Le Puy : les tanneries changent de dirigeant, et ça ne sent pas très bon

jeu 19/06/2014 - 17:18 , Mise à jour le 19/06/2014 à 17:18

Nous aurait-on menti ? Deux ans et demi après le rachat des Tanneries du Puy par la famille Descours (EPI), le président de la société, Denis Lemercier, annonçait une hausse de 30% du chiffre d’affaires avec un bond de 20 à 26 millions d’euros en un an. “On est en bonne voie même s'il faudra plusieurs années pour redresser cette entreprise et retrouver des bénéfices à un niveau satisfaisant”, assurait-il en novembre.

Il n’aura pas eu le temps de faire ses preuves : le 15 mai, les propriétaires lui ont montré la porte, ont racheté ses parts et les ont vendues à Daniel Lebard, un proche des Descours. L’entreprise refuse pour l’instant de confirmer notre information et Daniel Lebard, contacté, n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Les salariés ont tout lieu d’être inquiets, car ce dernier est réputé pour faire le “sale boulot”, à savoir restructurer une entreprise… ou la fermer.

Un repreneur de 74 ans qui collectionne les titres de PDG
"Je viens rendre service à un ami. […] Je ferai le point à la fin de l’année." Ces mots, c’est Daniel Lebard, qui les aurait prononcés lors de sa venue aux Tanneries du Puy, il y a quelques semaines, selon l’une de nos sources internes. Son arrivée n’est pas un bon signe pour l’entreprise de Haute-Loire. "Redresseur d’affaires", "liquidateur intelligent" : les formules ne manquent pas pour décrire Daniel Lebard. Le passé du chef d’entreprise parle pour lui : après une longue carrière dans la chimie et la distribution, notamment chez Michelin, Lebard s'est spécialisé à partir des années 1980 dans l'intérim de luxe, à savoir "présider pendant une courte période des entreprises, juste le temps de les restructurer, ou les fermer", écrit Nicolas Cori de Libération en 2005. À 74 ans, il collectionne les titres de PDG.

Daniel Lebard, « plus redoutable » que Bernard Tapie
Les sociétés Radar (reprise par Lebard en 1984), Primistère (1988), Disco (1994) ou encore Félix Potin (1995) ont toutes connu de lourds plans de restructuration peu après son arrivée. Pire : certaines ont mis la clef sous la porte. "Je suis là en tant que gestionnaire, pour éviter le gâchis", glissait-il aux salariés de Félix Potin à son arrivée comme directeur opérationnel, le 13 mars 1995 (Libération, 14 mars 1995). Le 22 décembre de cette même année, neuf mois après son arrivée, l’enseigne était mise en liquidation judiciaire. "Moins célèbre que Tapie mais probablement beaucoup plus redoutable", écrivait à son sujet Bruno Abescat du Nouvel Observateur, en 1986, après que Lebard a racheté la majorité de Nasa Electronique avant de revendre… une semaine plus tard.

Un spécialiste des entreprises en déroute pour accompagner Lebard
Du côté de la mairie, c’est l’apathie. Laurent Wauquiez nous renvoie vers Pierre Robert, adjoint au maire chargé de la Qualité de vie, lequel n’a pas rencontré le nouveau président des tanneries mais a confirmé son arrivée et même apporté un nouvel élément : le 24 juin prochain, Lebard n’arrivera pas seul. Un certain Jean-Luc Ferlicchi prendra les fonctions de directeur général. Contacté, ce dernier n’a pas souhaité confirmer l’information. Spécialiste "en restructuration et redressement de sociétés en difficulté" (selon son propre profil Linkedin), Jean-Luc Ferlicchi est ce qu’on appelle un manager de transition. En 2003, Michel Revol du Point dédiait un article à ces "intermittents du management" qui sautent d’une entreprise à une autre, article dans lequel figure le nom de Ferlicchi. En d’autres termes, des hommes de la dernière chance.

Pourquoi les tanneries n’y arrivent pas ?
Dans l’entreprise, c’est la douche froide. Avec l’arrivée de Lemercier, le nombre de peaux traitées était passé de 700 à un millier par jour. Après une première vague d'investissements de près d’un million d'euros, l'entreprise en annonçait même une seconde, évaluée à 2,5 millions d'euros, d’ici le début de l’année 2015. Autant de raisons qui poussaient à croire au regain de forme de la société, d’autant plus que l’hexagone est le premier producteur mondial des cuirs finis de veau. Grâce au savoir-faire "Made in France", le cuir français ne connaît pas la crise : le chiffre d’affaires des acteurs de cette filière est en progression depuis 2012. Au bout de la chaîne, les marques de maroquinerie de luxe doivent satisfaire une demande en plein boom. Hermès, Louis Vuitton ou Cartier, clients des tanneries ponotes, exigent des peaux haut de gamme. Les Tanneries du Puy sont confrontées à un handicap majeur : "Depuis 2012, la filière fait face à des difficultés d’approvisionnement en peaux de veau en raison de la baisse de la consommation de viande (-4 % par an) et a pour conséquence l’augmentation des prix des peaux brutes", explique Aurélie Matharam du Conseil national du cuir. En outre, la société a du mal à valoriser son cuir de moyenne qualité et à le vendre. Et quand l’on sait que sur les 800 000 peaux transformées chaque année en France, seuls 10% sont convoités par les maisons de luxe, on imagine qu’il leur reste beaucoup de cuir sur les bras.

Huit millions et demi d’euros de perte en 2013
Pendant ce temps là, les pertes s’accumulent : des sources syndicales internes à l’entreprise indiquent que les Tanneries du Puy auraient perdu huit millions et demi d’euros en 2013. L’entreprise ponote accuserait un déficit de trois millions d’euros sur les six premiers mois de l’année 2014. Des résultats en berne qui inquiètent les 121 salariés. "Ils sont perdus, ils ont tous peur", insiste une source interne. Et personne ne peut vraiment les rassurer : depuis l’éviction de Denis Lemercier, parti "du jour au lendemain" il y a un mois et demi, l’entreprise se retrouve sans réel dirigeant. En attendant l’arrivée du redouté Daniel Lebard, plusieurs consultants remplacent la direction et Denis Lebret, directeur général chargé de mission depuis deux ans, a mis la casquette de gestionnaire.

Une lueur d’espoir demeure : Pierre Robert croit savoir qu’un "technicien italien" arrive pour remplacer Éric Degache, directeur industriel des tanneries dont le contrat a été rompu “de manière conventionnelle”. Pourquoi aller chercher un technicien étranger ? "Les Italiens sont plus inventifs que nous pour valoriser ce qui est difficile à vendre", se rassure l’adjoint au maire. La famille Descours n’a pas encore tout à fait abandonné le navire.

Sollicités à plusieurs reprises, Denis Lemercier et la famille Descours (EPI) n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

E.G. et A.L.

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