Veine Verte : Le pèlerin sédentaire (OPINION)

, Mise à jour le 27/11/2020 à 08:57

----Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----Des trilles stridentes qui ricochent sur les parois phonolithiques du Rocher de Costaros, un projectile qui fend soudain l’azur à l’allure d’un Mirage F1, il n’en faut pas plus au promeneur averti pour reconnaître la signature du faucon pèlerin, lequel ne tarde pas d’ailleurs à se poser au sommet de l'éperon rocheux, fier comme Artaban, avec son plastron étincelant façon marinière Jean-Paul Gaultier impeccablement plaquée sur un petit corps bodybuildé.

Le pèlerin superstar
Parmi les faucons (du latin falx, la faux, référence à la courbure caractéristique des ailes de l’oiseau) qui peuplent le ciel altiligérien, citons-en trois : le faucon crécerelle ou « mouchet », que tout le monde connaît (quoiqu’il soit souvent improprement rebaptisé « épervier »), le faucon hobereau, virevoltant chasseur d’insectes, spécialiste du vol en rase-mottes, et la superstar incontestée des faucons altiligériens, spécialisée dans la capture à grande vitesse de petits passereaux en vol, le faucon pèlerin.

Le pèlerin en question n’a ni grolles, ni poncho, ni topoguide dans la poche (il ne migre pas), mais de grandes moustaches noires, un œil vif, de longues serres effilées et des muscles à revendre. Oiseau rupestre par excellence, c’est un voisin direct du grand corbeau, du grand-duc et de la genette (trois concurrents et trois prédateurs possibles), mais aussi de l’hirondelle de rocher et du tichodrome échelette, petit passereau aux allures de danseuse de flamenco qui arpente inlassablement les falaises de ses doigts griffus, en quête de petits insectes.

Accusé de chasser… le lièvre !
Des décennies durant, et jusqu’au milieu du 20e siècle encore, des publications comme « Le Chasseur Français » ont asséné au lecteur des sornettes à dormir debout… mais parfois cocasses (les vautours qui emportent une vache et la loutre qui dévore des dizaines de kilos de poissons par jour ­– certains y croient encore) : le faucon pèlerin y était accusé de se spécialiser dans la chasse… au lièvre. Une affirmation sans aucun fondement mais bien commode, puisque le pèlerin passait ainsi pour un concurrent des chasseurs et devait donc être fusillé… ce qu’on fit sans ciller (quand on a un fusil, ce serait bête de le laisser rouiller). À ces campagnes de destruction volontaire s’est ajouté un mal beaucoup plus sournois, la pollution agricole, et plus particulièrement l’usage intensif du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT pour les intimes, un insecticide redoutablement efficace qui permit naguère d’éradiquer le paludisme et le typhus, et dont on retrouve encore des traces dans nos rivières). Le DDT contaminait les insectes, et donc les passereaux… et donc les faucons.

Vingt couples, c’est peu !
Dans les années 1970, le faucon pèlerin, un des oiseaux les plus extraordinaires que la Création nous ait donnés, tire sa révérence et disparaît du ciel du département, laissant dans le paysage un vide abyssal pour tous les amoureux de la nature. L’oiseau est aujourd’hui protégé par la loi et l’on compte chez nous une petite vingtaine de couples. On est donc encore très loin du « monde plein » dont rêvent les naturalistes, mais il faut dire que d’autres menaces, plus insidieuses celles-là, empêchent l’espèce de se remplumer tout à fait. Il y a la pollution, toujours, moins flagrante et donc moins identifiable qu’à une époque, mais néanmoins omniprésente (ne retrouve-t-on pas aujourd’hui des pesticides jusque dans l’eau de pluie ?), mais aussi le dérangement, auquel notre oiseau est particulièrement sensible et qui est omniprésent lui aussi, sous la forme de l’urbanisation qui étire ses tentacules de béton partout et constelle le paysage de ronds-points, de routes et de zones industrielles ou commerciales, et sous la forme enfin des « loisirs verts » en plein essor, trail, chasse, enduro, parapente, escalade…

L’épineuse question de la protection
Comment protéger le faucon pèlerin ? La réponse actuelle consiste à dire : ceci est une falaise à pèlerin, interdisons le site aux activités humaines de telle date à telle date. En somme, on met un bout de nature sous cloche, comme on le fait avec les réserves naturelles. Ce raisonnement a deux inconvénients majeurs : le premier est que la protection d’un site peut servir d’alibi aux aménageurs/dérangeurs pour sévir ailleurs (« vous avez un site protégé à tel endroit, alors laissez-nous faire ce qu’on veut à tel autre »). Le deuxième est qu’il consiste à fixer un périmètre de protection qui ne correspond pas à grand-chose. Certes, le pèlerin vit et se reproduit dans une même falaise, mais il est entièrement tributaire de toute la nature qui l’entoure, comme nous le sommes : « Toutes choses se tiennent », disait le chef indien Seattle dans son fameux discours « La fin de la vie et le début de la survivance ». En attendant le jour où l’Homme refera de la nature un lieu sacré nécessaire à notre 
« survivance », nous invitons le lecteur à scruter le ciel à la découverte de cet oiseau de proie en tous points fascinant, car toutes les régions n’ont pas notre chance !

Oumpah-Pah

>> Précédemment dans Veine Verte :

Éloge permacole (24 avril 2018)

Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)

Ode à nos paysages (28 juin 2018)

Oui-Oui et l'Éolienne magique (19 septembre 2018)

Retour à la case marché (22 octobre 2018)

Le chasseur de serpents (22/11/2018)

Un verger pour royaume (21/12/2018)

Zones humides au régime sec (19/01/2019)

Simple comme un reste au compost (20/02/2019)

Verdun dans les sous-bois (19/03/2019)

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