aspiration d'être ensemble, de faire communauté. Et quoi de mieux qu'un bon spectacle ou un bon concert pour nous retrouver, le jour de la victoire sur le covid-19 ?"

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