Veine Verte : Haro sur le goupil ! (Opinion)

mer 27/05/2020 - 11:53 , Mise à jour le 27/11/2020 à 09:05

----Le renard était appelé goupil au Moyen-Âge, du latin vulpecula, qui veut dire "petit loup", jusqu'à la parution du fameux Roman de Renart (Renart vient du francique Ragin Hart, qui veut dire "fort en conseil"), dont le succès sera tel que le mot "renart", puis "renard", supplantera progressivement "goupil", resté parfois d'usage dans nos campagnes.-----Une occasion à saisir
Tous les amoureux de nature auront constaté que le calme olympien du confinement, conjugué il est vrai à un hiver anormalement doux, a changé le comportement des Altiligériens à poil et à plumes : le castor redevient diurne, l'aigle royal prospecte de nouveaux territoires, les moineaux tant menacés reconstituent leurs effectifs… le temps d'une épidémie, la faune reprend (un peu) du poil de la bête.

Ne serait-ce pas l'occasion d'en finir avec de vieux schémas de pensée ? Sommes-nous vraiment obligés de juger, du haut de notre cortex hypertrophié, telle ou telle espèce "utile" ou "nuisible" ? Ne pourrait-on pas reconnaître aux animaux, quels qu'ils soient, le droit d'exister par eux-mêmes, pour ce qu'ils sont ? En Haute-Loire, on tue encore les vipères à tour de bras (et quantité de couleuvres, faute de savoir parfois les distinguer correctement), alors que tous les reptiles sont protégés. On piège aussi les fouines pourtant rares dans les villages, alors qu'il suffit de bien concevoir son poulailler pour mettre à l'abri ses gallinacés… On tue aussi le renard, entre 4 et 5 000 par an en Haute-Loire.

> Lire aussi : Au plus près d’une battue au renard (26/02/2016)

Un bouc émissaire
Sous le château d'Artias, voilà quelques années de ça, une renarde a été abattue. Elle venait de mettre au monde une portée de renardeaux. Reclus dans un terrier inaccessible, les petits ont jappé à la mort pendant des jours. Puis ils sont morts de faim. Dans les bois de Coubon, un beau goupil était voilà peu suspendu par les pattes à une branche, au bord d'un sentier, deux trous rouges au côté droit, un fil de fer barbelé entortillé autour de son museau ensanglanté, bien à la vue des promeneurs : celui-là n'embêtera plus personne !

Le renard est accusé notamment de décimer le petit gibier (et le faisan chimique, mais chut !), un argument qui ne rassure pas. Se trouve-il encore des gens pour croire, en 2020, qu'une espèce décime ? Quelle espèce exterminerait les autres dans une forêt primaire ? A part l'Homme et ses gros sabots, aucune. Ne se pourrait-il pas plutôt que l'Homme, ayant réduit la faune sauvage à quelques miettes exsangues, ne cherche des boucs émissaires pour expliquer la rareté du gibier ? L'auteur d'un livre intitulé "Les Joies de la Chasse" estimait que la pratique de la chasse était de moins en moins compatible avec l'effondrement de la biodiversité… c'était dans les années 1960.

----L'environnement qui nous entoure et qui nous est cher -- celui de la Haute-Loire -- nous l'évoquons ici, de manière engagée, comme chaque fin de mois, dans notre chronique Veine Verte. Cette tribune d'opinion n'a pas vocation à représenter l'avis de la rédaction.-----Une chasse cruelle
La chasse au renard est cruelle à tous points de vue. Cruelle d'abord, c'est une lapalissade mais il est bon de le rappeler, parce qu'elle consiste à donner la mort à un être vivant (le végétarisme progresse d'ailleurs et c'est une bonne nouvelle). Cruelle ensuite parce que le renard est d'un naturel peu farouche, voire curieux. Il se laisse approcher très facilement, parfois à quelques mètres, tous les promeneurs du plateau en ont fait l'expérience. Cruelle également parce que chaque renard est un individu à part entière. Tel goupil restera joueur même adulte, tel autre sera d'un sérieux à toute épreuve, tel autre partagera pacifiquement le terrier d'une marmotte au Mézenc, tel autre prendra ses bains dans la Loire, tel autre encore raffolera des myrtilles du Testavoyre… Quand on tue un renard, on ne tue pas le représentant d'une espèce, on tue un individu. Cette "régulation" (concept biaisé s'il en est !) échappe enfin à toute logique parce que le renard est un très grand consommateur de rats taupiers (c'est même de loin son mets favori), ces rongeurs qui pullulent dans le département, faute de prédateurs en nombre suffisant… En somme, l'Homme, fidèle à son habitude, crée des problèmes pour lesquels il devra ensuite trouver des solutions (qui créeront à leur tour des problèmes : en témoigne le cas de la bromadiolone, ce produit chimique ultrapuissant qui tue les rongeurs et contamine le reste de la chaîne alimentaire par la même occasion, sans que l'on connaisse exactement ses effets sur l'Homme et les cours d'eau).

Un merveilleux compagnon
Un naturaliste altiligérien qui se passionne pour le loup, un animal qu'il va observer régulièrement dans les Alpes et les Pyrénées, me confiait récemment que, paradoxalement, il éprouvait une tendresse particulière pour maître goupil. Plus curieux que le loup, plus joueur, plus variable de personnalité et d'humeur, plus amusant à regarder au final… De fait, le renard est de ces animaux pourtant communs dont on ne se lasse jamais, comme le milan royal et son vol virevoltant : on le voit tous les jours, et tous les jours on l'admire. Et quand bien même il se livrerait au chapardage, on lui pardonnerait, comme on pardonne à un ami, car après tout il a droit à sa juste part de nature lui aussi…

Oumpah-Pah

> Précédemment dans Veine Verte :

Requiem pour une poubelle (25 mai 2018)
Ode à nos paysages (28 juin 2018)
Oui-Oui et l'Éolienne magique (19 septembre 2018)
Retour à la case marché (22 octobre 2018)
Le chasseur de serpents (22/11/2018)
Un verger pour royaume (21/12/2018)
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Simple comme un reste au compost (20/02/2019)
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