Éleveurs bovins : 60 petits kilomètres jusque dans l’assiette

Par Macéo Cartal , Mise à jour le 24/02/2021 à 06:15

À Rognac, sur la commune de Saint-Arcons-d’Allier, un éleveur de Limousines (des Monts du Velay) travaille en collaboration avec l’Intermarché de Langeac qui lui achète directement ses produits. Meilleure rémunération, confiance et contact humain ainsi qu’une meilleure qualité, tels sont les points qui semblent être un véritable atout à ce mode de fonctionnement.

Sébastien Cedat, 44 ans, est un éleveur de Limousines installé depuis 16 ans à Rognac, sur la commune de Saint-Arcons-d’Allier et également vice-président du syndicat Limousin de Haute-Loire. Au départ, il faisait partie d’un GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun) de trois personnes. En décembre 2018, au moment du départ à la retraite d’un de ses deux collaborateurs, l’autre décède subitement. Le premier décale son départ d’un an pour assurer la suite. Aujourd’hui, Sébastien Cedat est seul sur son exploitation. Il a ainsi divisé son nombre de génisses par deux pour arriver à une quarantaine de mères limousines.

La marque « Limousine des Monts du Velay » revient sur le devant de la scène

Christophe Freyssenet, animateur du syndicat des éleveurs limousins, et technicien à la Chambre d'agriculture de Haute-Loire, indique que la marque Limousine des Monts du Velay, créée dans les années 1990, avait en quelques sortes été laissée de côté pendant plusieurs années. « Depuis deux ou trois ans, nous nous sommes lancés dans la revalorisation de cette marque et donc des produits locaux », affirme Christophe Freyssenet. L’initiative proposée ici permet par ailleurs de porter encore plus haut les valeurs de cette marque.

Trois des acteurs principaux de cette initiative, accompagnés de la jeunesse Photo par Macéo Cartal

« Une vache va parcourir environ 60 km de l’exploitation aux étals »

Le récent partenariat passé entre l’éleveur et l’Intermarché de Langeac -- dirigé depuis deux ans par Jean Marzilli -- promeut le circuit ultra-court. « L’abattage se fait dans un rayon de 30 km maximum de l’exploitation, la vache sera transformée à l'abattoir puis découpée directement en grande surface, en l’occurrence pour nous à l’Intermarché de Langeac », détaille Sébastien Cedat. « Concrètement, une vache va parcourir environ 60 km seulement, de l’exploitation aux étals. C’est quasi-impossible de faire plus court, à moins d’avoir un abattoir directement sur l’exploitation », confirme Christophe Freyssenet. La Haute-Loire compte plusieurs abattoirs, ce que tous les départements n’ont pas. Une chance selon l'éleveur de Saint-Arcons-d'Allier.

Ce mode de fonctionnement permet une meilleure traçabilité du produit pour le consommateur, mais aussi un meilleur suivi pour l’éleveur. En effet, la production et la transformation à proximité apportent au producteur un retour direct sur ses bêtes. « Ils peuvent nous dire si elle est trop grasse ou pas assez, s’il y a des défauts ou pas. Ceci nous permet de corriger tout de suite le tir », se félicite Sebastien Cedat.

La grande surface a accepté leur prix sans négocier

Trop de dépendance aux aides ?

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses aides sont versées aux éleveurs et agriculteurs. Selon Pierre Tourette, 50 % du chiffre d’affaires d’une exploitation provient de ces aides. Le problème qui se pose alors est que le prix payé aux producteurs ne changent pas. Mais les prix de ventes aux consommateurs, eux, ont tendance à augmenter. Les agriculteurs veulent se rendre moins dépendants de ces aides et que la variation des prix se fassent ainsi dans l’autre sens.

Sébastien Cedat accompagné de Pierre Tourette, trésorier du Syndicat limousin de Haute-Loire, sont allés à la rencontre de Jean Marzilli il y a maintenant plusieurs mois afin de mettre en place un partenariat entre l’enseigne et l’éleveur bovin. Les deux agriculteurs ont proposé un prix que le dirigeant de la grande surface a accepté tout de suite sans le négocier. « Déjà c’est un juste retour de faire vivre ceux qui nous font vivre, puisque ce sont aussi des clients des magasins. [...] Il me paraît juste, normal et logique qu’un éleveur vive décemment de son travail tout en étant plus indépendant vis à vis des aides », insiste Jean Marzilli. En effet, en se basant sur la grille de prix de base du boeuf de Haute-Loire mise à jour en janvier 2019, les deux agriculteurs ont proposé un prix supérieur de 20 centimes par kg de carcasse par rapport aux prix minimum imposés par cette grille. « Sur une génisse, cela représente environ 250€ en plus, ce n’est pas négligeable », insiste Christophe Freyssenet.

« Le but c’est de supprimer le maximum d’intermédiaires pour que tout le monde puisse s’y retrouver » Sébastien Cedat

Ce circuit-court se fait également dans l’optique de fortement diminuer les intermédiaires. Ceci a pour conséquence d’assurer un meilleur suivi de la marchandise mais aussi une baisse de prix pour le consommateur au vu de la qualité du produit mais aussi une meilleure rémunération du producteur. « Le but c’est de supprimer le maximum d’intermédiaires pour que tout le monde puisse s’y retrouver […] nous faisons dans la qualité plus que dans la quantité », déclare Sébastien Cedat.

Une limousine de 900 kg, prête à partir Photo par Macéo Cartal

Réinstaurer un climat de confiance

L’un des objectifs de cette initiative est également de restaurer un lien de confiance entre l’éleveur et les grandes distributions. « Le but n’est pas d’étrangler les producteurs mais de les valoriser eux et leurs produits, insiste Jean Marzilli, nous savons qu’il y a des abus mais le but est aussi de montrer qu’il peut y avoir des solutions ». Ce dernier indique également travailler avec d’autres producteurs locaux de fromage, de miel ou encore de bière et de liqueur.
Ce climat de confiance s’instaure ainsi entre le consommateur et le magasin. Pour ce qui est de celui de Langeac, il était menacé de fermeture avant que Jean Marzilli et son épouse ne le reprennent. « Les consommateurs avaient notamment perdu confiance dans le rayon boucherie. Le fait de leur proposer des produits de qualité qu’ils connaissent y joue vraiment », ajoute le gérant de l’Intermarché.

Aujourd’hui, le syndicat Limousin de Haute-Loire continue de démarcher les moyennes surfaces pour avoir plus de partenariats comme celui-ci, le tout sans faire pour autant de concurrence aux viandes charolaises, comme l’indique Christophe Freyssenet. Jean Marzilli affirme qu’il continue d’aller au contact des différents éleveurs et producteurs locaux.

Sébastien Cedat ne vit pas uniquement avec l’élevage bovin. Il a en parallèle une activité d’engraissement de porcs, avec environ 200 places. Pierre Tourette, lui, s’est lancé dans la culture électrique avec l’installation de panneaux photovoltaïques pour compenser son activité. « C’est un métier de passion. On connaît les deux extrêmes : d’un côté on travaille beaucoup pour un revenu assez bas (élevage) et de l’autre on attend juste pour un revenu plus élevé (panneaux photovoltaïques) », ironise t-il.

Aujourd’hui, beaucoup trop d’agriculteurs ne s’en sortent pas aussi bien. « Le problème c’est que par peur de mourir, beaucoup d’agriculteurs préfèrent vendre moins cher plutôt que de ne pas vendre », déplore Christophe Freyssenet.

Se lancer dans une nouvelle exploitation pour un jeune relève presque de l’impossible tant l’investissement nécessaire est énorme pour un revenu toujours aussi bas. Par exemple, pour quelqu’un qui souhaite se lancer dans l’élevage bovin comme Sébastien Cedat, il faut investir dans une génisse. Sauf qu’il faut trois ans pour qu’elle puisse faire un veau. Rajoutez ensuite quelques années avant de pouvoir avoir un produit fini. Il faut donc cinq ans pour un jeune éleveur avant d’avoir une première entrée d’argent pour son élevage.

Les conditions géographiques jouent beaucoup. La future PAC (Politique agricole commune) de l'Union européenne est très attendue, entre autres sur les aides pour les agriculteurs de moyenne et haute montagne (dont font partie les agriculteurs de Haute-Loire), qui doivent à tout prix se maintenir. Les contraintes liées à l’emplacement jouent par exemple sur le prix des bâtiments, qui peut varier de 20 à 30 % entre les agriculteurs de plaine et de montagne pour une même surface. Cet écart de prix se justifie par le fait que les bâtiments montagneux ont plus tendance à être fermés et plus isolés. Sébastien Cedat précise que l’investissement de ses bâtiments sont maintenant amortis et que le fait qu’il ait été en GAEC avec d’autres personnes fait qu’aujourd’hui, l’éleveur arrive à avoir des revenus convenables.

Enfin, contrairement à ce que peuvent penser certains, les agriculteurs sont de plus en plus conscients du réchauffement climatique qui les touche directement. « Avant, on établissait le stock d’hiver aux alentours du mois d’octobre ou novembre pour la nourriture des bêtes. Aujourd’hui je débute le stock dès l’été », soupire Sébastien Cedat. Rendant moins nourrissante l'alimentation naturelle des bêtes, le changement climatique impose alors d’investir dans du complément d’alimentation, ce qui, au vu des faibles marges des éleveurs, augmente irrémédiablement leur coût de production, qui n’est pas encore assez pris en compte.

 

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2 commentaires

mer 24/02/2021 - 14:49

Espérons que les 60 km ne soit pas facturés au prix de l'aérien... Le circuit court est souvent une excuse pour pratiquer des prix élevés pour une qualité non justifiée.

mer 24/02/2021 - 07:52

Voilà une bonne nouvelle pour la région !! Au tour des autres enseignes à faire de même. En espérant que la viande bovine qui est accessible sur les étals de ce magasin provienne bien de cette ferme car aujourd'hui on est plus sûr de rien... BRAVO quand-même pour cette collaboration qui ne demande qu'à être imitée.