Décès du formateur forestier : quid des responsabilités ?

, Mise à jour le 27/11/2020 à 08:47

Le jeudi 22 septembre 2016, peu avant midi, un groupe d'élèves du lycée forestier de Saugues était affairé dans les bois au lieu-dit Chirac, sur la commune de Chanteuges, dans le Langeadois. Lorsqu'un élève de 22 ans a coupé un pin maritime haut de 29 mètres à la tronçonneuse, le professeur se trouvait à 22 mètres de là. Le tronc d'arbre s'est effondré sur lui. Malgré les efforts du Samu et des pompiers, l'homme de 34 ans n'a pas pu être ranimé. Une enquête pour homicide involontaire a été ouverte après cet accident mortel du travail.
L'affaire avait déjà été renvoyée une première fois au printemps, rebelote ce mardi 29 août 2017, alors que "le prévenu et les parties civiles ont des intérêts communs", estime l'avocat de l'élève. Le tribunal du Puy a validé le renvoi au 16 janvier 2018 (un complément d'information a été ordonné), "même si le dossier ne sera probablement pas encore en état d'être jugé", a ajouté le Président André-Frédéric Delay.

----L'un des métiers les plus dangereux de France
Le secteur du bûcheronnage et des travaux forestiers demeure l'un des plus accidentogènes en France, avec en moyenne 76 accidents avec arrêt de travail supérieur à un jour, survenus au cours d'une période de 12 mois par million d'heures de travail, largement supérieur au BTP (taux de 42) et du régime général (22,9).

-----Quelle responsabilité de l'établissement scolaire, du Ministère de l'Agriculture et de la Région ?
Pour l'instant, seul le stagiaire était poursuivi dans le dossier et les syndicats CGT Agri et SNETAP-FSU, réunis place du Clauzel mardi midi, interrogent la responsabilité de l'employeur, en déposant plainte contre le Ministère Public (l'enquête déterminera la responsabilité de l'établissement scolaire, du Ministère de l'Agriculture et de la Région). La direction de l'établissement est d'ores et déjà citée à comparaître.
Les conditions de sécurité étaient-elles remplies ? Pour y répondre, les syndicats vont donc saisir le juge d'instruction pour demander un approfondissement de l'enquête, qui avait été confiée aux services de gendarmerie. Une enquête jugée "succincte" par certaines sources proches du dossier. La responsabilité du chef d'établissement pourrait ainsi être mise en cause.

Un manque de moyens financiers, et donc humains ?
Thomas Vaucouleur est co-secrétaire général de la CGT des agents du ministère de l'agriculture. Il est également enseignant et formateur forestier.
Le principal problème dans cette affaire, c'est le manque de moyens financiers, et donc humains ? C'est donc le ministère de l'agriculture et les régions qui n'alignent pas les moyens requis ?  

"Il y a forcément une responsabilité de l'employeur"
Les syndicats CGT Agri et SNETAP-FSU refusaient de "renvoyer dos à dos le stagiaire qui a abattu l'arbre et le collègue décédé". Selon eux, "il y a forcément une responsabilité de l'employeur", en l'occurrence l'établissement public local de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) de Brioude Bonnefont Saugues, dont dépend le centre de formation professionnelle forestier de Saugues.
Elles ont donc demandé un complément d'enquête car "nous savons qu'il y a eu des manquements en termes de prévention des risques et d'organisation du travail". D'après les syndicats, "de nombreux éléments démontrent la faute inexcusable de l'employeur".

Pas question de tirer sur l'ambulance
"Il est inenvisageable que cet accident mortel soit l'occasion pour le Ministère de l'Agriculture ou pour la Région de remettre en cause son développement", insistent les syndicats, "ce centre de formation est réputé pour la qualité de ces formations, avec de très bons résultats aux examens et une très bonne insertion des diplômés". L'établissement, considéré comme un véritable outil de développement pour un territoire rural, compte une soixantaine d'élèves et une quinzaine de stagiaires. Ils sont six enseignants forestiers.
Ils espèrent surtout que "notre ministère, alerté depuis de nombreuses années, prenne conscience de la nécessité d'une réelle politique de prévention avec le renforcement du rôle des CHSCT (ndlr : comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) dans nos établissements et de la mise en place immédiate d'un plan de formation sur l'encadrement en sécurité des chantiers forestiers pédagogiques".

----Des casques et des binômes
Au coeur des revendications syndicales, deux axes : d'abord des casques Haute Fréquence pour pouvoir communiquer car le bruit des tronçonneuses est trop important, surtout si l'on est seul. C'est le deuxième axe de revendication : le travail en binôme. La victime devait gérer sept stagiaires, répartis sur une surface de près de 500 mètres. Difficle de se faire entendre dans de telles conditions.
-----Précarité, pression et rentabilité
Reste enfin une problématique en suspens : la précarité de ces emplois et la pression qui incombe aux professionnels. La victime était en CDD. Au bout d'un certain nombre d'années d'exercice, on peut prétendre à un CDI. Cette échéance allait arriver. Ses collègues sont formels : "en CDI, il n'aurait pas accepté ce chantier", lui qui travaillait souvent une dizaine d'heures par jour. Autre effet pervers : les chantiers permettent indirectement de financer la formation. Autrement dit, une accumulation de refus peut conduire à la disparition de la filière. Donc de son emploi.
De plus, même s'il s'agit d'un chantier pédagogique, "on lui demande d'être rentable", explique un professionnel du secteur, "mais c'est impossible". Pour ne pas bouleverser la concurrence, les chantiers sont réalisés au prix du marché. Les entrepreneurs laissent donc les chantiers les moins rentables et les plus complexes aux scolaires. "Et souvent avec du matériel très limité", ajoute un formateur de Saugues, "on en arrive à leur expliquer que c'est ce qu'il ne faut surtout pas faire".

Les formateurs sont-ils surchargés de travail et sous pression ?
Il s'agit d'un terrible accident mais d'après vous, il aurait pu être évité ? Avec des effectifs réduits, les formateurs sont-ils surchargés de travail et sous pression ? 

Maxime Pitavy

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