Attentats terroristes : comment expliquer l'inexplicable aux élèves de Haute-Loire ?

, Mise à jour le 27/11/2020 à 08:32

Il serait inutile et contre-productif d'essayer de cacher la vérité aux enfants, dans l'espoir de les préserver. Les attentats à Charlie Hebdo, à Montrouge, à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes et à l'imprimerie de Dammartin-en-Goële tournent en boucle dans les médias. Ils sont dans toutes les têtes et dans dans la plupart des conversations. "Ma fille de trois ans est revenue de l'école en chantant 'Lichar Lichar Lichar' mardi, raconte cette jeune mère de Vals près Le Puy, comme quoi, les enfants même les plus jeunes en entendent parler".
Il paraît bien évident qu'aborder ce type d'événements auprès des élèves n'est pas une chose aisée. Entre un élève de maternelle et de terminale, les moyens et les attentes ne sont pas les mêmes. C'est pourquoi nous avons sollicité le corps enseignant de trois établissements, public et privé : l'école élémentaire Saint-Joseph Paradis d'Espaly-Saint-Marcel, le collège de Corsac à Brives-Charensac et le lycée Léonard de Vinci à Monistrol-sur-Loire.

"Ils ont surtout retenu la vidéo montrant le policier abattu au sol"
Cathy Rochette est enseignante en grande section et en CP à l'école élémentaire Saint-Joseph Paradis d'Espaly. "Dès le lendemain de la tuerie, nous nous sommes réunis le matin et des enfants ont abordé le sujet car ils avaient vu la veille des images à la télévision. Ils ont surtout retenu la vidéo montrant le policier abattu au sol", relate-t-elle, tout en confessant la difficulté d'expliquer le pourquoi de cette tuerie, alors que les enfants ne connaissaient pas ce journal.
"J'ai dû leur expliquer ce que montraient et faisaient les gens qui y travaillaient et pourquoi on avait tiré sur eux", explique-t-elle, avant qu'elle ne lance un débat sur la question : a-t-on le droit de tuer pour des dessins, pour des paroles ?

Dans la cour de récré, "il a fallu recadrer" les jeux de bagarre
"Ce qui les a particulièrement touchés", poursuit-elle, "c'est le fait que tous ces gens morts étaient sûrement des papas et des mamans ou des papis et là, ils ont réalisé que des enfants pleuraient". La question de la religion a également été abordée, "mais cette année nous n'avons pas de musulmans et les enfants ont du mal à comprendre qu'il existe d'autres religions".
Il est vrai qu'ils sont encore petits, et certains mimaient l'utilisation d'une kalachnikov, surtout les garçons. "Le jeu en récréation était basé sur la bagarre en mimant des armes et il a fallu recadrer", souligne-t-elle. Enfin, "nous avons tous fait la minute de silence, de la petite section au CM2 et personne n'a refusé de s'y associer".

----Toujours au collège de Corsac, Fabienne Besse, professeur de Français, a également abordé la notion d'amalgame : "les élèves demandaient des explications sur l'Islam. On a donc parlé des messages de tolérance et de paix portés par les religions, pour que les élèves fassent la distinction entre la religion musulmane et le message de haine porté par ces terroristes. Nous avons donc pu échanger sur les conséquences que ces attentats pouvaient avoir : le repli sur soi, la peur envers tous, le développement de la haine contre une communauté, une religion. Mais finalement, le débat a permis aux élèves de s'exprimer et de faire la différence entre le message de haine de ces attentats et le message porté par l'Islam".
-----"J'ai bien veillé dans les débat à ne jamais associer les mots terroristes et musulmans"
Au collège de Corsac, à Brives-Charensac, Claire Bertrand, professeur d'anglais, a l'habitude de débuter son cours avec les "news of the day". Cette partie du cours a pris ce jour-là plus de temps que d'habitude. "Les élèves ont exprimé très simplement ce qu'ils savaient de l'attaque de Charlie, du meurtre de la policière, et de la prise d'otages", se remémore-t-elle, "certains étaient très au courant, preuve qu'ils sont très connectés à l'actualité, même si tout se téléscopait un peu : certains pensaient par exemple que le journal s'appelait "Je suis Charlie", ou que les prises d'otages de vendredi se passait à Charlie Hebdo".
Si un malaise certain était palpable et que tous s'accordent à dire que "ça fait peur", ils n'ont pas non plus basculé dans une angoisse extrême. Quant aux risques d'amalgames, elle précise : "j'ai bien veillé dans les débat à ne jamais associer les mots terroristes et musulmans, et j'ai inscrit parmi le vocabulaire appris, les mots "muslims" et "peaceful" côte à côte au tableau".

"L'espoir que les jeunes peuvent préparer un monde plus fraternel"
Cette professeur d'anglais se rend compte que "leur vision de l'actualité est bien souvent limitée aux informations régionales et aux faits divers. C'est aussi notre rôle de professeur de langue d'ouvrir l'horizon de nos élèves", ajoute-t-elle. Le collège de Corsac participe au projet Comenius, qui réunit des jeunes de six pays d'Europe et "nous avons d'ailleurs reçu des messages de tous nos partenaires européens qui nous affirmaient leur soutien".
Convaincue qu'il faut privilégier l'ouverture culturelle des jeunes et la fraternisation entre les nations, elle souligne : "la réaction de mes élèves, sans aucune stigmatisation ni réaction extrême, et leur motivation pour accueillir ces jeunes Européens et pouvoir déjà commencer à dialoguer avec eux, m'a conforté dans l'espoir que les jeunes pouvaient préparer un monde plus fraternel".

Des initiatives des élèves et des premières lectures de Charlie
D'une manière plus générale, le collège a réagi positivement et des actions ont été mises en place spontanément à la fois par les élèves et les enseignants. Une exposition a ainsi été installée au CDI sur ces événements, avec le portrait des victimes, les valeurs de la République, les réactions dans la presse et dans le monde... Les mots "je suis Charlie" écrits en plusieurs langues ont également été affichés dans le hall.
A la suite d'un travail en éducation civique, un mur d'expression a été mis en place à l'initiative d'élèves de troisième, et dont tous, adultes et jeunes, se sont emparés avec respect, pour un moment de recueillement observé largement, ponctué de questionnements légitimes et constructifs de la part des plus jeunes. Ce mercredi matin, les élèves étaient heureux et reconnaissants que le CDI du collège se soit, non sans mal, procuré le nouveau numéro de Charlie Hebdo et ils l'ont lu, pour la première fois pour la plupart d'entre eux.

Une caricature représentant une arme faite de gomme, crayons et feutres...
Au lycée Léonard de Vinci, à Monistrol-sur-Loire, Karina Perez, professeur d'espagnol, a procédé à la projection d'une caricature espagnole représentant une arme faite de gomme, crayons et feutres... Le slogan était : "camarades prenons les armes". Elle a ensuite laissé les élèves commenter l'image comme ils ont l'habitude de le faire en cours de langue. "Ensuite, nous avons élucidé le sens, les raisons de cette affiche", observe-t-elle, "puis je leur ai proposé de créer la prochaine UNE du journal Charlie Hebdo en espagnol, et nous afficherons les meilleures au lycée".
Outre la minute de silence observée dans l'établissement, il y a eu une marche silencieuse l'après-midi, qui s'est achevée devant le monument aux morts et plusieurs minutes de silence ont été observées, tout en brandissant des crayons. "Les rassemblements humains me semblent être par essence porteurs d'espoirs", commente-t-elle.

"Le défaut de la caricature c’est qu’elle ne peut pas être comprise par les cons"
Antonin Schutz est professeur d’Histoire-Géographie, lui aussi au lycée Léonard de Vinci à Monistrol-sur-Loire. Il est revenu avec ses élèves sur la notion de caricature : "là où eux ne voyaient que l’aspect choquant et provocateur, j’ai dû insister sur l’aspect très complexe de ces ‘dessins’ en leur rappelant d’ailleurs que ce type de document se fait de plus en plus rare dans les épreuves du baccalauréat, car il fait appel à des notions tel que le second degré, le décalage, l’ironie. Ils nécessitent, contrairement aux apparences, une solide culture générale et surtout un véritable esprit critique. Nous en avons conclu non sans humour que le défaut de la caricature c’est qu’elle ne peut pas être comprise par les cons".
Dans le cadre de son cours d’ECJS (éducation civique juridique et sociale), il a été relu par un élève l’article XI de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : "c’est l'une des rares fois que les élèves réalisent qu’un texte d’histoire, de plus de 200 ans, ce qui signifie la préhistoire pour eux", ironise-t-il, "faisait sens dans leur quotidien".

"Un ‘selfie’ avec une pancarte n’a de sens que s'ils tâchent « d’être Charlie » au quotidien"
Ce professeur d'Histoire-Géographie estime qu'il a été "très facile d’aborder ce sujet car les élèves étaient très demandeurs" et il tient à souligner sa "fierté face à l’ampleur de leur mobilisation qui s’inscrivait dans un mouvement national", tout en précisant qu’il faut "se méfier de la récupération politique possible et qu’un ‘selfie’ avec une pancarte n’a de sens que s'ils tâchent « d’être Charlie » au quotidien et à long terme".
Enfin, il les a invités à se pencher sur l’œuvre de ces caricaturistes et il a rappelé "la différence fondamentale, et acquise par l’ensemble des élèves je pense, entre Islam et islamisme". Il conclut sur une note d'espoir : "il convient de faire en sorte que cette tragédie soit un mal pour un bien, avec une France fraternelle, multiculturelle et forte dans l'épreuve".


Maxime Pitavy

  • Ce mercredi, la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a révélé qu'une centaine d'incidents en faveur des terroristes avaient été relevés dans les établissements scolaires en France lors de la minute de silence de jeudi dernier, ainsi qu'une autre centaine dans les jours qui ont suivi, dont 40 ont été transmis aux services de police et justice.

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